Cremet, puis vint la seconde guerre mondiale |
Devant les évènements qui se précipitent notre homme ne peut resté inactif et communique son besoin
d'agir et son dynamisme à sa timorée maîtresse. Bien avant que les troupes de l'envahisseur ne fassent leur entrée et
s'installent à Saint-Pol, ils ont lié quelques contacts avec la Résistance locale qui s'organise. Il faut le
reconnaître, ce Monsieur Peyrot est un auxiliaire de choix. Ses connaissances dont il fait état dans la langue de
Goethe sont des arguments de poids dans le contexte du moment. Il possède également, a-t-il dit, un dictionnaire
russe et il parle cette langue couramment !
Ses riches capacités ne sont pas sans soulever des interrogations. D'où vient cet homme qui a su conquérir aussi
rapidement les faveurs de Mademoiselle Héroguelle ? Où a-t-il acquis toutes ses connaissances ? Dans quelles
mystérieuses circonstances a-t-il rencontré ces contacts qui lui fournissent des informations pourtant si précieuses
aux Francs Tireurs et Partisans de la Résistance de Saint-Pol ?
Un autre fait provoque également les réserves des résistants : ce personnage inquiète l'occupant et par voie de
conséquence, il peut nuire à leurs activités.
Août 1942, un officier allemand, accompagné de 3 hommes, fait irruption au 44 de la rue d'Arras. C'est la mère de
Jacqueline, revenue pour quelques jours, qui les reçoit et qui, par une grande présence d'esprit, permet à Gabriel de
quitter la maison, de se cacher et, quelques jours plus tard, de s'enfuir et de rejoindre la région parisienne.
Il y retrouve Louise, alias Marie-Thérèse Voisin, qui est revenue habiter chez sa sœur Madeleine.
Et notre Jacqueline ?
En cette fin d'année la Gestapo est aux abois. Même si les arrestations se multiplient les attentats et autres
sabotages augmentent. Malheur à celui ou à celle qui tombe entre leurs mains.
La Gestapo, disions nous, est partout. A Saint-Pol, elle n'a pas oublié son échec lors de sa tentative d'arrestation
de Peyrot. Au courant des liens unissant Gabriel à Jacqueline, elle va tenter de faire pression sur celui-ci en
arrêtant cette dernière.
Le 27 décembre les hommes du Fürher viennent arrêter la frêle jeune femme au château. Ils comptent bien recueillir de
précieuses informations sur Peyrot.
Surprise ! Ils n'obtiennent aucune information digne d'intérêt de cet interrogatoire et Jacqueline est relâchée le 5
janvier 1943. Autre surprise : cette épreuve de la torture, si elle l'a meurtrie dans son corps et dans sa chair, l'a
galvanisée et n'a fait que stimuler sa haine de l'occupant.
Informé de cette arrestation, Gabriel la rejoint à Saint-Pol et usant de mille précautions, ils unissent leurs
efforts contre l'armée allemande.
Comme dans toutes circonstances similaires, démêler l'écheveau de la période traitant de la Résistance n'est pas
chose simple et il faut toute la pugnacité des auteurs de L'hermine rouge de Shanghai pour y retrouver tous les
enchevêtrements et les chausse-trapes qui ponctuent l'action de Jacqueline et de Gabriel.
L'enquête menée par nos deux co-auteurs l'atteste et des témoignages d'anciens résistants et des documents officiels
en témoignent, ils jouèrent un rôle actif dans des actions de grande envergure. Citons à titre d'exemple, en 1943, la
transmission de renseignements importants sur l'implantation d'une rampe de missiles V1, tout près de Saint-Pol sur
Ternoise, à Siracourt.
Cela pose même des problèmes de conscience à la douce Jacqueline, lorsqu'elle songe aux conséquences tragiques, sur
la population civile, des raids de destruction qui suivront.
Lors de cette période d'une intense activité, Gabriel et Jacqueline changent fréquemment
d'adresse. Cette dernière a son pied à terre à Paris, près de la gare du Nord, une maison appartenant à son père.
