Histoire de Saint Jean de Boiseau

Mathurine Gérard
matrone à la fin du XVII° siécle



Mathurine Gérard est une matrone. Une matrone est une femme qui aide à mettre des enfants au monde. Mathurine Gérard exerce cette activité à Saint­Jean-de-Bouguenais les vingt-deux dernières années du XVII° siècle.

Cette femme semble être une des rares matrones dont nous pouvons étudier l'activité. De 1678 à 1686, les actes paroissiaux sont rédigés le plus souvent par le prêtre Jean Peillac. Les écrits des prêtres nous documentent sur l'âge, le métier, le lieu d'habitation de nos aïeux. Le nom de la matrone est exceptionnellement noté dans les actes. Mathurine Gérard est souvent cité dans les actes de baptême.

Un jeune : Jean Peillac

Jean Peillac est un chanoine de la collégiale de Nantes. Peut-être arrive-t-il à Saint-Jean- de-Bouguenais en 1675 ? Le registre manque. Il a trente ans en 1676. Né à Bouguenais. Il est un cousin de Jacques Peillac, sieur de la Hibaudière, avocat à Nantes. Il est aussi parent de deux prêtres qui ont officié dans cette paroisse dont le plus connu est Simon Chevreuil.

Matrone : seule activité féminine reconnue

Mathurine Gérard exerce sous le règne de Louis XIV, en un temps où les deux communes Saint-Jean-de-Boiseau et La Montagne forment une seule paroisse : Saint-Jean-de-Bouguenais. La paroisse s'étend sur six kilomètres et compte au moins une famille noble : la famille de Martel au château du Pé, et une famille bourgeoise : la famille Peillac à la Hibaudière. A la fin du XVII° siècle la population de cette paroisse est plus dense à la Télindière et à Boiseau. Elle compte une majorité de laboureurs, mais compte aussi des maréchaux, des tisserands, des meuniers, et, en bord de Loire, des pêcheurs, des passeurs de Loire et des tonneliers pour le commerce du vin. La seule activité féminine reconnue est celle de matrone.

Une vocation

La femme postulante à la vocation de matrone doit déjà avoir connu les souffrances de l'accouchement. Elle doit être mariée ou veuve, et de bonne moralité. La candidate reçoit un enseignement pratique par une matrone plus âgee.

La matrone est admise à exercer après un examen moral. Dans l'église et devant les villageoises, elle jure et promet à Dieu d'assister au mieux les femmes dans leurs couches.

Le devoir d'une matrone est d'être disponible, d'être une femme prête à accourir au premier appel.

Les femmes étaient le plus souvent aidées d'une parente ou d'une voisine vivant à proximité de chez elle. Les villageoises font appel à une matrone dans les cas difficiles.

Saint Jean de Boiseau jusqu'en 1679

Antérieurement à Mathurine Gérard, trois matrones ont aidé les boiséennes à accoucher, Perrine Moquard vers la Télindière, Françoise Charier vers la Briandière et Boiseau, et Guillemette Bertreux vers Fresne et Launay. Avec chacune son secteur d'activité, ces trois matrones ont aidé à accoucher les boiséennes sur toute l'étendue de la paroisse.

Mais toutes trois abandonnent leur fonction quasi en même moment pour cause de vieillesse et de décès.

Le nom de Perrine Moquard est cité pour la dernière fois le 25 novembre 1679. Françoise Charier décède le 15 janvier 1679 et Guillemette Bertreux décède à Boiseau à l'âge de quatre-vingts ans en 1683

Mathurine Gerard

Le nom de Mathurine Gérard apparait pour la première fois, le 10 septembre 1678 dans un acte de baptême avec ondoiement d'un enfant né à la Briandière. Cette femme a environ cinquante-huit ans. Elle demeure à Boiseau. Elle est mariée à Jan Chauvelon. Elle aurait eu six enfants de ce mariage dont une seule fille parait avoir survécu à l'âge adulte.

Ordinairement, le nom d'une matrone n'est cité dans un acte que lorsqu'il y a eu une naissance avec un ondoiement ou bien lorsqu'un enfant est né d'un couple illégitime non marié.

