Un prêtre boiséen en Océan pacifique |
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Bertreux
Jean-Baptiste-Ephrem
Né à Saint Jean de Boiseau, le 13 janvier 1853.
Ordonné prêtre le 16 juillet 1878.
Décédé le 14 janvier 1919 à Rua Sura.
Fils de Jean-Baptiste Bertreux et de Prin Marie-Rose, Jean-Baptiste-Ephrem Bertreux est né à Boiseau le 13 Janvier 1853. Il fit ses études secondaires aux Couëts et à Nantes avant d'aller au Grand Séminaire. Durant la guerre de 1870 il décida de s'engager dans les Zouaves. Après sa libération, il reprit ses études et fut ordonné prêtre le 29 juin 1878. Bien apprécié et manifestant très vite un goût prononcé pour les missions, il partit pour les îles Fidji où il arriva au début de décembre 1879. Il y restera 23 ans dans différentes missions, notamment à Wairiki avant d'être envoyé en 1903 aux îles Salomon méridionales comme préfet apostolique continuer sa mission d'évangélisateur. Il fut sacré évêque de Musti (province de Carthage), le 28 octobre 1912 à Nantes, lors de son seul séjour en France après son départ en Océanie. Il s'éteindra après 40 ans de mission le 4 juin 1919 à Rua Sura, une île située 10 km au large de Guadalcanal, une des îles Salomon.
Il semble que, très jeune, il ait pensé à ce genre
d'existence. En tout cas, c'est durant son noviciat qu'il fit à
Verdelais, sur les bords de la Garonne près de Bordeaux, sa demande
pour partir en Océanie. Nous sommes alors le 15 février 1879 et il
s'adresse par courrier à son supérieur :
« Peut-être déjà avez-vous entendu
parler par le père Soulas d'un de ses compatriotes qui l'a suivi au
noviciat de Verdelais et qui ne désire pas moins le suivre en Océanie
: c'est ce novice qui a l'honneur de vous écrire ».
Evoquant une origine d'inspiration divine à sa vocation, il n'a de
cesse de souligner la persistance de celle-ci pour mieux en faire paraître
le côté irrévocable :
« J'ai commencé mes premières études
avec cette pensée et depuis ce temps elle n'a fait que grandir et se
fortifier de plus en plus. Travailler au salut des pauvres infidèles,
voilà depuis douze ans le rêve de ma vie, l'objet de tous mes désirs
et de tous mes voeux, celui de toutes mes prières. Depuis mon année de
sixième je ne crois pas avoir passé un seul jour sans demander
plusieurs fois au Bon Dieu la grâce d'être missionnaire ».
Tout au long de son courrier, il plaide avec fougue sa cause, évoque les conseils de patience que lui prodiguèrent professeurs et prêtres sans jamais voir celle-ci s'amoindrir. Il suivit pourtant ses précepteurs et voulut entrer dans la Société de Marie avec cet objectif. Il ne put y parvenir, l'évêque de Nantes ne voulant pas le laisser sortir du diocèse. Mais son opiniâtreté eut raison de toutes les embûches.
Avant la fin de l'année, il partait pour ce pays pour lequel il semblait tant attirer.
Le 1er mai 1889, Bertreux écrit au supérieur général
de la Société de Marie et lui dresse un état des lieux des différentes
îles du Pacifique où sont implantées les missions évangélisatrices.
Il plaide ainsi la cause des îles Fidji et fait ressortir le peu de
moyens dont il dispose :
« ... Aussi, c'est le coeur brisé et les
yeux pleins de larmes que nous nous joignons à sa Grandeur pour vous
supplier de jeter un regard de compassion sur cette pauvre mission que
nous aimons de toute âme et pour laquelle nous voulons nous dévouer
jusqu'à la mort ».
38 ans plus tard, alors qu'il ne lui reste plus que 19 mois à vivre, il
écrit encore :
« ... Vous savez comme moi les dures épreuves par lesquelles il a plu à Dieu de nous faire passer ces dernières années : Ayant perdu le tiers des membres de la Mission, n'ayant plus que 12 missionnaires au lieu de 18, voyant ceux qui restent anémiés et usés avant le temps, témoin attristé de l'état des souffrances dans lequel se trouve aujourd'hui nos oeuvres jusqu'ici florissantes, j'en éprouve les plus grandes inquiétudes, et c'est le coeur plein d'anxiété que j'envisage l'avenir ».
