Histoire de Saint Jean de Boiseau

Cremet, les années de guerre

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C'est évidemment, sans grand plaisir, que le 5 août 1913, Jean est mobilisé au 55ème RI, basé à Nantes, et les classes terminées il rejoint Ancenis, le 29 septembre 1913, pour y remplir ses obligations militaires pour une période de 2 ans. Il est vrai que les évènements ne sont pas des plus réjouissants.

Pendant cette période, les gros nuages noirs, qui tournoyaient au dessus de la France et que personne n'osait regarder, sont arrivés. En l'été 1914, tout bascule.

Le 28 juin, l'assassinat de l'archiduc d'Autriche à Sarajevo offre une occasion rêvée aux plus fougueux des bellicistes pour en découdre.

Le 1er août, à 5 heures du matin, sur la pression de Joffre, le tocsin se fait le porte­ parole du Gouvernement et annonce à la France profonde l'ordre de mobilisation générale. Le 3 août l'Allemagne déclare la guerre à la France. Le 5 août c'est au tour de l'Angleterre. La Première guerre mondiale est née.

Depuis la cuisante défaite de 1870, conditionné en cela par certains de ses gouvernants, le peuple français n'a cessé de penser à une future revanche. A l'appel de mobilisation générale, c'est presque avec enthousiasme que les hommes quittent leur foyer. Cléricaux, anticléricaux, droite, gauche ... anarchistes : tous unis sous le même drapeau, dans une même communion d'esprit. Cette guerre, chacun en est convaincu, sera de courte durée ! La réalité, nous le savons, fut tout autre...

Jean le révolté, Jean l'écorché vif, Jean le contestataire fait-il corps avec ce grand mouvement patriotique ? Qu'il nous soit permis d'en douter.

Depuis son arrivée à Ancenis, Jean, matricule 3648, est incorporé au 54ème Régiment d'infanterie. Il y apprend, comme toute nouvelle recrue, la marche au pas, le maniement d'armes et celui tout particulier du Lebel et de son inséparable Rosalie, avec le secret espoir de ne jamais passer à l'acte.

Le 54ème RI, c'est le régiment des gens de l'Ouest, le régiment des Bretons. Ces hommes sont réputés teigneux certes, mais ils sont courageux, volontaires et ... patriotes

Pour ces valeurs ils sont tenus en haute estime par la hiérarchie militaire. Et, pour prouver la confiance que l'on a en eux, ils sont systématiquement envoyés en premières lignes.

Rappelons que pendant cette terrible période de la Grande Guerre, si un Français sur six y laissa la vie, un Breton sur trois aura droit au « Mort pour la France ».

Après une des offensives suicidaires du Chemin des Dames où 1690 des 1800 soldats du 54ème RI perdirent la vie le général Nivelle eut cette réflexion, ô combien glorieuse,« Ce que j'ai pu consommer comme Bretons ! »

Voilà le 54ème RI, voilà le régiment dans lequel Jean Cremet va faire connaissance avec la guerre.

Le jour, tant espéré par quelques uns, tant redouté par le plus grand nombre, arrive : le 6 août 1914, c'est le grand départ vers le front de l'Est, l'arrivée le soir en gare de Clermont-en-Argonne, près de Verdun puis le transfert vers Sedan. Le 54ème RI est rattaché à la IVème Armée . Jean va faire connaissance avec la guerre, les ordres, les contre-ordres, avec le sang, la boue mais aussi la camaraderie et quelque fois le sacrifice de soi.

Le canon de 75 : la merveille de la guerre européenne due au génie inventif de 2 officiers français.
Si l'on se fie à la légende pouvait-on imaginer la défaite avec un tel équipement !

Le 15 août, au Grand Quartier Général, malgré les mises en garde du général Lanzerac commandant de la IVème Armée, le général Joffre lance la bataille de Charleroi. Le samedi 22 août, le 54ème RI a pour objectif de couper l'avancée allemande du général Von Kluck et pour mission la prise de Maissin, village de quelque 600 habitants proche de la frontière belge-luxembourgeoise. Pour Jean, c'est le baptême du feu.

