Histoire de Saint Jean de Boiseau

La  fête-Dieu  de  1872



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L'Histoire ou plus exactement la petite histoire est pleine d'anecdotes savoureuses qu'il nous appartient non pas de juger mais de découvrir pour essayer de comprendre la vie de nos ancêtres, bien qu'hélas, parfois certains détails peuvent manquer et retirer ainsi un peu du sel nécessaire pour donner le bon goût que l'on aimerait conserver à toute historiette amusante du moins pour ceux qui la découvrent avec plus d'un siècle de retard..

Ainsi l'Histoire, toujours elle, ne dit pas si le temps était beau en ce dimanche matin 2 juin 1872. Quelle importance direz-vous? Pourtant tout organisateur de fête souhaite que le temps soit clément le jour où il organise une manifestation quelconque. Or ce jour-là, la manifestation prévue, était d'importance: il s'agissait tout simplement de la procession de la Fête-Dieu dans notre bonne commune. Mais ne voilà-t-il pas qu'en début de cortège une garde d'honneur, armée de surcroît, et précédée du premier adjoint ceint de son écharpe tricolore ouvre la marche d'un air triomphal.

Que font donc ainsi ces hommes dont la présence paraîtra, on s'en doute, quelque peu incongrue pour la paisible population locale?

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, c'est le prêtre de l'époque, le curé NOUEL qui avait souhaité la présence d'un groupement d'hommes en armes. Encore un détail manquant, c'est la raison pour laquelle ce prêtre avait manifesté un tel désir. Toujours est-il qu'il avait battu le rappel des militaires qu'ils soient d'active ou non et qui pouvaient se trouver sur la commune. Son influence est réelle sur une partie de la population, tout au moins sur le secteur de St Jean; La Montagne, il le déplorera toujours, échappant, estime-t-il, beaucoup trop à son emprise. Plein de zèle et fort de cette demande HERVE, l'adjoint en titre, se présente donc ce jour chez le maire, VIOLIN, et lui demande tout simplement la présence de deux gendarmes pour le défilé. Notre maire, plein de sagesse, s'empressera de spécifier qu'il est maire d'une commune et non chef de brigade de gendarmerie et qu'il ne peut en aucun cas, disposer ainsi des forces de l'ordre. Soucieux de préserver toute manifestation intempestive d'humeur de la part de son collègue conseiller, il lui conseillera de traiter le problème avec le maréchal des logis chef DAMPART qui commande la garnison locale.

Las, cette proposition ne semble pas du goût de notre adjoint. Craint-il l'autorité de ce représentant de l'ordre qui risquerait de tergiverser, a-t-il peur d'effectuer les quelques kilomètres qui le séparent de la brigade et de ne pas disposer du temps nécessaire pour réaliser son opération? Encore une lacune des archives. Mais qu'à cela ne tienne. Aux âmes bien nées, la valeur n'attend pas le nombre des années, la bonne volonté peut pourvoir à cette insuffisance. N'existe-t-il pas des hommes qui disposent d'un uniforme sur la commune? Il leur manque seulement des armes. Peut-être le maire pourrait-il autoriser que quelques unes d'entre elles soient empruntées pour équiper ces guerriers trop désarmés pour faire sérieux en cette circonstance qui se doit d'être solennelle?

Scandalisé, le premier magistrat local, clamera haut et fort qu'il ne peut donner son accord à une telle initiative « attendu que la loi le défendait ».

On ne saurait ainsi désarmer, pardonnez-nous l'expression, un homme sûr de son bon droit et surtout de l'appui tacite du prêtre, signe incontestable de la faveur du Ciel. On fera donc avec les moyens du bord, pour satisfaire les désirs de la plus haute autorité religieuse du pays et ce, pour prouver son efficacité, sans lui en parler. Et c'est ainsi que six fantassins - deux militaires en congé, trois ex-gardes nationaux et un zouave pontifical - précédés d'un ancien capitaine de cette même garde nationale en grande tenue et porteur de son sabre en lieu et place d'eucologe, assistèrent à la messe et défilèrent dans les rues de St Jean, armés ... de fusils de chasse.

Si la population fut choquée par cette présence, c'est un euphémisme, c'est sans doute VIOLIN qui réagit le plus violemment. Dès le lendemain, il s'adresse au Sous-Préfet de Paimboeuf pour lui narrer les faits, et écrit: « Je désire que cela soit réprimandé, mon autorité ayant été méconnue ».