L'année suivante, en 1679, le nom de Mathurine Gérard revient souvent à compter du quatrième trimestre. La notification du nom de la matrone dans quasi tous les actes de baptême est inhabituelle. Donc pourquoi une telle reconnaissance de la part du prêtre Jean Peillac pour Mathurine Gérard ? Un élément écrit retient l'attention mais sans expliquer cette gratitude : le décès de la sœur du prêtre, Julienne Peillac, le 28 août 1679, une jeune femme de trente-cinq ans récemment veuve de Mathurin Marays notaire à Pont-Saint-Martin.

Julienne Peillac et sa sœur aînée Marguerite ont vécu jeunes filles, avant leur mariage, au château de Hibaudière. Au vu du nombre de signatures de ces deux jeunes femmes dans les registres, elles semblent avoir été très sociables. Julienne Peillac accouche dans cette paroisse de son premier enfant, un fils, le 3 octobre 1674.

Aucune preuve écrite que Julienne Peillac soit décédée en couches ce 28 août 1679. Aucune preuve écrite que la jeune femme ait été soignée par Mathurine Gérard. Aucune preuve écrite qu'elle fut l'amie de Mathurine Gérard. Mais le contenu des registres prouve que Jean Peillac Mathurine GERARD... voue de la reconnaissance à la matrone peu de temps après cette date d'août 1679 en la citant souvent dans les actes de baptême, et ce, durant tout son séjour à Saint­ Jean-de-Bouguenais jusqu'en 1686.

En 1678 et 1679, Mathurine Gérard exerce principalement vers Boiseau et la Briandière. Puis, au fil des ans, son secteur d'activité s'étend du village de Noé à la Roche-Ballu, exceptionnellement au bourg et à la Télindière. Son secteur d'activité s'étend sur cinq kilomètres.

Quant au secteur Ouest, de 1680 à 1682, il y a pénurie de matrone. C'est celle de la paroisse du Pellerin qui est sollicité pour l'accouchement les femmes à La Télindière et au Surchaud.

Un triple succès

Moyen-Age, la femme accouche assise et habillée mais peu à peu au XVI ème siècle la position couchée sur le dos est conseillée.

Lorsque l'accouchement s'est bien déroulé l'évènement est un triple succès : la femme est mère (donc elle n'est pas stérile), l'enfant est vivant, la mère est vivante.

Une fois sorti du ventre de sa mère, le nouveau-né reçoit une tape sur les fesses pour vérifier qu'il est bien vivant. La matrone lui coupe le cordon en laissant 4 doigts et le noue. Puis l'enfant est lavé. Chez les gens aisés : on le lave avec du vin ou de l'alcool et on le frotte avec du sel, du miel ou du jaune d'œuf. Chez les gens pauvres : on le frictionne avec de la paille humide et tiède. Le nouveau-né est ensuite emmailloté dans des langes très serrés, car on croit que s'il n'est pas rectifié dans les premiers jours, il aurait les jambes et le dos tordus. Vers 6 mois, on libère les bras puis, vers 1 an, on dégage ses jambes. Puis on le coiffe d'un bonnet rembourré pour éviter les blessures à la tête.

Les transmissions entre matrones sont essentiellement pratiques et orales car peu d'individus savent lire et écrire. Les documents écrits concernant l'accouchement sous l'Ancien Régime sont rares. Aucun document écrit n'a été retrouvé sur les pratiques à Saint-Jean-de-Bouguenais.

La triste réalité

Des phrases reflètent une triste réalité de la vie quotidienne :
« La naissance d'un enfant est souvent un jour de deuil ».
« L'attente d'un enfant a toujours un goût de mort.
« Il faut deux enfants pour faire un homme ».
Souvent poussées par la nécessité de travailler, certaines femmes ne cessent guère leur activité à l'approche du terme. Le repos ne concerne que quelques femmes favorisées. La mort d'une femme ou d'un enfant est acceptée comme l'expression de la volonté divine.

D'après les documents officiels, une femme sur dix meurt en couches ou des suites de son accouchement. Mais c'est un chiffre relevé plutôt dans les hôpitaux qu'à la campagne.

