L'effort misionnaire en Océanie (2)
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Jean Baptiste Prin naît le 21 mars 1861 au bourg de St Jean de Boiseau du couple Jean Paul Prin, chaudronnier, et de Jeanne Girard. Arrière petit-fils du révolutionnaire Jean Prin, il va lui aussi, comme son arrière grand-père paternel disparu « dans les troubles civils » (1), mener son combat pour la foi.
Enfant, des anecdotes témoignent un caractère obstiné.
Jeune homme, il doute de sa voie parce que les études ne le satisfont pas. Mais ce boiséen n'a qu'une vocation
: être missionnaire et suivre les traces de son parrain, Ephrem Bertreux (2).
Sa carrière aurait pu se résumer en une seule phrase : un Avepturier apostolique « de chair et bien exposé
à se laisser aller à ce qui frappe davantage les sens » propageant sa dévotion à la Sainte Vierge « mère
consolatrice de tous les maux » dans les îles de l'archipel de Fidji. Ses talents de bâtisseur,
d'exploitant de plantation, et de linguiste en font un homme utile au développement de la mission.
Après quelques déboires aux îles Fidji la mission des Nouvelles-Hébrides est pour lui un échappatoire. Le
boiséen fonde la première station sur l'île d'Ambae. Sans audace, un missionnaire ne peut survivre dans cet
archipel. Homme de paix, il s'engage avec hardiesse dans de dangereux conflits locaux. Téméraire ? Pas plus que
ses collègues. « Dans ce pays il n'est pas permis de perdre la face, on ne peut juger que sur place »
explique sévèrement son ami le père Suas.
Est-il le « gardien des traditions chrétiennes » au vu de l'Eglise Catholique ? Le résultat
est là : l'homme jugé « de bonne intelligence » conquit les âmes des indigènes et les convertit à sa
foi. Et encore de nos jours, sa présence aux Nouvelles-Hébrides ( aujourd'hui Vanuatu paraît avoir
laissé de mémorables actes de bravoure au sein de la communautê religieuse de cette mission.
(5) Les Goheau et Du Chaffault ont aussi les Goheau et Du Chaffault ont aussi leur blason en clés de voùte de la chapelle de Bethléem |
Jean (3) part un matin à l'école. Il est mécontent, fâché contre sa mère. Elle lui a imposé
le port d'un bonnet de laine. Ce bonnet, il ne l'aime pas et il n'en veut absolument pas.
Il revient à midi, tête nue. Sa mère lui reproche la perte de l'ouvrage et le gaspillage occasionné. Jean sort
de sa poche une pelote de laine et la lui tend : « Tiens, il n'y a rien de perdu. Je l'ai détricoté. »
Sur la table servie pour le repas y est déposé un plat de rognons, met préféré de Jean et de sa sœur Mélanie de
huit ans sa cadette.
Ce jour-là, le frère ne veut pas partager. Alors que la mère tourne le dos à ses enfants, elle entend sa fille
pleurer.
- Qu'as-tu à geindre ? Que se passe-t-il ?
Et la jeune sœur dénonce en gémissant : « Jean a craché dans le ·plat. Je ne peux plus en manger. » Il paraît
que Jean Baptiste « taquinait » souvent sa sœur.
Jean a les cheveux bouclés. Il n'aime pas.
Il espère les aplatir en les mouillant abondamment. Mais secs, les cheveux n'en sont que plus frisés, à son
grand désespoir.
Jean est passionné par les chevaux.
Il galope souvent dans les rues du bourg. Comment ? debout sur sa monture.
Ce qu'il aime faire : traverser le lavoir (4) et éclabousser généreusement les lavandières.
Etre prêtre ? Oui. Si et seulement si, Jean Baptiste Prin devient missionnaire. Le boiséen
s'exprime et s'explique :
« A partir de ma cinquième et sur tout de ma quatrième, ce désir de devenir missionnaire devint de plus en
plus raisonné. Je demandais à mon parrain le père Bertreux de bien vouloir me faire entrer à Ponchâteau (il y a
une école apostolique pour les missions de Haïti}. Je ne pus y être admis. On manquait de place. De plus il ne
voulait pas que j'y aille.