L'offensive, débutée à 12 heures 30, ne trouve « sa conclusion » qu'à 19 heures. Six cent quatre-vingts pioupious y ont laissé leur vie ...et parmi eux quatre cent cinquante camarades de notre petit rouquin.

Se sentant en position de faiblesse et craignant une contre offensive allemande le G.Q.G. donne l'ordre de la retraite. L'ordre ne parvient qu'en de très mauvaises conditions aux tenants de Maissin et ce repli en ordre se transforme vite en débandade.

Jean, comme beaucoup de ses compagnons d'armes livrés à eux mêmes, a perdu le contact avec les rescapés du 54ème RI. Sous les harcèlements de l'ennemi, il tente de rejoindre les lignes françaises. Soudain pris sous une pluie de balles, les rescapés sont fauchés. Jean est également touché. Par miracle, il ne s'en tire qu'avec une balle dans le pied. Inconscient, secouru à temps, il reprend connaissance à !'Arrière, dans un hôpital de campagne.

Si pour Joffre la bataille de Charleroi est définitivement perdue, pour Jean, la guerre est finie ! Sa présence au front n'aura duré qu'une quinzaine de jours.

Si bref et si intense que fut cet épisode, les circonstances de l'affrontement, les incohérences des ordres, le mépris des vies humaines marqueront encore davantage le comportement de petit gars de La Montagne vis à vis de la guerre et apportent, sinon une explication, mais tout au moins un argumentaire aux futurs engagements de notre héros. Ulcéré par ce vécu, il penche définitivement vers l'antimilitarisme. Et pourtant il ne connaîtra, qu'au travers des témoignages d'autres poilus, les temps de déprime, les intempéries, le froid, la vermine, la maladie, les gaz, les mutineries ou les exécutions sommaires pour refus d'obtempérer. Par bonheur, grâce à cette vilaine blessure au pied, Jean a sans doute échappé au pire.

Dès que son état le permet, il est évacué dans un de ces hôpitaux militaires de l'Arrière. Pour lui, ce sera La Pallice. Dans cet établissement, il apprécie doublement la chance de s'en tirer à si bon compte.

Trépanés , mutilés, estropiés à vie, les nuits ponctuées par les hurlements nocturnes de certains compagnons, tout lui rappelle ce à quoi il a échappé.

Les récits effrayants des nouveaux arrivants ne font qu'ajouter à ses sentiments.

Un peu partout en France, vers l'Arrière , pour accueillir en convalescence les blessés venant du front, des structures voient le jour.
Ici, « L'ambulance » du Pellerin, créée dès 1914, à l'initiative du docteur Provost et de son épouse. Vous pouvez écrire votre texte à l'intérieur

Un peu partout en France, vers l'Arrière, pour accueillir en convalescence les blessés venant du front, des structures voient le jour.
Ici, « L'ambulance » du Pellerin, créée dès 1914, à l'initiative du docteur Provost et de son épouse.

A Basse-Indre, depuis le départ de Jean, Alphonsine a trouvé un travail d'aide soignante. Grâce à ce salaire, elle peut, avec Jeannette, rejoindre Jean et lui fait oublier pendant quelques instants les horreurs qui sont devenues son quotidien.

A l'été 1915, une fois rétabli, Jean rejoint Ancenis, sa garnison, et l'autorité militaire décide de le remobiliser à Indret.

Bien évidemment, son retour à l'arsenal ne passe pas inaperçu. Ses deux années d'absence n'ont pas fait oublier l'homme, le contestataire. C'est avec la joie que l'on devine qu'il retrouve ses amis, les inséparables Pierre et Emile Hureau.

A Indret, beaucoup de choses ont changé !

L'établissement a abandonné sa production de matériels propulsifs pour la Flotte. Il se doit de participer à l'effort de guerre. Il y a, à présent, d'autres priorités : alimenter en affûts de canons et en obus le Front de l'Est. Tout un atelier de machines a été reconverti pour la fabrication des obus. On a besoin de tous les hommes disponibles.

En août 1914, l'effectif en personnel est de 1258 ouvriers. La tranche d'âge comprise entre 19 et 30 ans fait cruellement défaut. Rapidement le constat est établi : cet effectif ne peut répondre aux besoins ; il faut recruter.