C'est là qu'ils viennent habiter fin 1943 et où vient les rejoindre Louise. Le militantisme les réunissant, les deux
femmes cohabitent sans l'ombre d'un nuage.
C'est un autre nuage qui rode autour d'eux : depuis la fin 1943, Jacqueline est malade. Les séquelles des tortures
subies lors de son arrestation et son abnégation dans la lutte contre les nazis ont eu raison de sa santé. Elle est
atteinte d'une tuberculose pulmonaire. Une première fois hospitalisée en région parisienne, en mars 1944, elle
reprend néanmoins ses activités de résistante. La maladie la rattrape. Fin 1945, elle retourne à Saint-Pol et y
décède le 24 novembre.
Les membres de la famille Héroguelle ne se sont jamais montrés très enthousiastes vis à vis de la liaison de
Jacqueline. Après sa mort, cette passivité polie se transforme en hostilité à l'égard de Gabriel Peyrot, et ils le
lui font savoir par la bouche de la mère de Jacqueline. Face à cette situation, Jean prend le parti de se faire
oublier et retourne à Bruxelles où la SBAC l'embauche de nouveau.
Seul, Jean, alias Gabriel, broie du noir ; d'autant plus que, ses relations aidant, il a appris que sa fille unique,
Jeannette, sa Nette, aurait péri lors des bombardements de Nantes. Cet esseulement lui pèse.
Est-ce ce moment de déprime qui l'incite à renouer ses relations avec Louise ? Elle le rejoint à Bruxelles. Ils y
vivent heureux. Monsieur et Madame Voisin (hé oui ! c'est son nouveau pseudonyme) forment un couple sans histoire.
Bravant ses craintes, Jean va même jusqu'à l'emmener en voyage afin de lui faire connaître sa Bretagne.
C'est dans le train, au retour d'un second voyage, en février 1947, que Louise a un malaise. C'est une congestion
cérébrale. Elle décède 5 jours plus tard.
Jacqueline, Louise, Sa Nette : le sort s'acharnerait-il sur notre petit rouquin ! L'ange de la mort et devenu un être
familier bien encombrant.
Il se confie à Madeleine, la sœur de Louise, qui travaille toujours à la mairie de Vitry tout comme
Marcelle qui a milité avec eux lors de la période d'occupation et qui, elle, est affectée au service social.
Cette dernière a également été choquée par la brusque disparition de Louise. Elle fait part à Jean de sa compassion.
Celui-ci lui en est reconnaissant. Il l'invite à Bruxelles à la Pentecôte 1947. L'amitié prend une nouvelle tournure
et fin 1948 Marcelle vient habiter chez Jean.
Pendant 10 ans leur vie se déroule tranquillement, un peu vide au goût de notre « globe trotter ». Il est vrai que
Marcelle a mis ses conditions en venant à Bruxelles : « il est temps de mettre un terme à cette
vie de militant ; l'heure de la pause, pour toi, a sonné ».
17 avril 1958, c'est à Bruxelles qu'a lieu l'Exposition Universelle. C'est au pied de l'Atomium que Jean
fait la connaissance d'une jeune femme de 21 ans sa cadette.
Elle s'appelle Maria Duchêne. Elle est la veuve du docteur Duchêne ancien résistant, fusillé à Liège en 1944.
Elle-même, après la mort de son mari, a rejoint la Résistance.
Le rappel de ce passé qui lui manque rapproche Jean de Maria. Les braises sous la cendre s'activent de nouveau. Ils
se retrouvent fréquemment pour revivre ensemble et sublimer ces instants hors du temps. Jean renoue avec le monde de
la politique.
Marcelle ne manque pas de s'étonner des fréquentes absences de Gabriel. Redoublant d'attention, elle ne tarde pas à
découvrir l'objet de ses rencontres, mais, et surtout, son militantisme renaissant. Il est vrai, hormis la période
d'occupation, elle n'a jamais été une chevronnée de la vie militante.