La Sainte Vierge me voulait dans sa petite société et elle me fit entrer dans le collège de Montluçon(5). J y
fis ma troisième et une partie de ma seconde. Vers Pâques de cettè dernière année je partis chez moi. J'avais
la tête un peu fatiguée. Je fis ma Rhétorique dans mon petit séminaire [à Nantes]. Jusque là, le désir des
missions a régné en maître.
A la fin de ma Rhétorique, je demandai et j'obtins d'aller au noviciat. C'est la première année de Paignton
[en Angleterre]( 6). Pendant lapremière retraite, je fus effrayé de ce genre de vie que je trouvais sévère, et
malgré les paroles du révérend père Artignan je partis.
Hélas ! C'est le commencement de mes résistances et de mes combats contre ce désir de missions !
A peine rendu à la gare de Paignton, je me repentais déjà. Pourtant je partis. Mais sur le bateau, ma
conscience parlant si fort, j'écrivis au révérend père Artignan, lui demandant à rentrer. Il me répondit que
maintenant il valait mieux attendre. Je revins chez moi [à St Jean de Boiseau] bouleversi, découragé. »
(3) Jean Baptiste Prin avoir appelé " Jean " dans son enfance. Témoiguages oraux
recensés par la descendre de ses soeurs. Cette descendance le surnommait « oncle Jean ». |
Année 1881. A vingt ans, il faillit s'engager dans l'armée. « C'était d'ailleurs l'année où je ducais tirer
au sort. Mais la très Sainte Vierge veillait sur moi. Il y avait [à St Jean de Boiseau], à cette époque,
un vicaire qui était très lié à mon parrain et avec lequel j'étais très bien. C'est lui qui fitt l'instrument
dont la Sainte Vierge se servit pour me sauver.
J'entrais donc en Philosophie. Mais les quatre premiers mois, que de combats ! La très Sainte Vierge mit encore
sur ma route un instrument qui sut me faire vaincre : ce fut mon directeur. A partir de ce moment, de nouveau
le désir des missions règne dans mon cœur sans obstacle. La lutte avait duré une année et Marie demeurait
maîtresse absolue.
Après trois ans de demandes réitérées, le révérend père Artignan consentit à me recevoir de nouveau au
noviciat. Je fis donc ma demande au révérend père Provincial de Paris et je partis pour Paignton.
Le désir des missions pendant cette année de grâces et les suivantes devint de plus en plus fort, de plus en
plus raisonné, de plus en plus éclairé. Ce désir des missions a été approuvé et encouragé par tous mes
directeurs, soit à Montluçon, soit au petit séminaire, soit au noviciat.
Quand je luttais contre ce désir des missions après ma sortie du noviciat, voici ce que le
diable me faisait dire pour continuer mon coup de tête : Je ne voulais être prêtre que pour pourvoir être
missionnaire or j'ai vu que je ne pouvais être missionnaire. C'est trop difficile. Donc je ne veux plus être
prêtre.
Monsieur le vicaire [de St Jean de Boiseau] ainsi que mon directeur de philosophie ne se sont servis que
de ce désir des missions pour me soulever. Aussitôt qu'il a pu me convaincre queje pouvais encore devenir
missionnaire, aussitôt la victoire a été remportée.
Au lieu de dire que la lutte avait duré une année j'aurais du dire deux années : mon année de
philosophie universitaire et la première année de philosophie scolastique Mais même pendant
ces deux années, le désir des missions resta toujours, bien malgré moi, mais enfin il resta
toujours au fond de mon cœur. Il me semble que, si un jour, j'avais été absolument sûr de ne pouvoir
un jour devenir missionnaire, je n'aurais pas continuer mes études. Je l'avoue, à ma honte, j'ai fait
tout ce que j'ai pu pour l'éteindre ! Mais je l'avoue aussi à la gloire de ma Bonne Mère
jamais je n'aurai pu y réussir. »
Où prêcher ? Son choix pour Fidji est déterminé : ,
« Premièrement. Parce que c'est la mission qui me semble la plus abandonnée et la plus pénible. De
plus je sens le besoin de me dévouer pour la gloire de Jésus et de Marie et pour sauver des
âmes.