Des femmes , des militaires - c'est d'ailleurs dans ce contexte que Jean Cremet revient à Indret - , des Algériens (en 1917), des Chinois (en1918 et 1919), des gens originaires du Nord de la France (dès 1915) viennent apporter leur aide à l'œuvre de guerre. En juillet 1917, 2887 personnes seront employées à l'arsenal (voir tableau).

Parmi ces nouveaux arrivés venus du Nord, deux personnes attirent plus particulièrement l'attention de notre petit rouquin. Le premier est un certain Bacqueville ancien secrétaire de syndicat du Nord ; le second se nomme Barthélemy Baraille.

A l'instigation du premier, le Syndicat des Travailleurs Unifiés, jugé trop corporatiste, va se transformer et adopter la bannière de la CGT.

Barthélemy Baraille, cette nouvelle connaissance, aura une importance déterminante dans le devenir de notre petit gars d'lndret.

Mais qui est donc ce Barthélemy Baraille ?

Originaire des Landes, Baraille est entré comme ouvrier à la traction aux ateliers du chemin de fer du Nord à Anzin. Anarchiste convaincu, il participe à la rédaction et à la diffusion du journal « L'Anarchie » dirigé par Rirette Maitrejean et son ami Victor Serge (Kilbatchiche).

Renvoyé pour fait de grève, il reste dans la région et trouve du travail toujours dans le milieu cheminot. Il se fixe à Berk, dans une modeste villa blottie dans les dunes. C'est ici que viendra se réfugier André Soudy, l'un des membres de la bande à Bonnot.

Ce dernier sera arrêté le 30 mars 1912

Lors de cette arrestation, Barthélemy Baraille est également appréhendé et conduit au dépôt à Paris.

En février 1913, lors du jugement de la bande à Bonnot, il n'écopera que d'une peine légère ; son militantisme anarchiste excepté, aucunes preuves ne purent établir son lien avec la bande.

En mars 1915, malgré ce lourd passé, profitant de certains appuis et de la forte demande en main d'œuvre du moment à l'établissement d'lndret, il fait son entrée dans cette forteresse militaire de la Basse-Loire.

Avec de tels compagnons Jean se sent parfaitement en phase

Notre Petit Rouquin, Baraille, Bacqueville, Pierre et Emile Hureau, Eugène Le Gal, son camarade de promotion d'apprentissage, et quelques autres forment un groupe bien homogène quant aux objectifs à atteindre : Non à la guerre !

A ces irréductibles, viennent se joindre quelques immigrés de la Grande Russie. Car là­bas les choses bougent. Lénine, depuis ses années pornicaises n'est pas resté inactif ; avec son ami Trotski et quelques autres immigrés, partisans de l'Internationale, ils se sont réfugiés en Suisse à Zimmerwald et tissent sans faillir la toile qui trouvera son aboutissement en octobre 1917.

A Indret, dans un établissement militaire, de telles prises de positions contre la guerre ne peuvent qu'entraîner réprobations et sanctions. Emile Hureau sera le premier à en faire les frais et, en 1916, il se voit renvoyé de l'établissement pour « distribution de tracts subversifs ». Les tracts incriminés étant en fait un manifeste de Zimmerwald diffusé par les réfugiés du village suisse avec lesquels le petit groupe a noué des relations.

Le départ d'Emile ne change en rien les motivations du groupe. Bien au contraire, ils trouvent dans cette éviction une nouvelle raison de combattre cette autorité militaire qui les opprime, qui veut les réduire au silence.

Les relations qu'ils entretiennent avec le Front de l'Est, les témoignages des blessés qui en reviennent ne font qu'accroître leur motivation. Ne dit-on pas qu'il y aurait eu un début de mutinerie au 54ème RI !

En cet été 1917, la propagande commence à porter ses fruits. Crémet, Bacqueville, Baraille et les autres sont de plus en plus écoutés ; de plus, ce mouvement contre la guerre n'est pas circonscrit qu'à Indret. Des informations provenant d'autres établissements en font état.

