Du blé au pain |
On pratiquait déjà les assolements, la culture du blé faisant suite à celle des betteraves et des choux, mais
faute de moyen, rarement après des prai ries qui étaient permanentes.
Pour les labours, effectués avec un seul cheval, on mettait le sol en sillons d'environ un mètre, séparés par une raize (1 ). A
St Jean de Boiseau, une danse « scottishe » transformée, s'intitulait « Bigne dans ia raize ». Il faut dire que lorsque le blé
était haut, la raize était parfois témoin d'ébats amoureux extra-conjuguaux.
Pourquoi la culture en sillon ? C'était la méthode des cultures précédentes, peut-être pour permettre l'écoulement de reau ;
mais surtout pour les opérations à venir, avec ou sans cheval, la raize n'étant pas ensemencée.
On fumait le sol avec du fumier et un peu de superphosphate de chaux enfouis au moment du labour.
Les semailles avaient été immortalisées par V. HUGO avec « le geste auguste du semeur ». Chez mes parents , ma grand-
mère Reine SOULAS jusqu'à son décès en 1934 à l'âge de quatre-vingt-un ans, avait le privilège de semer le grain. Malheur à
celui qui oubliait un sillon. Il mourait dans l'année. Bien sûr, s'il y avait un blanc, on n'en parlait pas à la responsable
qui vu son âge n'allait pas vérifier, quand le blé levait.
Enfin on « adoubait » (2) avec une herse et un rouleau bi-conique tirés par un cheval, pour enfouir un grain, ou à défaut,
si la terre était mouillée avec un traîneau de bois épousant la forme du sillon.
A la fin de l'hiver, le blé avait grandi .. . Les mauvaises herbes aussi. Ces dernières étaient arrachées
à l'aide d'un « bêchon », petite bêche recourbée de 3 à 4 cm de largeur.
« Parer » (3) était un travail long et fastidieux. Aujourd'hui on utilise un désherbant sélectif Ensuite, dans la foulée, pour
faire « taller »(4) le blé on passait , avec le cheval, une herse bombée ou le rouleau bi-conique.
Le blé qui se mettait en épis un mois après le seigle disait à ce dernier « En may (mai), j'irais aussi my
(moi ): La moisson s·effectuait en juin.
On transformait la faucheuse. La planche à andains (5) était remplacée par une pièce similaire, mais plus haute avec une
roulette à l'arrière pour suivre la raize. L'arrière de la lame de coupe était garni d'un tablier, actionné par une pédale, à
partir du siège du conducteur, placé au-dessus de la roue droite. Le cheval marchait dans la raize. Avec ce dispositif, le
préposé, à l'aide d'un bâton couchait le blé coupé sur le tablier et actionnant sa pédale laissait sur le terrain, de distance
en distance, derrière la moissonneuse, la valeur d'une gerbe. On préparait un lien avec deux poignées de blé torsadé sous les
épis, ces derniers orientés face opposée à la raize. Puis « appattant » (6) la gerbe, on l'assujettissait en tordant les deux
bouts du lien et en-passant l'extrémité sous celui-ci. Plus tard on utilisa des cordes conçues spécialement pour cette ligature.
Enfin on mettait les gerbes en quintaux (par cinq bottes) en les entassant alternativement, en croix, sur un sillon, les épis
vers l'intérieur.
Comme pour faucher l'herbe, on débordait à la faucille pour permettre à la moissonneuse de débuter son travail.
Au village, quatre ou cinq borderies (7) s'entr'aidaient pour les battages, mais par commodité, chacun dans
sa cour de ferme.
L'aire (8), désherbée à la pelle, était durcie en surface avec un mélange d'eau et de bouse de vache épandu avec un balai de
genêt. On y édifiait alors le « gerbier ». Amenées des champs où elles attendaient en « quintaux », les gerbes étaient alignées,
pieds à l'extérieur, formant une meule allongée qu'on recouvrait de foin pour la protéger de la pluie et aussi des oiseaux.
Les battages étaient effectués par un entrepreneur qui possédait vanneuse, monte-paille et locomobile à vapeur. Ils débutaient
fin juillet, se poursuivaient en août et parfois début septembre.