Les principales causes de décès des femmes sont le choc vasculaire par épuisement de ne pouvoir expulser l'enfant parce que le bassin est trop étroit ou bien que le col de l'utérus ne peut pas se dilater, l'hémorragie, ou bien la septicémie par contamination de mauvais germes pendant l'accouchement et après l'accouchement.

Parfois à l'accouchement, le placenta ne se décolle pas spontanément et la matrone le tirait avec des mains sales causant des infections. La fièvre puerpérale est une dénomination d'une infection des suites d'un accouchement qui se termine très souvent par une septicémie puis par le décès de la parturiente.

L'ondoiement

Pour exercer son art, la matrone doit savoir ondoyer. C'est une des responsabilités données aux matrones, d'une part par l'église catholique afin d'exercer son pouvoir sur ces femmes, d'autre part, surtout par Louis XIV pour éviter que les matrones protestantes exercent leur métier.

L'ondoiement se fait en cas de décès de l'enfant. La matrone répand de l'eau sur la tête de l'enfant ou sur la partie « mal sortie » présente et prononce ces mots « Enfant, je te baptise, au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit ».

Cette hâte de l'ondoiement à la maison est due à la crainte des parents que l'enfant mort sans baptême erre éternellement dans les limbes un lieu de l'au­delà d'autant plus redouté qu'il était mystérieux, et sans espoir de rejoindre le paradis. Ainsi, l'âme de l'enfant est sauvée. Si l'enfant survit, il est amené à l'église dans les trois jours pour compléter les cérémonies du baptême.

C'est seulement lors du sacrement du baptême qu'on attribue un prénom à l'enfant. La mère est absente au baptême du nouveau-né. La mère soi-disant impure n'assiste pas au baptême. Elle ne revient à l'église qu'après ces relevailles, c'est-à-dire quarante jours après.

La mortalite des nouveaux-nés

Le nombre d'enfants qui décèdent dans leur première année est paraît-il d'un enfant sur quatre. Les causes de décès sont nombreuses.

Le décès peut survenir à la naissance par un déchiquetage de l'enfant pour sauver la mère parce que le bassin est trop étroit ou bien que le col de l'utérus ne se dilate pas.

Le décès peut survenir aussi dans les quarante-huit heures des suites des traumatismes de l'accouchement, du manque d'oxygène au niveau cérébral d'être resté trop longtemps dans le ventre de la mère après la perte des eaux, d'une infection urinaire ou respiratoire suite à une transmission de germes pathogènes sur le cordon ombilical par la paire de ciseaux ou du couteau ou bien des suites des malformations congénitales. Le baptême immédiat en saison rude et l'éloignement de l'église est aussi une cause de décès des nouveau-nés.

Au-delà des quarante-huit heures, les causes de décès sont les infections par un manque d'hygiène de l'époque ou bien des accidents domestiques de l'époque tels que l'enfant brulé installé trop près d'une cheminée, le chat qui étouffe un nourrisson, des noyades aux fontaines sacrées, d'infection transmise par la nourrice ou bien dévoré par un porc.

Mathurine Gérard a-t-elle marqué l'hstoire de Saint-Jean-de-Bouseau

Jean Peillac voue une certaine reconnaissance à Mathurine Gérard en inscrivant son nom dans les actes de baptême à compter de l'automne 1679. Cette femme a-t-elle marqué l'histoire de Saint-Jean-de-Bouguenais ? Mais pour quelles raisons ? Cette femme travaillait-elle mieux que les autres ? Comment le savoir ? L'étude des registres peut apporter des réponses.

Les années 1678, 1679, 1680, 1681, 1682, 1683, 1684, 1685 et 1686, soit neuf années successives peuvent être étudiées grâce à la richesse des renseignements des registres tenus par le clergé paroissial de Saint-Jean-de­Bouguenais.

Durant cette période on constate dans cette paroisse qu'en moyenne une femme accouchait par semaine.

Des boiséennes décédées en âge de procéder

En neuf ans, quarante-une boiséennes sont décédées en âge de procréer (en comptabilisant les jeunes filles non mariées et les veuves), soit en moyenne moins de cinq femmes par an, soit un taux inférieur au taux national de une sur dix. Nous pouvons nous poser la question de savoir pourquoi.

