La culture et l'exploitation du lin (2) |
Ce traitement achevait la séparation de la filasse et du bois. Après éjection, on obtenait du bois en particules appelé anas et une filasse en brins parallèles. Avec les anas, étaient également éjectées des fibres courtes, récupérées ensuite par triage : les étoupes de teillage.
Là aussi, avant d'avoir recours à la machine, l'homme a procédé manuellement. Cela se pratiquait à la veilée, au moment où il était difficile de faire autre chose. Le teillage avait pour but de finir d'enlever l'écorce appelée « teille » (d'où le nom de l'opération). Jusqu'à la fin du Moyen-Age, on utilise une pierre couverte de cuir (pour ne pas abîmer la fibre), un morceau de bois, une sorte de marteau ou une badine. Il est vraisemblable que les premiers utilisateurs de lin se contentaient de l'écraser en portant des morceaux de bois aux pieds, ou encore en le faisant piétiner par les animaux.
Puis la force animale vint, elle aussi, au secours de l'homme. Des manèges furent
créés. Le cheval ou le boeuf faisait tourner une meule qui broyait les tiges.
La machine représentée ci-dessous, d'un principe extrêmement simple, vint plus tard. Le lin mis en poignées est encastré dans un montant appelé « poisset » et la paille est battue par une sorte de couteau non coupant appelé « écang ». Au cours de l'opération, la chènevotte tombe et la fibre débarassée de sa paille prend le nom de filasse.
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Machine à teiller
L'écocheur est un moulin à bois actionné par une manivelle qui frappe le lin et libère la chènevotte qui s'envole au vent, ce qui consiste à séparer mécaniquement les fibres textiles des parties ligneuses de la plante. Cette pratique assouplit la filasse pour simplifier le peignage.
Ces dernières opérations permettaient d'extraire :
- la filasse (fibres longues) qui servait à la fabrication des tissus de qualité 100% lin, ainsi qu'en mélanges pour divers linges de maison, l'habillement et l'ameublement.
- les étoupes (fibres plus courtes) utilisées pour la fabrication de tissus plus grossiers et dans la corderie.
- les anas (fibres encore plus courtes) actuellement utilisés pour la fabrication de panneaux agglomérés en menuiserie et en combustibles.
- les déchets qui seront reconstitués en tourteaux.
Grâce à ces deux techniques, on était en mesure de démêler et de paralléliser les fibres. En outre étaient définitivement ôtées les chènevottes (parties ligneuses du lin).
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Dresser la quenouille : Tout un art que maîtrisaient nos grand-mères, et pourtant il ne s'agissait que de garnir un support, souvent une tige de bois, d'une grosse poignée de filasse. Mais essayez-donc, vous verrez qu'il faut un minimum de pratique. C'est peut-être pour cela que différents modèles de quenouilles ont été créés par l'homme mais le plus adapté pour le lin était la quenouille lanterne.
La première opération était appelée sérançage. Elle consistait en une séparation grossière de la filasse. Venait ensuite le filage proprement dit pour obtenir le fil à tisser.
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Plusieurs techniques existaient :
- le fuseau : Généralement
taillé dans du bois dur, il était aisé de fabrication et donc très
peu onéreux. Certains réalisés en os jongnaient rationalité et art.
Des fuseaux beaucoup plus fins furent réalisés pour la confection
de dentelles sur coussin. Certains étaient fabriqués dans différentes
matières : laiton, fer, étain, argent, voire même en verre et pouvaient
parfois être garnis à leur extrémité d'un petit chapelet formant un
anneau de perles aux jolies couleurs.
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- le rouet : Introduit vraisemblablement à Bologne en 1272, il doit son existence à un souci de rentabilité qui amena la mécanisation du fuseau. Il se sompose d'une roue que l'on fit tourner à la main d'abord puis, plus tard, au pied et qui imprime un mouvement de rotation (par le biais d'une courroie de transmission) au fuseau ; celui-ci joue désormais le rôle d'une bobine dont il va prendre la forme.