Leur relation s'altère ; en 1960, Marcelle en fait le constat : elle n'a pas été suivie dans sa requête initiale ;
pire, il la trompe. C'en est fini, elle retourne à Paris.
Jean de nouveau seul ?
Depuis les mois pendant lesquels il rencontre assidûment Maria, Jean a eu l'occasion de faire
connaissance avec sa famille et, petit à petit, a gagné leur confiance et leur sympathie. Cinq années ont passé ;
celui qui vit sous le nom de Monsieur Peyrot décide de vivre avec Maria. Il a alors 73 ans. La lecture, sa passion
depuis toujours est son passetemps principal. Cependant l'inactivité lui pèse toujours.
Cette fois son besoin de remuer est beaucoup plus en relation avec son âge. Ce seront les voyages. Et dans ce cas,
les vieux souvenirs remontent à la mémoire, ce sera la Bretagne, mais et surtout Pornic, Gourmalon, la Birochère, la
villa familiale et ... au détour d'une rue ...pourquoi pas ! ... l'ombre de Vladimir llitch Oulianov.
Monsieur et madame Duchêne (hé oui ! c'est son nom de touriste. On ne se montre jamais trop prudent !) y coulent des
jours heureux.
Comble du bonheur, il a appris il y a peu de temps que sa Jeannette n'est pas morte comme on le lui avait dit. Hélas
! Quels arguments présenter pour sa défense à cette sa fille qu'il a laissée sans nouvelle depuis 35 ans et pour qui
il est officiellement décédé depuis bientôt 30 ans ! Le baroudeur, l'homme qui a su affronter les pires difficultés,
se jouer des intrigues les plus touffues, Jean Crémet recule. Jean n'ose pas ; il rebrousse chemin.
Au retour de ces voyages, Maria présente officiellement Jean à sa famille. L'accueil est chaleureux. L'adoption est
quasi instantanée. Ce monsieur Peyrot est un homme posé et cultivé. Maria sera heureuse avec lui.
Huit années se sont écoulées. Notre aventurier a beaucoup perdu de son dynamisme. Son seul déplacement important est
pour la Tunisie, en 1969, pour se recueillir sur la tombe de ses parents, mais, et surtout, pour y retrouver sa sœur
Jeanne, devenue Madame Caniparoli. Hélas, celle-ci a quitté Ferryville et est retournée dans la banlieue nantaise.
Les évènements nationaux ou internationaux le captivent et il n'est pas avare de commentaires toujours aussi
percutants. Son seul regret, est de les vivre passivement.
Jean est un être cultivé. Son amour de la lecture est resté intact. Cette culture littéraire, liée à la richesse en
rebondissements que fut son existence, en font un orateur exceptionnel. Grâce à ce talent, il s'est constitué un
petit cercle d'amis fidèles qui viennent écouter quasi religieusement, les péripéties des quelques passages de sa vie
qu'il veut bien leur confier ; le tout agrémenté, comme il se doit, d'appréciations pas toujours nimbées
d'objectivité, mais toujours prisées par l'auditoire. Le curé de Libin ne fait-il pas partie de ses fidèles !
Ce n'est pas une surprise, Lénine, son ami de Pornic, est souvent mentionné.
5 mars 1973, Gabriel file sur ses 82 ans. Il éprouve de plus en plus de difficultés respiratoires
et est victime d'un sérieux malaise. L'alerte est chaude.
Moins de 3 semaines plus tard, le 24 mars, cette fois c'est la fin. Maria le fait enterrer, afin que la mort ne les
sépare pas, dans le tombeau de la famille Duchêne, à Libin, dans la banlieue bruxelloise. Selon la volonté du défunt
la cérémonie des obsèques a lieu sans fleurs ni couronnes et dans la plus stricte intimité.
Jean quitte le monde des vivants en petit père tranquille comme le plus commun des mortels.