L'ordre des villages est respecté sur l'étendue de la paroisse.

Dans les actes, il est difficile voire impossible de différencier les décès des femmes suite d'une grossesse, suite d'une infection pulmonaire, ou bien suite de cancers qui ont toujours existé. Pour seulement 6 boiséennes, il est certain qu'elles soient décédées des suites de leur accouchement.

Le taux de mortalité est plus élevé dans le secteur Ouest

Sur le graphisme, on remarque nettement que le taux de mortalité des femmes est plus élevé dans le secteur Ouest de la paroisse bien que la matrone du Pellerin se déplaçait pour aider les femmes de la Télindière et du Surchaud.

La population du village de la Télindière représente un quart voire un tiers de la population de St Jean de Bouguenais. En 1683 et en 1686, un tiers des enfants baptisés dans l'année sont nés à la Télindière. Dans ce village le plus peuplé cela paraît normal qu'il ait un taux élevé de mortalité.

Mais le bourg et la Prunière sont moins peuplés que Boiseau. Le taux de mortalité devrait y être inférieur. De plus, il est peu probable que les honorables femmes du bourg aient travaillé jusqu'à leur terme.

Au village du Surchaud, les trois femmes ayant accouchées dans les années étudiées ont souvent bénéficié de l'aide des sages-femmes.

Le taux de mortalité est inférieur dans la zone d'activité de Mathurine Gérard

Le taux de mortalité des femmes est tout de même inférieur dans la zone d'activité de Mathurine Gérard. Là aussi on peut se demander pourquoi ?

Au village de Launay aucune femme n'est décédée des couches durant ces neuf années. Un acte de naissance avec ondoiement, en date du 30 août 1690 peut expliquer la raison de baisse de la mortalité des femmes dans ce secteur : « le trentième jour d'août 1680 a été inhumée... le corps d'une fille baptisée sous condition au ventre de sa mère par Mathurine Gérard une partie d'un bras et de sa main lui ayant donné des marques de vie ainsi qu'elle nous a déclaré fille étant de François Gérard laboureur du village de Launays et de Marguerite Séguineau sa femme ... » L'acte nous apprend que l'enfant a été déchiqueté et probablement pour sauver la vie de Marguerite Séguineau parce que le col de l'utérus ne s'est pas dilaté.

L'acte est soumis à un avis médical : « Inévitablement il y a eu infection, infection généralisée puis décès de la femme. » Non, cette femme ne décède pas et même elle accouche trois ans plus tard, le 4 mars 1683, ce qui veut dire que l'utérus de Marguerite Séguineau n'a pas été infecté lors de son accouchement du 30 août 1680. « Sans le savoir la matrone a modifié ses habitudes d'hyg1ëne. la matrone s'est lavée les mains ou a mis du linge propre. Elle ne sait pas pourquoi cette femme qu'elle a aidé n'a pas été infecté parce que, autrefois, on ne connaissait pas les causes d'une infection. Mais elle n'a pas été contaminée. Se laver les mains était jadis le meilleur moyen de lutter contre les infections. Marguerite Séguineau peut de nouveau être enceinte et le 4 mars 1683 ... « le corps d'une fille née ce jour et décédée après avoir été baptisée par nécessité par la main de Mathurine Gérard en présence de François Gérard laboureur du village de Launay et de Marguerite Séguineau ses père et mère ». L'acte nous apprend que Mathurine Gérard a ondoyé en urgence la petite fille dans le ventre de Marguerite Séguineau. La matrone a pris de l'eau dans sa main et a passé sa main dans le col de l'utérus de Marguerite Séguineau pour atteindre « avec la main » le nouveau-né encore viable et versé l'eau sur ce corps mourant en prononçant la formule du baptême. L'acte ne nous apprend pas comment Mathurine Gérard sortit l'enfant mais probablement après l'avoir déchiqueté. Cette fois encore, l'utérus, n'a pas été infecté par cet accouchement difficile puisque en 1686 Marguerite Séguineau a encore pu être enceinte.