L'invention du fuseau à volant en U permit de filer et d'embobiner en même temps.
Léonard de Vinci, lui-même, y alla de sa petite invention qui fut reprise quelques temps plus tard. De nombreux modèles aux formes les plus diverses apparurent. Bien que cet appareil permit une plus grande souplesse dans la réalisation de la tâche pour laquelle il avait été conçu, il fut l'objet de nombreuses critiques de la part de certains qui crurent que les fileuses, avec cette pédale, ne respecteraient pas le rythme correspondant aux nécessités du filage. Mais celles-ci ayant désormais leurs deux mains libres pour guider le fil adoptèrent très vite ce nouvel appareil qu'elles jugèrent mieux adapté pour cette fonction.
Une fois filé, le lin était mesuré et mis en écheveau. Tâche fastidieuse s'il en fût, elle consistait à enrouler pendant de longues heures le fil réalisé sur les bras d'un dévidoir. La longueur de fil ainsi bobinée était évaluée suivant le nombre de tours que contenait le dévidoir par comptage soit mentalement puis plus tard mécaniquement.
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Principe très simple - entrecroisement de fils disposés parallèlement en long (la chaîne) avec d'autres disposés perpendiculairement (la trame) - il fut mis en application très tôt. Les premiers métiers qui furent d'un usage que l'on peut qualifier de manuel furent constitués d'une armature élémentaire d'où pendait la chaîne qu'un certain nombre de poids maintenaient tendue, le tisserand faisait passer alternativement le fil de trame à la main dessus et dessous le fil de chaîne.
Plus tard , ce fil de trame fut enroulé sur un morceau de bois fuselé, sorte de grande aiguille, pour faciliter la tâche. L'ancêtre de la navette était né.
On obtint un perfectionnement notable lorsque les fils de la chaîne furent partagés en fils pairs et impairs et fixés sur des "lames". En tirant à lui la première lame, le tisserand créait un espace entre ces fils et pouvait faire passer rapidement la navette. Il suffisait alors de tirer la seconde "lame" et de repasser la navette. L'implantation d'une pédale pour animer ces lames produisit un second perfectionnement très sensible.
La mécanisation ultérieure par des forces motrices (moulins à eau, à vent, puis électricité) devait contribuer à bouleverser cette pratique qui s'accompagna de techniques de tissage de plus en plus élaborées.
Le premier métier à tisser, nous l'avons vu, était fort rudimentaire. Les premières améliorations notables apparurent avec l'avènement des rangées paires et impaires qui permettaient d'accélérer l'opération. Avec le temps, le nombre de lames augmenta compliquant ainsi la structure des objets tissés. Ce fut lorsque ces lames furent actionnées mécaniquement que le plus grand pas fut effectué.
Le premier métier à tisser horizontal avec peignes et lisses fut construit par les égyptiens au II° millénaire AV J.C. Mais il faudra attendre le XVI° siècle pour envisager la mécanisation de cet outil de travail. Léonard de Vinci, encore lui, y avait pensé. C'est toutefois au français Jacques de Vaucanson que l'on doit la première réalisation bien que celle-ci ne servit jamais (1745).
Les principales étapes seront marquées par :
- Le métier à navette volante de l'anglais John Kay (1733). La travail de 4 hommes était désormais effectué par un seul. Philippe de Lassale mit également au point une autre machine à navette volante plus destinée à la fabricaton des voiles et des mousselines de grande dimension.
- James Hargreaves (1764) imagina une machine à filer le coton et la baptisa « Spinning Jenny » du prénom de sa fille.
- L'anglais Crane et Philippe de Lasalle mirent au point en 1775 un métier qui permettait d'obtenir un tissu indémaillable.
- Richard Arkwight, (1768) et Samuel Crompton (1779) l'améliorèrent. Elle devint "Mule-Jenny".
- Edmund Cartwright (1785) eut l'idée de construire un métier à tisser mû par une machine à vapeur.