La veille au soir, du jour convenu, les attelages partaient chercher la « machine » dans le village précédent, parfois fort
éloigné. La vanneuse, grande caisse de bois sur roues, au ventre mystérieux, aux flancs bardés de poulies et de courroies,
était relativement légère ; un seul cheval pouvait la tirer. Par contre, pour la lourde locomobile, il fallait deux chevaux
surtout si l'on devait emprunter un chemin de terre avec des ornières. C'était souvent laborieux. Les chevaux inhabitués à cet
exercice, tiraient parfois à contre temps. D'aucuns prétendaient que leur cheval était le plus fort et parviendrait seul,
d'autres laissaient aire et faire. L'entrée dans les cours de ferme posait souvent problème : portails ou dalles sur caniveaux,
étroits.
De son côté, la fermière s'affairait pour recruter des personnes, retraités et ouvriers en congé ou en 2/8, pour préparer les
repas du soir des battages. Une tuait le coq, une autre cuisinait des escargots farcjs. Au cellier, on remplissait les
touques (9) de vin pour le lendemain.
Enfin on était au jour des battages. Très tôt, le mécanicien qui souvent couchait sur place devait « chauffer » pour avoir
de la vapeur à l'heure désirée. On lui fournissait le bois d'allumage du foyer et un tonneau d'eau pour la chaudière, les
briquettes de charbon étant parvenues la veille.
Vers 7 h 30,tout le personnel était arrivé et participait aux réglages de l'emplacement des macliines sous les directives et
aux commandements de l'entrepreneur. Par sécurité, la locomobile était éloignée de la vanneuse, mais reliée à celle-ci par une
large courroie de transmission. Celle-ci sautait parfois, lorsque l'alimentation en gerbes était trop généreuse et engorgeait
la machine. La locomobile, avec sa haute cheminée, coiffée d'un panier à salade, ses deux grands volants, son régulateur à
boules tournoyant et son foyer rougeoyant, montait en pression. La fermière avait placé des toiles ou de vieux draps sous la
vanneuse pour récupérer le « blé cassé » et celui qui s·échappait lors des changements de sacs.
Enfin, si matériel et gens étaient prêts, un coup de sifflet à vapeur et la machine s'ébranlait dans un vrombissement
assourdissant. Tout le monde était à son poste :
- Trois ou quatre, avec des fourches, sur le gerbier
- Cinq sur la vanneuse, deux de chaque côté pour étaler les gerbes sur la table, l'un d'eux
coupant les liens de paille avec un couteau parfaitement aiguisé, le cinquième en bout, alimentant des mains et avec régularité
la machine.
- Trois ou quatre sur le pailler, sous la descente du monte-paille, tentant avec leurs fourches
d'équilibrer la meule.
- Deux au sol, entre vanneuse et monte-paille , dans la poussière , pour récupérer la
« menue paille »
- Quatre ou cinq « aux sacs », dont un à l'arrière de la vanneuse, pour accrocher les sacs aux
goulottes d'évacuation du froment, pour les ficeler et donner un coup de main pour les balancer sur le dos des garçons jeunes
et vigoureux chargés de les transporter au grenier. Celui-ci était souvent difficile d'accès, escalier de pierre aux marches
inégales, ou trop bas, s'obli geant à plier les genoux, échelle de meunier. Au grenier, le sac, toujours sur le dos, était vidé
sur le tas qui grossissait.
- Un aux baillers (enveloppe des grains de blé) poussant avec un râteau de bois vers le tas où
jouaient les enfants. Parfois un des garçons préposés aux sacs y poussait une fille en essayant de lui remplir de halliers son
corsage.
Sans arrêter le travail, la fermière faisait circuler la touque de vin, un peu « mélé » car le travail était dur et parfois
dangereux. Pour ceux du gerbier ou du pailler, hauts perchés, on passait la touque au bout d'une fourche à long manche, un
doigt fixe de celle-ci dans une des oreilles.