Deuxièmement. Aux îles Fidji il faut aller souvent sur mer. Moi j'ai une certaine habitude.
Troisièmement. J'aimerais bien travailler avec et sous la conduite de mon parrain le père Bertreux ... »
Jean Baptiste Prin fait profession chez les pères maristes le 24 septembre 1886. Il part compléter sa formation
à l'école St Martial sise à Limoges.
Les terres étrangères n'effraient pas le futur missionnaire. Après l'Angleterre , le boiséen poursuit sa
formation en Espagne près d'une année.
« Je viens de faire la très sainte Communion. Je possède encore le Divin Jésus dans mon
cœur ... » écrit-il de Tore Santa Maria, le 24 février 1888, d'où il revoit « les traitements
fondamentaux de la morale ».
Le boiséen n'exprime qu'un seul désir : partir le plus tôt possible aux îles Fidji et « dès cette année ».
« J'ai déjà vingt-sept ans. Je n'ai pas, il est vrai, toutes les vertus requises par les constitutions, et
nécessaires pour ce ministère si grand et si difficile, mais au moins il me semble que je fais des efforts
sérieux et continuels pour les acquérir. »
Jean Baptiste Prin est bien noté par ses professeurs. Le sait-il ?
Le mois suivant, en avril, il reçoit l'ordination du diaconat à Barcelone par Monseigneur Julien Vidal.
A la fin du mois d'avril, il est de retour sur le sol français. Le 25 avril, « A Notre
Dame de Lourdes j'avais l'insigne bonheur et honneur d'être élevé à la prêtrise ... J'avoue que je
suis comme accablé par toutes les ferveurs et les grâces que le bon Dieu et la Sainte Vierge m'ont
accordées depuis dix jours. »
Le boiséen poursuit son voyage jusqu'à Limoges. Il ne doute plus de sa vocation de prêtre et il
l'exprime à son supérieur : « Merci de la grande grâce que vous m 'avez faite en m'appelant à la sublime
vocation d'apôtre. J'ai fait beaucoup pour perdre cette vocation. Je m'en repens bien sincèrement et je vous
prie mon très révérend père de bien vouloir m'aider à en demander pardon au Bon Dieu et à la très Sainte
Vierge.
Puisque malgré mon intégrité la très Sainte vierge a bien voulu jeter les yeux sur moi je veux mon mieux à
cette grande faveur. ».
Il quitte Limoges le 3 mai, pour Nantes. Il espère s'arrêter à Riom puis à Montluçon avant d'atteindre St
Jean de Boiseau, revoir ses parents et leur dire « A Dieu ».
« Voici mon adresse :
Prin dans safamille
Au bourg de St Jean de Boiseau. Par le Pellerin »
Etre pretre ne veut pas dire ne pas avoir des forces physiques. Jean Baptiste Prin le démontre :
Un jour, il passe sur le quai du Pellerin revêtu de sa soutane. Il est « couaqué » par quelques hommes à
charger un « barricot » de vin dans une charrette. Croit-il entendre : « Fainéant de curé, ce n'est
pas lui qui viendrait nous aider ! » Aussitôt il s'approche du groupe d'hommes, ôte sa soutane, prend le
barricot, et seul, « d'un bon coup de rein » le souléve et le dépose dans la charrette. Il reprend sa
soutane, la remet et d'un « salut du curé féinéant » il s'éloigne sous le regard ébahi des hommes.(7)
Viens l'heure de l'« A Dieu ». Le boiséen quitte la commune de St Jean de Boiseau et sa famille. Peut-être
aura-t-il le temps d'aller à Lyon ? Il quitte la France à Marseille le 27 juin 1888 à bord d'un paquebot « des
Messageries Maritimes ». Direction Sydney en Australie.
Port de Sydney. Les prêtres de la Villa Maria sont là sur le débarcadère à attendre les
missionnaires. Jean-Baptiste Prin descend du paquebot. Comme tous ses collègues, il est fou de joie.