- En 1801, Joseph-Marie Jacquard, considéré comme le véritable inventeur du métier à tisser conçoit sa machine et dépose un brevet la même année. La conception reçoit un accueil chaleureux de la part de tous les professionnels et la fabrication en est immédiatement lançée. Révolutionnaire; son procédé supprimait la travail de 5 « tireurs de lacs » et fit la fortune des fileurs de la région lyonnaise. 30 ans plus tard, ce sera la révolte des Canuts.
- Philippe de Girard (1810) conçoit une machine à filer le lin. Il dépose un brevet en 1817 mais sa réalisaton n'obtient pas un gros succès auprès de ses compatriotes. Il cède donc sa machine aux anglais. Quelques années plus tard, c'est pourtant elle qui reviendra et qui permit à la région lilloise de devenir le grand centre français de la filature.
- Mais c'est M Boutemy qui achetait de la filasse teillée pour la faire filer à façon et la revendre ensuite en fil qui eut l'idée d'industrialiser ce travail et qui fonda à Lannoy dans cette région lilloise la première filature de lin en France.
Le blanchiment est l'opération qui suit le tissage dans le cycle de production textile et qui permet d'ennoblir la toile en lui donnant un aspect, un toucher plus flatteur et par voie de conséquence une valeur marchande supérieure.
Jusqu'à la fin du XVIII°, on utilisait le plus souvent l'acide lactique (lait caillé), parfois de la chaux ou de l'acide sulfurique pour parfaire la destruction des matières organiques. Puis les propriétés blanchissantes du chlore furent exploitées, ce qui donnait un pré-blanchissement chimique. La vapeur vint, elle aussi, au secours de cette opération : « Chaptal et Berthollet ont été les premiers à annoncer que, pour le blanchiment du linge, comme pour le blanchiment des toiles et calicots, le lessivage à la vapeur libre et sans pression est le mode le plus salubre, celui qui altère le moins les tissus, tout en donnant les résultats les meilleurs, les plus prompts et les plus économiques ».
Mais la méthode artisanale qui consistait à « soumettre les toiles à l'action de l'oxygène de l'air qui possède comme le chlore, une propriété décolorante et qui achève lentement l'effet du chlorure » avait toujours ses adeptes. Plus longue, il fallait parfois répéter jusqu'à dix fois les mêmes opérations pour obtenir la qualité souhaitée, cette pratique était grosse consommatrice d'eau qu'il s'agisse de production industrielle ou artisanale.
Sur les prés, les toiles devaient être régulièrement arrosées car « Loin
d'aimer les rayons du soleil qui sècheraient trop rapidement leurs pièces,
les fabricants appellent de tous leurs voeux les pluies fines et surtout
les rosées nocturnes qui favorisent l'action de l'air, et le blanchiment
n'est jamais plus parfait qu'au printemps et à l'automne ».
Il fallait enfin finir le tisssu pour leur donner le luisant nécessaire
à la vente : « on humecte les toiles très légèrement
d'eau pure pour les assouplir
; on les fait passer au maillochage sous des pilons qui les battent et
les unissent, et on leur fait acquérir, sous l'action des cylindres » les qualités désirées;
Autrefois, la teinture était effectuée en plein air. De l'eau dans laquelle trempaient des teintures végétales était portée en ébullition dans un chaudron suspendu au-dessus d'un feu de bois. Travail particulièrement pénible car il devait se faire dans un climat de chaleur excessive et nécessitait plusieurs heures pour agiter le tissu à l'aide d'un bâton afin que la teinture s'imprègne bien partout de manière homogène.
Les coloris obtenus avec les produits locaux avaient des teintes beaucoup moins criardes que ceux obtenus avec des produits exotiques (indigo, cochenille etc.).
Quelques produits utilisé avec la teinte donnée :
- La parmélie et les racines donnaient le rouge (ainsi que la cochenille).
- Le zinnia et certaines fleurs de dalhia donnaient un rouge jaunâtre.
- Les feuilles de tanaisie, le bouleau, l'alchemille, le cerfeuil sauvage, la bruyère commune et
l'épine verte permettaient d'obtenit différentes nuances de jaune.
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