L'acte du 4 mars 1683 est soumis à un avis médical. Pour l'un des médecins interrogés : « Cette femme n'est pas morte en couches grâce au savoir-faire, ou au doigté de cette matrone. » Pour le second : « Cette sage-femme devait avoir les mains propres, pas d'ongles sales et noirs. Pour elle, c'était peut-être naturel de passer ses mains sous l'eau froide. »

En 1686, Marguerite Séguineau a de nouveau pu être enceinte d'un troisième enfant. « ... Et Mathurine Gérard m'a déclaré l'avoir baptisé vu le péril évident de mort »... Le nouveau-né, un garçon prénommé Gilles, survit à l'accouchement le 25 août mais décède à six semaines. Il est inhumé le 6 octobre 1686 .

La mortalité infantile à Saint-Jean-de-Bouguenais...

La courbe du haut, représente le nombre d'enfants baptisés de 1678 à 1686.

En bas, la ligne supérieure, représente le nombre d'enfants décédés dans leur première année.
Sur les 9 années, le taux de décès est égal au taux national soit de 1 sur 4 à cause des deux années : 1680 et 1686.
En 1680 une pénurie de matrones vers l'Ouest de la paroisse, et, en fin d'année une épidémie ou un hiver très rude semblent être à l'origine de la hausse de la mortalité.
De plus, le registre est en mauvais état et laisse présager un taux plus élevé de la mortalité des nouveau-nés durant l'année 1680.
En 1683 le registre ne comptabilise qu'l enfant décédé dans la première année sur 10 naissances dans l'année.

Les nourrissons décèdent principalement entre 0 et 3 mois.
- Les nouveau-nés décédés dans les trois premiers jours.
La courbe des nouveau-nés décédés dans les trois jours n'est pas représentée sur le graphisme. Le nombre de nourrissons décédés dans les trois premiers jours est exceptionnellement faible. Les médecins consultants pensent que les chiffres sont anormalement trop bas parce qu'au XVII° siècle des nourrissons ont, d'après eux, pu naître et décéder, avant qu'ils aient pu être baptisés, et sont donc non déclarés dans les registres.

- Les nouveau-nés décédés entre trois jours et trois mois.

La courbe inférieure en bas du graphisme, représentée en pointillés, représente les enfants décédés entre trois jours et trois mois, donc d'infection liés à l'environnement ou au manque d'hygiène de l'époque. Ces enfants sont obligatoirement déclarés au baptême et à l'inhumation. On peut donc penser que les chiffres correspondent à la réalité. Les taux sont aussi peu élevés. Il n'y a eu que 3 enfants de moins de trois mois décédés du manque d'hygiène sur 55 naissances en 1683. Il n'y a eu que 3 enfants de moins de trois mois décédés du manque d'hygiène sur 50 naissances en 1685.

Les chiffres sont faibles pour le XVII° siècle et néanmoins ces chiffres sont fondés sur des actes écrits.

Mathurine Gérard prodigue-t-elle des soins dans les villages éloignés

=> Durant l'année 1680, 24 enfants sont décédés dans leur première année sur 40 enfants baptisés, avec 7 enfants sur 9 à la Télindière, 3 sur 4 au bourg, 3 sur 5 à la Briandière.

=> Durant l'année 1680, 24 enfants sont décédés dans leur première année sur 40 enfants baptisés, avec 7 enfants sur 9 à la Télindière, 3 sur 4 au bourg, 3 sur 5 à la Briandière.

Seulement 2 enfants sur 12 sont décédés à Boiseau, dans le village où Mathurine Gérard paraît avoir vécu. De plus, les premières pages du registre sont détériorées et des actes n'ont pu être étudiés. Le taux de mortalité des enfants durant leur première année est probablement plus élevé.

=> En 1685 il n'y a eu que 7 nouveau-nés décédés sur 50 enfants baptisés, avec 1 enfant sur 9 à la Télindière, 1 enfant sur 7 au bourg, 3 sur 10 à Boiseau, et 2 sur 2 à Fresnes.

=> Entre ces années 1680 et 1685, le taux de décès a nettement baissé dans les villages éloignés. Il est fort probable que Mathurine Gérard ait parcouru la paroisse pour prodiguer des soins d'hygiène aux boiséennes ou à leurs enfants dans les villages de Saint-Jean-de-Bouguenais.