Voici un tableau qu'il dressa quelques temps auparavant :
Iles |
Fidji |
Samoa |
Océanie Centrale |
Nouvelle Calédonie |
Population | 135 000 | 35 000 | 36 000 | 68 000 |
Missionnaires | 12 | 17 | 20 | 40 |
Rapport M/P | 1/11 250 | 1/2 060 | 1/1 800 | 1/1 700 |
Catholiques | 10 000 | 5 100 | 8 000 | 19 500 |
Rapport C/P | 1/833 | 1/300 | 1/400 | 1/487 |
A ces conditions dues aux moyens utilisés s'ajoutent d'autres consécutives au climat des lieux. Si celui-ci est généralement clément, il n'en demeure pas moins sujet à de brusques changements d'humeurs. Ainsi, tempêtes et cyclones s'abattent régulièrement sur ces contrées.
Le 10 janvier 1895, Bertreux écrit :
« ... Cawaci n'est plus hélas qu'un monceau de ruines. Un terrible cyclone nous a visités de nouveau et mon Eglise neuve, mes classes, les cases de mes élèves, tout est par terre. Nous sommes sans abri et sans nourriture, car nos plantations sont ruinées.
...C'est la troisième fois en dix ans que je vois mes églises renversées : en 1885 à Loreto, en 1889 à Wairiki et cette année à Cawaci. Nous ne sommes pas découragés et nous allons nous remettre à l'oeuvre ... ».
En octobre 1903, Bertreux dispose d'un nouveau
voilier qu'il baptise « Verdelais » en souvenir de l'école où
il fit son noviciat. Il vient d'être nommé préfet apostolique et
s'apprête à faire le tour des îles qui seront désormais sous sa
responsabilité. Les déplacements d'île en île sont assez longs par
voie maritime et il dispose d'un peu plus de liberté. Il en profite
pour décrire un peu mieux les lieux qu'il visite et faire un peu
d'ironie à propos des fidèles de Sa Très Gracieuse Majesté. Ainsi à
propos de Rua Sura :
« C'est une île madréporique, banc de
corail de cinq milles de long et à peine un mille de large, élevé de
3 ou 4 pieds seulement au-dessus du niveau de la mer ; couvert d'une forêt
épaisse d'arbres géants, si hauts, si serrés et si bien rasés au
sommet par le vent de mer que les capitaines anglais qui ont fait ici de
l'hydrographie ont pris le milieu de l'île pour une montagne à
laquelle sur leurs cartes marines ils donnèrent une hauteur de 100
pieds. Erreur profonde de vos sens abusés, Messieurs les Anglais : Rua
Sura est un banc de corail uni et plat comme la table de votre salon.
Quel contraste avec les îles voisines dont les montagnes vont se perdre
dans les nues à une hauteur de 8 à 10 000 pieds. Quand il y a 6 ans,
Mgr Vidal acheta Rua Sura pour y établir la première station de la
mission, cette île n'avait pour habitants que des iguanes, des
serpents, des mégapodes, des pigeons, des hérons et autres oiseaux de
mer. La forêt couvrait l'île entière jusqu'au rivage. Monseigneur et
ses missionnaires, armés de grosses haches américaines attaquèrent
les arbres géants et bientôt vesis et dilos, les bois les plus durs
des forêts océaniennes, tombèrent sous leurs coups ... deux
petites tentes peuvent être dressées tout près du rivage. L'une
servit longtemps d'abri aux missionnaires et la seconde fut leur
chapelle provisoire
Aujourd'hui, une église en planches, un presbytère convenable et 10
cases indigènes remplacent les tentes. Le défrichement de la forêt
continue et l'île se couvre de cocotiers qui déjà balancent dans les
airs leur superbe feuillage. Le R.P. Bouillon en a planté 6 000, tous
bien alignés et pleins de vie. Quelque-uns donnent déjà des fruits,
les autres sont en fleurs. Ce sera dans quelques années une précieuse
ressource pour la mission ».