Par bateau il rejoint le monastère de la Villa Maria à Hunters Hill, lieu de transit des missionnaires maristes.
Il y reste quelques jours puis il prend un bateau pour sa destination : Fidji.
Jean Baptiste Prin foule enfin la terre de l'archipel le 27 août 1888 à Levuka.
(7) Témoignage oral non daté recensé par la descendance de ses sœurs. |
S'efforcer d'atteindre les faveurs de Dieu. Suivre les traces de son parrain. Enfin, ses ambitions se réalisent.
Des le deuxième jour de son arrivée, le 29 août, un événement local et religieux marque sa
vie apostolique. Les missionnaires ont réservé à Loreto un somptueux accueil à Monseigneur
Vidal, Préfet Apostolique des îles Fidji arrivé vers « trois heures et demie du soir ». Le
cérémonial surprend le jeune missionnaire : « Les différents villages, les enfants, les deux écoles
attendaient sa grandeur Monseigneur Julien Vidal sur le rivage. Les pères en surplis étaient auprès des dais
portés par quatre catéchistes en soutane rouge et surplis.
Lorsque Monseigneur Vidal après s'être revêtu des ornements pontificaux (qui entre parenthèse étaient
magnifiques et ont fait l'admiration des fidjiens qui n'avaient encore jamais vu chose semblable) nous
eut donné sa bénédiction, la procession se dirigea vers l'église. En tête marchait le chef du village
vêtu en bedeau et une canne à la main.
L'émotion le saisit. « Mgr Vidal adressa quelques mots aux fidèles, nous donna la bénédiction papale et
ensuite eut lieu la bénédiction du Saint Sacrement ...
Ces pauvres peuples qui quelques années auparavant adoraient des idoles, se mangeaient
les uns les autres, maintenant connaissent et aiment Dieu ... »
L'échange de civilités semble avoir été pathétique et l'encourage davantage dans sa mission. « Cette vue est
bien propre à rallumer le désir que l'on a de travailler, de se dévouer tout entier au salut des âmes de nos
chers fidjiens
.
Il me semble que pendant que Dieu nous bénissait du haut de l'autel je lui ai demandé avec toute la ferveur
dont j'ai été capable, de me faire souffrir et souffrir beaucoup, pourvu que les âmes se convertissent à
lui et soient sauvées ! Combien je remercie et combien je remercierai Dieu et la Sainte Vierge tous les
jours de ma vie, de m'avoir fait la faveur insigne de m'appeler à cette sublime vocation.
Le soir il y eut fête et distribution de présents. »
Wairiki, île de Taveuni...
1889. A peine après un année aux îles Fidji, Jean Baptiste œuvre seul à la station de airiki. « Il y a
près de 400 communions et plus de 1000 catholiques. »
Les travaux tant spirituels que physiques ne font pas défaut. Les religieux construisent. Ils défrichent. Il
plantent. « Combien n y a-t-il pas besoin de nombreux et zèles missionnaires dans notre chère
Fidji ? Dès la deuxième année de son séjour à Wairiki, en octobre 1890, Jean Baptiste Prin ne manque pas de
tact pour quémander de nouveaux collègues à ses supérieurs : « Dans beaucoup d'autres îles des Fidji on
demande des missionnaires et malgré son bon vouloir Monseigneur fait la sourde oreille. Certes nous aimons
bien l'ouvrage. N'est-ce pas parce que nous voulions souffrir et travailler pour Dieu et notre Mère que nous
avons tout quitté. Si nous étions plus nombreux il y aurait peut-être moins d'âmes à se perdre. »
Un autre problème est à résoudre. L'église de Wairiki est renversée par le cyclone de 1889. Comment la
reconstruire ? En roseaux ?