Au Landas, dans chaque ferme, le battage durait environ une heure. Ensuite, profitant de la nombreuse main-d'œuvre, on
déplaçait les machines puis on attelait les chevaux pour gagner la ferme suivante. Le fermier profitait de cet intermède rapide
pour offrir, « au cul de la barrique » une tournée du meilleur vin de sa récolte.
A midi, le déjeuner était rapide, et l'on recommençait.
En général, on finissait tôt le soir et déjà les attelages du prochain village attendaient.
Le travail terminé, chacun se lavait de la tête aux pieds car la poussière avait pénétré partout, puis on finissait la journée
en beauté autour de la table dressée dans la plus grande pièce de la maison, comme sur la dernière page de tous les « Astérix».
Au menu, toujours la « soupe grasse » pour débuter, puis le pot au feu, le poulet, pas de fromage, mais des fruits de saison,
de la ferme, le tout copieusement arrosé. On terminait par le café et la goutte. Pas besoin de bâillonner le barde, mais les
plus doués y allaient de leur chansonnette qui, le vin aidant, était repris en chœur.
Le fermier, pour sa part, savourait le fruit de son travail de toute une année, les labours d'automne, les semailles, le
sarclage, la moisson et enfin le blé au grenier.
Mais revenons au froment en tas dans le grenier. Il était acheté par le meunier du moulin des Charbonnières de Brains, Félix HERVE dit « trompette » diminutif de « trompe le diable », surnom hérité de son père, meunier à « l'Hôtel aux œufs » (11). Une fois le froment pesé, mis en sacs de 75 Kg, il était embarqué en camionnette. Le moulin qui autrefois avait eu des ailes, fonctionnait au gaz pauvre. Il résista à la concurrence des grands moulins industriels un peu après la guerre de 39-45. Le règne des nombreux moulins à vent était révolu depuis le début du siècle.
Avec la farine, de l'eau, du sel, et du levain on préparait la pàte. Courbé en avant, on la malaxait dans une
« maie », grande auge de bois avec couvercle et quatre pieds.
Une fois levée, ce qui demandait au moins une nuit, la pàte était divisée et placée dans les panetons, bourriches de paille
tressée avec des écorces de ronces, qui donnaient leur forme aux futurs pains.
Le four en absidiole, comportait une voûte basse en briques réfractaires surmontée d'une épaisse couche d'argile, pour
la conservation de la chaleur. Il était couvert en tuiles « tiges de bottes » comme la plupart des maisons. La gueule
de la cheminée s'ouvrait, en avant et à l'extérieur de la porte du foyer.
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Dans un local contigu étaient disposés, la maie, les pelles à enfourner, en bois, un « rouable »
métallique et des fourches.
On chauffait le four avec des javelles de ronces et d'épineux et aussi avec de nombreux fagots de bois. Une brique spéciale, le
« moine » indiquait par sa couleur, qu'on avait atteint la bonne température. On raclait alors les braises avec le rouable et
on enfournait, puis on obturait le foyer avec une plaque métallique.
Une fois cuits et refroidis, les pains étaient placés sur deux supports, accrochés aux poutres du plafond, par crainte des souris.
On boulangeait tous les quinze jours aussi n'avait-on que rarement du avant la pain frais. Dès avant la guerre 14-18, cette
pratique disparut et ma grand-mère fut sans doute la dernière à pétrir son pain, mais elle le donnait à cuire au boulanger du
bourg, Pierre HUET.
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Autrefois, ce dernier, comme le meunier ne recevait pas d'argent des cultivateurs, mais se payait en nature
en prélevant un pourcentage de farine pour la mouture et la cuisson.
Les temps étaient durs et nos ancêtres gros consommateurs de pain. Le boulanger utilisait le système des «coches ».
« La coche »
C'était un bâton de châtaignier fendu en deux, une partie pour le vendeur qui portait le nom du client et l'autre pour ce
ernier. A chaque pain vendu (en général tois livres) le «meneur de pain » qui allait de village en village entaillait de la *
même encoche les deux parties réunies. On s'acquittait au mois ou à la quinzaine, au moment de la paye, pour les ouvriers. De
là, l'expression plus générale « régler à la coche », c'est à dire acheter à tempérament.
(1) Raize : Espace creux entre chaque sillon |