A propos d'une autre île qu'il visite (Marau), il
nous relate les faits suivants :
« [...] C'est maintenant le cimetière des
villages de la côte. Les cadavres en putréfaction sont déposés dans
de larges corbeilles en feuilles de cocotier, on les suspend à des
branches d'arbre jusqu'à ce que les chairs soient consumées ; les
ossements sont ensuite recueillis dans de petites boîtes placées ça
et là sur le rivage ».
Un mariste (le père Duclos) à un autre mariste (Régis)
« On a parlé bien des fois des dangers
auxquels est exposée la vie des missionnaires d'Océanie : fièvre,
naufrages, lance ou casse-tête des sauvages ; on connaît moins les
petites misères, auxquelles on ne saurait échapper, et qui constituent
le martyre quotidien et à petit feu du missionnaire :
1°) la chaleur,
qui atteint parfois là-bas des proportions insolites ;
2°) la
nourriture, qui n'est pas, en général, très appétissante ;
3°) le
lit, qui n'est autre bien souvent que le plancher, quand plancher il y
a, ce qui n'arrive pas toujours ;
4°) enfin les petits animaux
domestiques, j'entends par là les multiples petites bêtes avec
lesquelles on vit en contact perpétuel : les moustiques ; les lézards,
qui se promènent gentiment dans la maison, font le tour des chambres,
montent sans scrupule et sans peur jusque sur les tables et sur les lits
; les cancrelats, qui se permettent des familiarités bien audacieuses ;
les crabes, qui, à une certaine saison de l'année, s'ensevelissent
eux-mêmes dans le sol avant de mourir, après quoi leur cadavre en
dissolution exhale une odeur infecte ; les araignées géantes, dont le
corps, gros et rond comme une noisette, envoie dans toutes les
directions des pattes effilées d'une longueur invraisemblable ; enfin
les fourmis naines, à peine visibles à l'oeil nu, si on les considère
isolément, mais qui marchent ordinairement en files serrées et
interminables, comme les bataillons d'une armée en un jour de
manoeuvres ou de grande revue ... ».
Comme quoi, il suffit de s'habituer !!
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Bertreux passa une partie de sa mission aux Fidji à Wairiki, mais il ne fut pas le seul dans cette localité. Ce témoignage daté de 1886 nous est parvenu (en provenance du père Deniaud qui fit construire une église à trois nefs voûtées et couverture en fer galvanisé en ce lieu ) sur le service de restauration lorsqu'un hôte de qualité venait effectuer une visite.
« [...] Non loin de là (il
s'agit du presbytère)s'élève aussi une
belle école neuve pour les garçons, en attendant qu'on leur construise
aussi dans les mêmes conditions un bouré (maison d'habitation). ".
Quant au village des filles, placé à une certaine distance, de l'autre
côté de l'église, il est un peu moins en progrès ; mais cela
viendra. Les bonnes Soeurs du Tiers-Ordre régulier, qui président à
ce village, comptent sur la Providence.
Ce village des filles à Wairiki est assez éloigné du presbytère ; il
est situé à trois ou quatre cents mètres environ, sur un petit
tertre, que l'on appelait jadis du beau nom de Paradis, remplacé
maintenant par celui de Visitation. Or, comme c'est là que se prépare
la nourriture du Père, et que c'est ici qu'elle se mange, les aliments
ont un long trajet à parcourir avant de passer de la cuisine à la
salle à manger. Aussi pendant notre séjour, eûmes-nous maintes fois
à admirer le curieux spectacle qui se déroule au moment où sonne
l'heure des repas. Du haut de la colline, un régiment de petites filles
de l'école, qui sont en sous-ordre à la cuisine, où elles font leur
apprentissage, descend gravement à la file indienne, portant à deux
mains, qui une soupière, qui un rôti, qui une salade, et le tout est déposé
à la porte du réfectoire, où les garçons servants sont chargés de
le prendre. Même manège après le repas pour emporter les plats vides ».