Sitôt qu'il apprend ce désastre, Mgr Vidal vient sur l'île et annonce « devant la chrétienté réunie »,
qu'il désire bâtir une grande église en pierres sur l'emplacement de l'ancienne. « Aussitôt après
sa nomination comme vicaire apostolique notre vénérable évêque nous témoigna le désir de voir des églises en
pierres remplacer peu à peu nos chapelles en bois. » Les confrères de Futuna, de Wallis, de Tonga, de la
Nouvelle-Calédonie ont élevé des églises en pierres dans ces diverses îles et remplacé peu à peu les chapelles
de roseaux.
Pourquoi ne pas construire une église en pierres aux îles Fidji, à Wairiki?
« Chaque missionnaire de répondre qu'aucun d'eux ne sachant bâtir, il n'était pas aise
d'entreprendre un pareil travail. Même inexpérience de la part des indigènes. Pouvait-on espérer faire
venir un entrepreneur et des ouvriers d'Australie ? Mais les frais du voyage et la solde de chaque jour
eussent dépassé les ressources de la mission.
Monseigneur ne se laissa pas arrêter par ces difficultés. Lui-même, pendant ses quinze années de mission à
Samoa, avait construit une église et plusieurs chapelles dans les divers villages catholiques. Pour tous ces
travaux il avait été architecte, entrepreneur et souvent maçon. Sa grandeur pouvait donc nous donner des leçons.
Les missionnaires apportent leurs talents au service de la religion. Le boiséen ne manque pas d'ardeur et il
veut le prouver.
Monseigneur Vidal et Jean-Baptiste Prin se donnent les moyens de réaliser leur projet. Ils sont les
entrepreneurs de la première église en piemsde l'archipel fidjien.
Pourquoi avoir dédié l'église : « Sainte Croix » ?
« Mgr Vidal nous disait : « Puisque à cet endroit même passe le 180ème degré de longitude, il faut
que là s'élève une belle église dédiée à la Croix du Sauveur, nous y bâtirons un clocher que nous surmonterons
d'une croix. De sorte que, d'une hémisphère à l'autre, la croix puisse dominer le monde.
Mais par où commencer ?
Dès le lendemain, Monseigneur fit exécuter un four à chaux, comme il avait fait à Samoa. Il fit creuser
une fosse de trois brasses de diamètre et d'une profondeur de 1m50. On apporta de la forêt voisine une
grande quantité de bois sec, puis du bois vert en pièces énormes jusqu'à ce que la fosse fit remplie.
Alors on alla concasser les madrépores du récif et toutes les pierres de corail rejetées sur le rivage. Cent
indigènes les portèrent en file, sur leurs épaules et vinrent les jeter sur la fosse. On mit alors le
feu et sous l'action de la fournaise qui brûla deux jours entiers, cette montagne de corail se
réduisit en poudre et forma une chaux excellente.
Pendant que cette chaux s'éteignait, les hommes et les grands élèves apportaient près de l'emplacement de la
nouvelle église autant de pierres qu'il était possible d'en rassembler. Après, il y en avait assez
pour la moitié des fondations. Malheureusement la chaux leur côté, les femmes et les grandes élèves des
sœurs se chargeaient de la corvée du sable. Deux jours près, il y en avait assez pour la moitié des fondations.
Malheureusement la chaux était encore brûlante et nous ne pouvions songer à bâtir de suite. Mgr Vidal se
contenta donc de tracer les fondations, cent vingt pieds de long et trente-huit de large. Puis il fit
creuser un coin, à l'angle droit de la façade.
Après l'avoir béni et posé la première pierre, le prélat dut nous quitter, mais il nous promit de
revenir trois mois après pour commencer sérieusement le travail de la bâtisse. Durant ce temps, chaque
village avait à faire son four à chaux, à préparer des plantations pour nourrir des ouvriers et à
transporter sur le chantier beaucoup de pierres et de sable. ».
Trois mois plus tard, « Mgr Vidal revint pour présider le Tri Duum du bieriheureux Chanel et pour
reprendre les travaux. » Les fêtes sont magnifiques et se terminent par une communion générale.
