Les atterrissements
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Au 18° siècle, la Loire avait déjà commencé à se boucher par l'apport continuel des sables et vases charriés tout au long de son cours. De gros problèmes de navigation commençaient à apparaître. Or Nantes, ne l'oublions pas, était un port maritime important, même s'il n'était pas situé directement sur l'océan.
Pour creuser le lit du fleuve, la ville obtint l'autorisation du Roi d'effectuer des digues entre les nombreuses îles afin de resserrer sa largeur.
Elles obligent les eaux moyennes de passer dans un lit moins spacieux ; l'augmentation du volume d'eau et une plus grande vitesse lui donnent la puissance d'entraîner les sables qui remplissent le fond ; cette accélération empêche aussi le dépôt qui va se faire dans les endroits où l'eau est calme, au-dessus et au-dessous des digues (Citation) |
Si ces réalisations remplirent le rôle qui leur était dévolu, les parties comprises entre les nouvelles digues et la rive sud devaient inévitablement se combler et créer de nouveaux terrains. Ce sont ces derniers que l'on nomme « atterrissements ».
De violents conflits opposèrent alors Etat, ville de Nantes, municipalité de Saint Jean et particuliers pour savoir qui pouvait être propriétaire de ces nouvelles terres.
Le 2 septembre 1763, les premières bornes seront plantées sur notre territoire pour délimiter les terres existantes et connaître ainsi l'agrandissement futur des terrains gagnés sur le fleuve. La journée commençait mal car « le dit bateau avoit été retenu par le défaut d'eau dans le trajet qu'il avoit à faire », tout le monde se retrouve au château du Pé. Là les récriminations commencent :
Les habitants feront surtout valoir le fait que les nouvelles terres vont séparer le fleuve des ports existants, il est donc juste que la communauté prévoit des étiers qui puissent permettre la circulation des bateaux.
Le seigneur local se plaint également que son port n'en est plus un. En outre, la réalisation des premières digues a été effectuée à partir de pierres qui ont été extraites sur ses terres. Il estime donc qu'il est en droit de pouvoir disposer des nouveaux atterrissements puisque ces derniers ont été créés à partir de matériaux qui lui appartiennent.
Devant notre commune, s'étiraient plusieurs îles : Indret, Chartreau, Massereau, Pivin, Turmelière. Elles se situaient toutes en plein milieu du fleuve, à la suite les unes des autres et toutes très proches. Il suffisait donc de les relier par de petites digues pour former en plein milieu du lit une longue barrière qui divisait par deux la largeur de ce dernier. En barrant du côté sud le passage des eaux descendantes, cette vaste zone devait se combler par l'apport des vases et créer de nouveaux terrains, source de profits pour les atterrisseurs. Enrochements, pieux, fascinages furent donc employés pour former ce qui devait profondément transformer le paysage régional.
A la Révolution, les choses n'avaient pas changé puisque l'on retrouve parmi les cahiers de doléances, les propos suivants : « Demander expressément que le port ou pour mieux dire la rivière, à l'endroit où se font les exportations ou importations des denrées de la paroisse, soit rendu libre et navigable en tous temps. Sous prétexte de faire des accroissements en faveur de la ville de Nantes qui n'en peut posséder comme gens de mainmorte, on a jeté et on jette continuellement des tas de pierres considérables qui bouchent le cours de la rivière et causent un préjudice considérable à la paroisse. Plusieurs bateaux s'y sont perdus et plusieurs personnes ont couru les risques d'y perdre la vie. Pourquoi l'on demande que les pieux et les pierres soient ôtés aux frais et dépens des afféagistes qui les ont fait mettre, et qu'on coupe, ou la digue du côté du Fresne, ou la queue de l'île Indret en-dessous du crucifix de la longueur de quarante brasses, avec le droit d'y pêcher librement ».
C'est le 12 août 1838 que fut donné le coup d'envoi de cette longue affaire juridique qui devait durer 25 ans (soit un quart de siècle) pour déterminer qui devait être propriétaire de certaines de ces terres qui avaient été gagnées sur la Loire.
Tout commença lorsque plusieurs riverains portèrent plainte parce qu'un élu municipal avait abattu des plantations que certains d'entre eux avaient effectué sur les terrains gagnés. La municipalité prit fait et cause pour son représentant. Premières plaidoiries, la justice donna raison aux plaignants et considéra que les terrains leur appartenaient.
Appel fut interjeté. Une enquête fut effectuée. De son compte-rendu (85 pages manuscrites), une foule de détails nous est transmise sur les lieux tels qu'ils existaient dans les mémoires des contemporains (c'est-à-dire avant même la Révolution pour les moins jeunes d'entre eux).
La cour d'appel de Rennes confirma le premier jugement. Nos aïeux, sûrs de leur bon droit et ne rechignant pas devant les frais déjà élevés de cette affaire déposèrent un nouvel appel ... qui sera rejeté par le conseil de Préfecture de Loire-Inférieure.
Troisième appel, hélas déposé dans des délais trop importants et donc non recevable. Hardi les coeurs, c'est donc à la Cour de Cassation que notre Conseil municipal s'adressera cette fois . Aucune solution n'est épargnée, le recours au Conseil d'Etat avait été exploité et ... miracle celui-ci désavoua le Conseil de Préfecture de notre département. Un des avocats de la cause boiséenne écrira : « Je suis d'autant plus satisfait de voir mes conclusions concernant l'accroit de Boizeau accueillies par l'arrêt, que je n'osais guère l'espérer. »
Après bien d'autres déboires, transactions ou autres tentatives, c'est finalement la Cour de Caen qui tranchera cette ténébreuse affaire par son jugement du 12 mars 1863 qui donnera raison à nos élus locaux en leur attribuant définitivement la pleine possession des terrains si enviés.