As-tu vu Crémet ? |
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Depuis son unique intervention de 1925, Cremet a disparu. Disparu du conseil municipal, disparu de la circulation, disparu de son domicile ...- - - - -
Pas même ses électeurs.- - - - -
Cremet a cependant un domicile. Mais jusqu'à jeudi la police politique l'ignorait. Et lorsque, après huit jours de recherches, elle l'a découvert au 14 du passage de la Grande-Route, dans le XI/ème arrondissement, Cremet, qui, lui est mieux renseigné sur les intentions de la police que la police ne l'est sur les siennes, Crémet avait pris « le large ».- - - - -
Cremet, en effet, n'et point un communiste banal. C'est un chef, d'autant plus redoutable, qu'il se cache, on vient de voir, avec quelle ténacité et quel succès.- - - - -
Quelles que soient les surprises que nous réserve l'enquête sur l'espionnage communiste, il est douteux que nous apprenions par la suite une histoire plus ahurissante que celle de Cremet conseiller municipal fantôme ignoré de ses collègues et électeurs, ignoré de la police politique, haut personnage à Moscou, insaisissable, couvert par la complicité d'un quartier infesté de communistes et qui passe la frontière comme il lui plait, quand il lui plait, à la barbe des gardiens de l'ordre.![]() |
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Voici notre chaudronnier d'lndret promu VRP de la cause communiste. Dans le plus parfait anonymat
et sous des identités constamment modifiées, le Mexique, l'Italie, la Belgique, le Vietnam, la Tunisie entre autres
recevront sa visite.
En 1928, Cremet a déjà effectué une première mission en Chine, mais c'est un an plus tard que Jean y retourne avec
pour mission d'organiser la résistance du PC chinois à Shanghai.
La Chine ! l'Empire du Soleil levant ! Depuis la naissance de la République chinoise en 1911, bien des choses s'y
sont passées.
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S'imprégner de toute cette ambiance, se plonger dans ce cloaque où chacun épie chacun, où l'ami
d'aujourd'hui sera celui qui demain vous livrera à l'ennemi, ressentir cette oppression permanente, seul le talent,
mais également toute la rigueur dans la recherche de Roger Faligot et Rémi Kauffer pouvaient nous les ressusciter.
Ajoutons à cela pour notre Haut Breton, que la police française le recherche toujours et que, suite à son abstention
d'octobre 1927, l'administration politique d'Etat, la terrible police politique gérée de main de maître par Staline,
le Guépéou veille constamment sur lui et sur les personnes qu'il rencontre.
Le croiriez-vous ! Jean déprime. C'est la période des doutes et des regrets. Sa santé, dans ce contexte ne s'améliore
pas. De plus, afin de répondre à la pression de plus en forte exercée à son égard, il franchit la ligne jaune et
fréquente des milieux peu recommandables. Même si la cause semble juste, alimenter en armes la résistance oblige à
bien des compromissions. Tantôt à Hong Kong, tantôt à Kobé, au Japon, tantôt à Singapour : suivre sa piste semble de
plus en plus difficile.
Et soudain, plus de Jean Cremet. Plus de René Dillen non plus, l'une de ses dernières identités. Plus aucune trace si
ce n'est des bruits bien souvent sans fondement
Mort de maladie dans une quelconque chambre d'hôtel ? Assassinat ? Disparition en mer pendant une traversée vers le
Japon ou noyade ?
Cremet a disparu ! Cremet n'est plus !
Si le moment n'était pas si tragique, le commissaire Louis Duclaux, l'un des patrons de la « Surtanche », la police
secrète française, aurait pu, à son tour, lancer avec ironie un « As-tu vu Cremet ».
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L'homme de lettres est un habitué de l'Asie. Son premier séjour sur ce continent date de 1924. Il y
revient en 1925 et se fait remarquer par ses opinions et ses prises de position anti-colonialistes et
antiimpérialistes.
En 1925 et 1926, accompagné de Clara, il est en Chine. On lui attribue même un rôle actif dans l'alliance,
passagère et de circonstance, des polices secrètes soviétiques et chinoises du Komintern et du Guomindang. D'ailleurs
deux de ses récents ouvrages font référence aux grèves de 1925 à Canton (Les conquérants) et de l'insurrection de
Shanghai de 1927 (La condition humaine)
C'est de ces deux principaux ouvrages qu'il tire cette notoriété
A leur table une troisième personne : portant la quarantaine, petit, le cheveu roux, ne présentant pas une santé
florissante. Ce monsieur Thibault, vous l'avez reconnu, n'est autre que Jean Cremet.
Comment est-il arrivé là ?
Comme nous le disions plus haut, André Malraux et son épouse sont de vieux habitués de l'Extrême Orient. Le Shanghai
grouillant, que nous avons décrit plus avant, ils le connaissent. Pour les besoins de son ouvrage, André s'est
intégré à cette vie, il s'y est fait des relations. C'est ainsi qu'ils font la connaissance de Jean : un être
déprimé, sans espoir, déçu par la vie, loin des siens au bord du gouffre. Et là, c'est le déclic. Le solitaire se
livre se dévoile à ces deux Français. L'écrivain est enthousiasmé, voire incrédule en écoutant ces révélations. Ce
petit homme malingre est un trésor, une véritable source d'inspiration et, ce qui ne gâte rien, il représente pour
Malraux un idéal de penser qui lui est proche. C'est ainsi que le couple devient le protecteur et plus tard l'ami de
notre petit rouquin.
Les côtes françaises se rapprochent. N'oublions pas la sentence qui pèse sur Cremet. Par bonheur tout se passe bien.