« Dès le lendemain, chacun était à l'œuvre et en une journée la moitié des fondations fut creusée. Plus de
cent indigènes travaillaient de toute l'ardeur de leur cœur et de la force de leurs bras. Comme les bêches et
les pics manquaient, ceux qui n'avaient pas pu s'enprocurer avaient saisi les bâtons de bois très dur pour
creuser et ramollir la terre. D'autres, fautes de pelles, se servaient le leurs mains pour retirer la terre
des fondations. Nous arrivâmes bientôt à un fond de roc.
Avec cette ardeur de nos indigènes, le travail alla vite. Bieniôt l'édifice s'éleva peu à peu. Les larges
portes et fenêtres romanes ne tardèrent pas à paraître et à exciter l'admiration de tous. Le
clocher surtout montait rapidement sur la façade de l'église soutenu de deux contreforts par le baptistère et
la chapelle qui luifait pendant.
Qu'à ce baptistère viennent se fàire régénérer non seulement les fils de nos catholiques, mais les nombreux
adultes protestants et païens qui se comptent encore par milliers dans l'île de Taveuni et les autre îles de
Laou ! ».
Enfin la construction touche à son terme. « Il fallut toucher à la charpente et à la toiture. Jusque là
nous avions pu travailler sans trop de dépenses, car Fidji nous fournissait tous les matériaux des murailles,
mais il fallut faire venir d'Australie et de Nouvelle Zélande la plus grande partie de la charpente et le fer
galvanisé qui devait l'abriter. »
Comment faire face aux dépenses ?
« Nous avons sollicité quelques secours de la part des parents et des amis. Mais ces secours arritent
toujours trop lentement et sont insuffisants.
J'ai ajouté les économies que nous avons pu faire en renonçant au pain, à la viande et au vin. Lorsqu'on est
jeune et qu'on est en bonne santé, il est aisé de se priver de bien des choses et de les remplacer par des
taros et du poisson. Malgré cela nous n'avons pas encore réusssir a payer toute la charpente.
Le père Prin ambitionne des vitraux aux fenêtres. « Quel effet ne feraient pas ces grisailles
éclairées par notre beau soleil des tropiques ! Et comme nos indigènes auront une plus grande idée de Dieu en
voyant que nous lui élevons une maison plus belle que celles de tous leurs chefs et de leur anciens rois
A-t-il obtenu suffisamment de la générosité escomptée « des bienfaiteurs de l'œuvre admirable de la
propagation de la Foi » ?
Après près de deux années d'effor1s Jean Baptiste Prin est contemplatif « Nous n'avons qu'a remercier Dieu
de la manière dont il nous a protégé ; durant cette construction. Nos néophytes nombreux et dévoués y ont
travaillé près de deux ans sans jamais se plaindre. Ils se retireraient avec regret lorsque la cloche les
appelait à la prière du soir.
C'est la première église en pierres bâtie aux fies Fidji. Ce sera donc le plus solide et le plus beau monument
de la contrée. Ils ne regarderont plus comme des légendes les descriptions faites par nous des
cathédrales d'Europe. Aussi la cérémonie de bénédiction ne manquera pas d'être une grande solennité.
Une foule considérable de néophytes viennent contempler de leurs yeux « le grande maison de pierres » dont on
parle déjà dans tout l'archipel. Jusqu'à présent, toutes les chapelles, aussi bien que les écoles et résidences
des missionnaires, avaient été construites en planches, en bambous ou en roseaux. Ils voient même que l'on peut
réellement faire des cases toutes de pierres.
Notre église elle même ne manquera pas d'attirer des conversions. Déjà catholiques et autres parlent beaucoup
de la « vale votu » (case de pierres) qui s'est élevée comme par enchantement. Les visiteurs abondent et on
attend avec impatience le grand jour de la bénédiction. »
En 1892 l'amie d'enfance Anne Thabard, sœur Marie Augustin débarque sur l'île Taveuni, nommée
récemment responsable de la station Sainte Croix de Wairiki. Pour elle, seul son ami d'enfance est
l'entrepreneur de cette construction : « Voyez comme le Révérend Père Prin a bon goût et jugez si ce bon
père Prin a manqué de travail et de peine pour construire un tel édifice ! ».