Le Directeur de l'Arsenal se doit d'agir. Il faut faire un exemple.

Pour nos irréductibles, l'irréparable arrive ; c'est ainsi qu'en consultant le registre des sanctions de l'établissement on peut y lire que : par la décision du Directeur n° 462 du 23 août 1917, l'ouvrier Cremet Jean est congédié pour avoir aidé les ouvriers Bacqueville et Peneau à provoquer à la désobéissance les ouvriers militaires de la Région.

Bacqueville et Peneau font évidemment partis de la charrette.

Un mois après, le 25 septembre, Jean est cependant réintégré mais toujours maintenu à la disposition de l'autorité militaire. Quatre jours après, cette mesure de mansuétude est rendue caduque. Jean est définitivement renvoyé.

En ces temps ou la main d'œuvre se fait rare, il trouve sans problème une place de chaudronnier-soudeur à Chantenay, aux Ateliers et Chantiers de Construction Navale.

Ces licenciements, le succès de Lénine au Kremlin, ne font qu'attiser la combativité du petit groupe et augmenter leur hardiesse.

Dès le début de 1917, sur le Front les troupes françaises aidées en ceia par leurs alliés, repoussent l'armée du Kaiser. La victoire se dessine doucement pour le peuple de France. Elle trouve son aboutissement le 11 novembre 1918 avec la fin des combats.

Alors que les Français savourent cette victoire acquise dans le sang et les larmes et pansent ses blessures, c'est le moment choisi par l'équipe de La Montagne pour diffuser un tract dénonçant l'occupation de l'Allemagne par l'armée française.

C'en est trop ! Le principal instigateur du tract, Barthélemy Baraille, est arrêté avec pour motifs, jugez du peu « distributions de brochures interdites, propagandes bolchevistes et excitation de soldats à la révolte ». Il est incarcéré à la prison militaire de Nantes où il restera 50 jours au secret.

Sa peine purgée, interdit d'lndret, il fait jouer ses relations et trouve une place de permanent à la Bourse du travail à Nantes. Heureusement pendant ces moments financièrement difficiles, son épouse Zoé, de par son emploi de gérante à l'Union des Coopérateurs de la Montagne, a pu subvenir aux besoins du ménage et nourrir ses deux filles * Charlotte et Simone.

L'après guerre

8 avril 1919, un événement dans le microcosme indrétois : Jean Cremet a réintégré l'atelier de chaudronnerie.

Maintes fois réprimandé et sanctionné et finalement congédié deux ans plus tôt, voilà notre petit rouquin réintégré ! Cela a de quoi en surprendre plus d'un ; notamment les représentants de l'ordre public qui depuis un certain temps suivent ses activités. Le commissaire Morin, chef des « chaussettes à clous », l'ayant même catalogué comme étant l'être le plus dangereux de la région.

Jean aurait-il fait amende honorable ! La Marine Nationale aurait-elle tiré un trait sur ses incartades passées ?

La réponse est ailleurs. Hors du contexte politico syndical, nous pouvons avancer une hypothèse beaucoup plus pratique et rationnelle à ce retour à Indret :
Pendant ces années de guerre et pour satisfaire à la demande, l'arsenal a abandonné ce qui était sa raison d'être : la fabrication des appareils propulsifs dont la confection de chaudières. Pendant quatre années cette production a été arrêtée. Pendant cette longue interruption, sans pour autant perdre de son savoir faire, Indret a perdu dans les tranchées bon nombre de ses ouvriers. La main d'œuvre de qualité fait cruellement défaut. Jean, malgré son militantisme jugé outrancier, est donc accepté sans déplaisir.

Un instant de bonheur, voire de répit : à La Montagne, le 20 mars 1920, Emile Hureau épouse Madeleine Portal, fille de Jules Portal un vieil anarchiste Basse-indrais de la première heure.

L'événement est fêté comme il le convient et tous les militants sont de la cérémonie

1920 est une année riche en évènements.