Ouvrons ici une courte parenthèse. Il est étonnant comme à cette époque il est facile de vivre sous une fausse
identité. Les ouvrages relatifs à cette période regorgent d'exemples de ce type.
Il ne fait pas bon rester en France. La prudence l'emporte et Jean se réfugie en Suisse. C'est là qu'il y retrouve
Louise Clarac, son égérie. Ce séjour ne peut s'éterniser ; il faut trouver une solution. Ils retourneront en
France, à Limoges, profitant en cela de l'aide bienveillante de la mère et du beau-père de Louise, M. et Mme Jamet.
Jean aurait bien aimé revenir vers son pays nantais, mais la prudence l'emporte sur les sentiments.
Le plus important est, cette fois, de se confectionner une identité en béton. Là encore la famille Jamet trouve la
solution. C'est ainsi que Jean prend l'identité d'un vieux militant communiste habitant à quelques kilomètres.
Cremet n'existe plus ; vive Gabriel Pierre Peyrot né à Pons le 5 octobre 1890 ! Quant à Louise elle sera désormais
Marie-Thérèse Voisin. C'est sous ces nouvelles identités qu'ils partent s'installer à Bruxelles. Contre toute
attente, Peyrot trouve un emploi dans une petite entreprise, la SBAC, et y fait « son trou ».
Sous la cendre, la braise est toujours présente. Il ne suffit que d'un souffle pour qu'elle s'active à nouveau.
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Aux élections de février 1936 en Espagne, les partis de gauche unis en un Front populaire
remportent la majorité des sièges. Cette union, par le fait des luttes intestines qui l'accablent, laisse vite
entrevoir ses faiblesses.
Le 13 juillet, Calvo Sotelo, l'un des leaders de l'opposition est assassiné. C'est l'instant qu'attendaient les
Phalangistes et la junte militaire du général Franco pour lancer l'insurrection. L'Europe, et notamment la France,
se mêle au conflit.
Malraux s'engage personnellement. Il met sur pied une escadrille et en prend la tête. Mais, il faut aussi des armes
pour soutenir l'armée républicaine. Pour ce faire , il faut des relations.
Depuis son arrivée en France !'écrivain a toujours entretenu ses relations avec Jean Crémet, et, il ne suffit que
d'ouvrir ses publications de l'époque pour s'en convaincre.
Au contact du petit rouquin, il a beaucoup écouté et beaucoup retenu ; Jean, c'est un peu sa source d'inspiration. Il
y a entre ces deux hommes une certaine complicité dans leur analyse de la société ; ils partagent en commun une
certaine idée de l'homme et de son combat.
A Shanghai, Cremet n'avait-il pas pour tâche l'approvisionnement en munitions des troupes de Mao ?
Voilà pourquoi Malraux s'en vient trouver notre Bruxellois et lui demande son aide.
Gabriel Peyrot a-t-il un instant d'hésitation ? Est-il permis d'en douter ?
C'est donc avec enthousiasme qu'il se met de nouveau au service de son idéal : la victoire du prolétariat, même si
aujourd'hui celui-ci a pris l'accent espagnol.
Et puis ne l'oublions pas, si l'Angleterre et la France apportent leur soutien aux républicains, le Komintern s'est
lui aussi engagé dans ce conflit ; c'est d'ailleurs lui qui est à l'initiative des brigades internationales qui, dans
un premier temps, freinent les avancées des troupes franquistes.
Mais, car il y a un « mais » : pour l'Etat français comme pour le Guépéou devenu depuis 1934 le bras du commissariat
du peuple le NKVD, le dénommé Jean Crémet est officiellement mort depuis un an ou ...supposé tel, puisque son corps
n'a jamais été trouvé ou identifié. Les services secrets français en ont été informés par courrier du 11 février ; il
aurait été assassiné par les agents de l'Intelligence Service.
Dans ce contexte, il est impératif que Jean se tienne sur ses gardes.
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Hormis le fait d'user de ses relations dans le monde des marchands de canons, quelle fut l'action
de Crémet dans ce conflit ? Le travail d'investigation réalisé en ce domaine par Roger Faligot et Rémi Kauffer laisse
planer quelques doutes.
A-t-il participé directement aux affrontements entre les troupes nationalistes et républicaines ? Homme de l'ombre,
Jean n'est pas un personnage a laisser beaucoup de traces. D'autre part, s'il était besoin de le rappeler, sa
situation relatée ci-dessus ne peut qu'accréditer ces propos.
Au printemps 1937, le voici cependant de retour à Bruxelles. Il n'oublie pas pour autant la lutte des républicains
espagnols.
Les aides européennes sont de plus en plus timorées et les enjeux politiques prennent de plus en plus le pas sur les
idéaux. Pour des raisons de stratégie politique Staline a diminué ses engagements. Ce n'est pas le cas de l'Allemagne
d'Hitler qui, en prenant la maîtrise du ciel assure le succès de la Phalange. La guerre civile gagne en apreté et en
violence. La population civile paie un lourd tribut. Qui ne se souvient de cette fin d'avril 1937 et cette pluie de
bombes tombant sur Guernica et faisant de nombreuses victimes parmi la population !
Malgré les conseils de modération de Louise, Jean, le défenseur des causes perdues, ne songe qu'à retourner se
battre. Usant de ses relations dans le milieu anarchiste français le voici de nouveau à Barcelone. Hélas, cette
incursion ne sera que de courte durée et ce n'est que miracle s'il n'est pas arrêté. Il ne doit, à nouveau, son salut
que dans la fuite.