Mathurine Gérard est la matrone qui assiste le plus de femmes à accoucher entre 1680 et 1686. Elle aide au moins un quart des boiséennes en 1685 et en 1686. A compter de 1682 il y eu aussi vers la Télindière une matrone du nom de Barbe Gérard. Aucun lien de parenté n'a été trouvé dans les registres.

Les matrones se déplacent à pied, ou bien à cheval pour les plus fortunées. A cette époque, plus d'une femme par semaine mettait au monde un nouveau-né dans cette paroisse étendue sur 6 kilomètres. Mathurine Gérard ne pouvait pas être auprès de plusieurs femmes en même temps. La moitié des femmes sont aidées par des parentes ou des amies et exceptionnellement par le mari ou le père de la jeune femme.

Un vent de révolte à la Télindière en 1683 ?

Dans les documents écrits, le manque de transmission est critiqué entre anciennes et
Le village de la Télindière représente un tiers voire un quart de la population de Saint-Jean-de-Bouguenais. Suite à la vieillesse ou au décès de la matrone Perrine Mocquard dans le secteur Ouest vers 1679, aucune boiséenne ne lui a succédé.

Il y eu pénurie de matrones dans ce secteur. Claire Oustin, matrone du Pellerin aide quelques femmes à accoucher sur la Télindière et quasi toutes les femmes au Surchaud. Les femmes du village de la Télindière ont dû solliciter les membres féminins de la famille ou les voisines.

Mais en 1682 et 1683 il semble qu'un vent de révolte ait eu lieu au village de la Télindière. Cette année-là, trois femmes se distinguent comme matrones : Barbe Chesneau, Barbe Gérard, Marie Tabart. Mais seule Barbe Gérard poursuit cette activité dans les années qui suivent.

A la lecture des registres paroissiaux de cette paroisse, Mathurine Gérard a-t­elle créé des vocations ? En 1686 trois nouvelles matrones interviennent dans son secteur d'activité. Mais la diminution de nombre de matrones est due aux abandons des femmes dans cette fonction.

Les présences masculines sont rares

Sous l'Ancien Régime, les femmes comme les hommes ne font pas confiance aux médecins. En 1673 François Corbier, chirurgien au Pellerin est parfois noté comme parrain de nouveau-nés à Saint Jean de Bouguenais.

Le 22 octobre 1689 le chirurgien Dumoulin du Pellerin aide à accoucher une femme de Boiseau. « le vingt deux1ëme octobre 1689 a été inhumé dans le cimetière le corps d'enfant né à pareil jour et baptisé à la maison en cas de nécessité par monsieur Dumoulin chirurgien résidant au Pellerin lequel nous avoir assuré d'y avoir observé tout ce qui est sur venu de faire avant du baptême demi-heure avant la mort du dit enfant fils de Mathurin Guinchet laboureur à Boiseau et de Perrine Prin ses père et mère. Ont assisté à l'enterrement le père de l'enfant, Mathurine Gérard matrone Alexis Prin et autres qui ne savent signer.. ».

L'acte interroge le lecteur.
Qui décide de faire intervenir le chirurgien du Pellerin ? Mathurine Gérard de ne pas pouvoir sortir l'enfant et devoir le déchiqueter pour l'expulser ou bien Mathurin Guinchet de ne pas vouloir perdre sa femme ? Quelle est la durée de temps entre la prise de décision et l'arrivée du chirurgien au foyer du couple à Boiseau ? Qu'a-t-il fait ?

Les saignées sont fréquemment utilisées. Elles ne provoquent pas la dilatation du col de l'utérus de la femme qui est provoquée par la sécrétion d'une hormone cérébrale.

Les césariennes sont exceptionnelles. Au Moyen-âge, les autorités ecclésiastiques considèrent que le nouveau-né est possédé par Satan s'il meurt avant d'avoir été baptisé. Elles encouragent la pratique de la césarienne post mortem maternelle pour tenter de «sauver l'âme de l'enfant » mais refusent la césarienne sur une femme vivante. C'est sous la Renaissance que les césariennes se pratiquent sur des femmes en vie et le médecin devait avoir l'autorisation du prêtre et du seigneur local. La césarienne est l'opération de la dernière chance et entrainent généralement des infections généralisées puis le décès de la femme.