On n'attente pas ainsi impunément à l'honneur d'un maire qui, fort de son autorité, donne des consignes et s'aperçoit que l'on ose y passer outre. De son côté, le chef de la brigade ne reste pas inactif. Le 3, il s'empare, lui aussi, de sa plus belle plume et fait son rapport au Lieutenant qui commande tout le secteur: « Les deux militaires sont les sieurs LEBRETON, soldat à la Légion Etrangère venu tout récemment dans ses foyers, en vertu d'un congé de six mois, comme soutien de famille et TRUIN garde à la deuxième légion de la garde républicaine, dans ses foyers, en vertu d'un congé de convalescence de trois mois du treize mai dernier. Le zouave pontifical est un nommé PRAD habitant chez son beau-frère en Saint Jean de Boiseau. Les gardes nationaux sont les sieurs 1°) BAREAU, capitaine sus-cité, 2°) ROUSSEAU, sous-lieutenant, 3°) HEGRON, sergent et 4°) CHAGNAS, également sergent ». Il précisera que cette incongruïté est une conséquence de la demande du prêtre « qui a prié tous les militaires en congé, ainsi que tous les gardes nationaux de la commune d'assister à la procession en tenue et en armes », mais que seuls les sept personnes citées ont répondu à son appel « et ont ainsi formé ou plutôt singé une troupe armée ». On comprend l'indignation de ce vrai militaire qui ne peut admettre que des quidams puissent se permettre, qui plus est sans en avoir conscience, de tourner en dérision le côté martial que doit revêtir toute escorte officielle. Il prendra toutefois la peine, mais l'objectivité de sa fonction le lui impose, de spécifier « Aucun cri n'a été proféré par ces individus et ils n'ont tiré aucun coup de fusil aux reposoirs ».Ouf, on l'a échappé belle!

De son côté, les témoignages laissent à penser que la population s'émut, elle aussi de la situation et qu'elle blâma nos héros - malgré eux - d'un jour. Ceux-ci, fort marris de leur randonnée seront tel le corbeau de la fable, honteux et confus; aussi « ont-ils bien du regret, m'assure-t-on, d'avoir suivi le conseil de Monsieur le Curé et d'avoir pris des fusils pour accompagner la procession », ainsi s'exprimera encore notre maréchal des logis-chef.

Que croyez-vous que fit notre Sous-Préfet à la réception d'une part du courrier de VIOLIN et d'autre part du rapport que lui retransmettra le lieutenant de gendarmerie? L'affaire prenait trop d'importance et ne relevait plus de sa seule autorité. Il avisera alors le Préfet de la situation existante dans notre petite commune. Et voici les couloirs de la Préfecture qui commencent à frémir des frasques boiséennes d'un jour. Il préconisera de sévir contre l'imp(r)udent adjoint qui osa bafouer l'autorité locale. Si St Jean est « une commune, habitée par de simples cultivateurs, générablement paisibles ... une réprimande sévère adressée à Monsieur l'adjoint serait une répression suffisante », mais il n'en demeure pas moins également que notre localité est « occupée en partie par la population ouvrière de l'usine d'Indret », il est donc indispensable de conserver au Maire « qui jouit d'une estime méritée, toute l'influence qu'il a su conquérir par sa juste énergie et son dévouement sans bornes aux intérêts de ses administrés ». Notre laudateur paimblotain jugera que l'autorité communale a été publiquement méconnue. Il estimera donc que la peine du talion doit s'appliquer; aussi la répression doit être, elle aussi, publique. « J'ai donc l'honneur de vous proposer d'infliger à Monsieur HERVE la suspension pendant un court délai de sa fonction d'adjoint. Une telle mesure satisfera, j'en suis certain, la susceptibilité de Monsieur le Maire en même temps que l'opinion publique qui critique vivement et la démarche inconsidérée de Monsieur HERVE et sa trop faible condescendance au regard de Monsieur le Curé ».

Dernière lacune de notre récit, aucun document ne nous permet d'affimer que le Préfet entérina la proposition de son subalterne. C'est pourtant souvent ce qu'il faisait en pareil cas lorsqu'il s'agissait de problèmes locaux. Ces frémissements que nous avons perçus dans l'antichambre préfectorale ne devinrent jamais tempête. Il faut que les choses restent à la place qui leur conviennent St Jean ne pouvant longtemps mobiliser les forces vives départementales pour de tels sujets. Il est malgré tout vraisemblable qu'une sanction de principe fut infligée à l'adjoint provocateur. Les délibérations du conseil municipal ne soufflent pas le moindre mot de cette affaire, on peut fort bien comprendre qu'ils ne voulurent pas jeter l'opprobre sur l'un d'entre eux, d'autant plus qu'ils n'avaient pas à en délibérer, la sanction, si elle eut lieu, étant purement administrative. Notre adjoint, en poste depuis le 28 août 1870, se représenta aux élections municipales de 1873, 1874, 1877 et 1878 où il fut réélu chaque fois, signe que la population ne lui tint pas trop rigueur de son inconduite passagère. Il continua à assumer le poste de premier adjoint jusqu'en 1878 et resta au conseil municipal jusqu'en janvier 1881;