Elle ne manque pas d'éloge pour le boiséen : « ... Cette magnifique église, qui, sans être placée sur une
montagne, est cependant très élevée. Elle est un peu éloignée de la mer de la distance d'une très belle avenue
seulement. Et le terrain va toujours en montant, si bien que, tout en se trouvant du coté du chœur au niveau de
la terre, pour entrer à la grande porte qui est du côté de la mer, bien entendu, il faut gravir un escalier qui
estpresque comme celui de St Nicolas de Nantes. Le clocher n'est pas tout à fait si haut que celui de la
Basilique, mais on le voit quand même de très très loin sur la mer. En considérant la hauteur, la longueur, les
deux ailes qui nous donnent de gracieuses chapelles et la façon qui la distingue.
Eh bien, croyez-vous qu'étant si grande, si spacieuse, c'est à peine si elle suffit aux jours des grandes fêtes
où il y a la réunion de tous les catholiques qui sont dispersés au loin dans les différents villages. C'est
vous dire qu'ils sont très nombreux ...
Eunulsa, île de Vanua Levu ...
Jean Baptiste Prin quitte Wairiki en 1894 pour Eunulsa (10) sur l'île de Vanua Levu.
A chaque station, des difficultés différentes. Aux sentiments de joie se joignent des sentiments de tristesse.
« Les cérémonies sont si belles en France, de belles églises ! A Tunuloa, une pauvre église en roseaux
dédiée à Sainte Anne et même pas une statue de l'enfant Jésus pour fàire une crèche.
Nos joies sont de voir nos catholiques s'approcher de tous les sacrements. Les uns ne craignent pas de venir de
loin, jusqu'à trois jours, soit par terre, soit par mer.
Il est vrai que beaucoup de choses font défaut aux missionnaires sous le rapport matériel mais cela n'est rien
et il est sifacile même d'aimer ces privations. »
Comment convaincre ses supérieurs d'une aide matérielle ? Le missionnaire ne manque pas d'humour : « Je
vois ce qui fait défaut ce sont les prières. Aussi je vous prie mon très révérend Père, faites nous la charité
de vos prière. ».
Jean Baptiste Prin veut renouveler son exploit de Wairiki : « Je suis en train de commencer une folie devant
les hommes. Je n'ai pas un sou et je commence une église en pierres. ». Mais l'hiver est la saison des
pluies. « Dimanche dernier, jour de l'Epiphanie Ganvier 1895) une tempête a détruit toutes les plantations.
Cette nouvelle année sera donc une année d'inquiétude pour la nourriture de nos enfants.
Les enfants de l'école et moi-même avions fait tous des efforts pour nous procurer un petit cotre pour pouvoir
aller à Levuka aux retraites et aussi pour apporter les planches, les pierres et la chaux de la fiture église.
Ce bateau avait coûté bien cher. Ce bateau est aujourd'hui au fond de l'eau. Les maisons sont endommagées. On
se met aussitôt à les réparer. ».
La disparition de son cotre assombrit son ardeur. Son projet de construction d'église en pierres est
interrompu.
En 1897 « la station a changé un peu de place ». Elle se situe à Rubulau (11).
(10) Village non localisé sur différentes cartes
« ...Il faudrait commencer d'abord par payer le terrain. Maintenant pour vivre, il faut commencer par
défricher pour pouvoir planter. Ce n'est pas chose facile car il n y a que des grands bois. Il jàut presque
toujours avoir la hache à la main. Il faut aussi bâtir des cases pour se mettre un peu à couvert. Les enfants
sont bien dévoués ... »
Par manque de moyens financiers, Jean Baptiste Prin semble nostalgique d'avoir abandonné son projet de
construire une église en pierres sur l'île de Vanua Levu : « Chapelle, maisons, écoles sont à peu près
achevées, mais le tout à la fidjienne ».
En septembre 1897, près de neuf ans après son arrivée dans l'archipel, le boiséen sollicite de faire son «
second noviciat » au monastère de Villa Maria. Il souhaite quitter momentanément ces îles pour se ressourcer :
« On en sent le besoin, presque la nécessité, pour relever l'âme ».
(11) Village non localisé sur différentes cartes.