Pourtant, Perrine Prin ne décède pas des suites de cet accouchement.

Des précurseurs de l'asepsie ?

L'asepsie est l'ensemble de mesures prises pour éviter l'introduction des microbes dans l'organisme. Sans le savoir, Mathurine Gérard et les matrones qu'elle a formé semblent avoir respecté des règles d'hygiène qui sont aujourd'hui, pour nous banales, comme se laver les mains, utiliser du linge propre. Sans le savoir, elles semblent avoir limité les risques d'inf ection, cause de décès, en un temps où les antibiotiques n'existaient pas. Peut-être ces femmes ont-elles employées de l'alcool fort pour laver leur paire de ciseaux ? Il y avait de la vigne, du vin dans cette paroisse puisqu'il y avait des marchands de vin et qu'il y avait un trafic commercial avec la paroisse Saint Nicolas. Ou bien peut-être connaissaient-elles les bienfaits des plantes médicinales ? Aucune preuve écrite n'a été retrouvée sur ce sujet.

Quant aux honorables femmes du château du Pé...

Le 1er janvier 1674, Elisabeth Le Teilleuc, femme de Jan Martel, sieur de la Cléraye, du Pé, de la Batasdière, « du légitime mariage du 2rme jour d'octobre 1673 » accouche au château du Pé d'un garçon prénommé Jan. La matrone, Marguerite Galpie, ne semble pas être de Saint Jean de Bouguenais. Le 15 septembre 1674, Elisabeth le Teilleuc décède en la maison noble du Pé.

Le 11 mai 1692, Louise Baril, femme de Jean Martel, sieur de la Cléraye, accouche d'une fille prénommée Catherine. Louise Baril décède et est inhumée le 22 octobre. Jean Martel, se remarie en 1694. Marie Lechat, sa femme est inhumée à trente-cinq ans le 13 avril 1695 après avoir accouché d'une fille née et inhumée la veille le 12 avril.

Petite histoire d'accouchement à la Télindière...

« le seizième jour du mois d'aout 1695 fut baptisé en cette église de Saint Jean de Bouguenais et celle de Nantes François né du jour précédent fils de René Champion marchand de toiles blanches et de Janne Girard ses père et mère tous deux de la paroisse de St Colomb {Saint Coulomb) et celle doles qui étant venu pour le trafic en Bretagne ladite Janne attente du mal d'enfant a accouché... ».

Le 15 aout 1695 un navire accoste précipitamment au port de la Télindière. Une femme a probablement perdu les eaux sur le bateau de son mari, un « marchand de toiles blanches » du nord de la Bretagne. Et Janne Girard accouche d'un garçon en la maison de la veuve Debecque.

Cet acte nous apprend que le « trafic en Bretagne » c'est-à-dire le commerce triangulaire existait déjà et faisait vivre des petites entreprises et pas seulement locales.

Dernier acte

« le 21 jour de février 1699 fut inhumé dans le cimetière le corps d'un petit enfant né le jour d'hier du légitime mariage de Maurice Lemonnier et de Perrine Buau baptisé à la maison par Mathurine Gérard matrone... ».

Cet acte est le dernier dans lequel est notifié Mathurine Gérard.

10 avril 1701

« le 10ème jour d'avril 1701 a été inhumée dans le cimetière le corps de défunte Mathurine Gérard matrone âgée d'environ quatre-vingts ans en présence de Pierre Gérard de Mathurin Chauvelon et autres qui ne savent pas signer ». Signé Lebreton.

Même ce prêtre Lebreton voue une reconnaissance à cette femme en citant son activité dans son acte de décès. Cette femme est une des rares matrones à avoir eu sa profession citée dans son acte de décès.

Avec l'observation et le raisonnement logique, on peut faire progresser la médecine.

Durant ces neuf années, il y a trop de faits troublants pour ne pas affirmer que Mathurine Gérard ait été une femme compétente.

« Cette femme avait peut-être un doigté, un savoir-faire, un accompagnement meilleur que les autres matrones » concluent les médecins consultants.