Hormis le merveilleux défilé du 14 juillet 1919, où la foule en liesse applaudit à tout rompre les rescapés de cette grande guerre, l'entente sacrée née de la guerre s'effrite. Aux élections de novembre 1919, le bloc national réunissant les partisans de l'extrême droite aux républicains de gauche remporte une écrasante victoire sur le bloc des gauches : 450 députés contre 86 radicaux et 94 socialistes. Par ailleurs la vieille querelle cléricaux/anticléricaux renaît de ses cendres. Cette résurgence du vieux conflit marquera la fin politique de Clemenceau , le « père de la victoire ».

Le monde politique, lui aussi, donne des signes d'effervescence.

Au 17ème congrès du Parti Socialiste de Strasbourg, les 25, 26, 27, 28 et 29 février 1920, deux courants s'affrontent. Il y a d'une part les partisans de la IIIème Internationale Ouvrière proposée par Moscou, ayant pour objectif la révolution mondiale et, les plus modérés qui s'accrochent à la IIème Internationale. Bien que très serré, le vote ne donne rien et chacun campe sur sa position.

En mai, suite à un mot d'ordre de grève générale lancé par la C.G.T., Millerand fait arrêter le secrétaire général des cheminots pour atteinte à la sûreté de l'Etat. Il faut noter en cette période les craintes provoquées par l'importante progression du parti communiste.

La classe ouvrière est troublée et divisée. Le franc se dévalue à une vitesse vertigineuse ; en un an, il perd 50% sur la livre sterling, davantage encore sur le dollar. L'Etat cherche désespérément des palliatifs (nouvelles taxes, augmentation substantielle des impôts).

C'est dans ce contexte que le 25 décembre 1920 s'ouvre à Tours le 18ème congrès socialiste. Marcel Cachin, le directeur de « L'Humanité », demande de nouveau à voter l'adhésion à la IIIème Internationale. Léon Blum refuse. C'est la scission. A la Section Française de la IIème Internationale Ouvrière, la S.F.I.O. s'oppose la S.F.l.C., la Section Socialiste de la IIIème Internationale Communiste. Parmi les députés socialistes élus en 1919, 13 seulement adhèrent au nouveau parti.

La fondation du Parti Communiste a d'importantes répercutions sur le syndicalisme ouvrier. Au Congrès de Lille, la Confédération Générale du Travail (C.G.T.), par une faible minorité, refuse d'adhérer à la IIIème Internationale. Aussitôt se forme une nouvelle organisation syndicale la C.G.T.U., la Confédération Générale du Travail Unifiée, de tendance communiste.

Dans cette France divisée, dans ce monde ouvrier en pleine ébullition, quels sont les sentiments et les options que vont adopter nos gars de la Basse Loire ?

Serez vous surpris d'apprendre que, sans une hésitation, leur choix s'est porté vers ce courant nouveau venu des amis de l'Est. Malheureusement ils ne représentent qu'un courant très minoritaire dans le département. Sollicités pour représenter ce courant, Jean et Emile, se sentant trop isolés, se désistent. René Gomichon sera leur porte­parole. C'est avec peine d'ailleurs qu'ils apprennent que leur ami François Blanche, celui qui deviendra en 1925 et pour longtemps le maire S.F.I.O. de St Nazaire, a refusé de voter les 21 propositions de Lénine et dira « non » au Komintern.

La scission une fois consommée, René Gomichon devient le responsable fédéral du Parti Communiste. Son adjoint pour ce poste sera Jean Crémet. Les débuts du P.C. sont difficiles. Peu nombreux - la fédération de la Loire Inférieure est l'une des plus petites de France - sans argent, ils s'installent dans un petit local tristounet près de la place Bretagne. C'est, dit-on, de cette proximité de la place Bretagne que lui vint ce surnom d'Hermine Rouge dont Faligot et Kauffer ont fait leur première de couverture.

Bien évidemment, la Sûreté Générale a l'œil sur ces trublions en puissance.

A Indret, également, les Cremet, Hureau, Legal et autres sont sous surveillance. C'est dans ce contexte que l'on peut lire sous la plume de !'Ingénieur du Génie Maritime Le jeune : « L'ouvrier Jean Cremet vient de demander une permission de 8 jours à compter du 24 février pour assister au congrès socialiste de Strasbourg. Aucun règlement ne me permet de refuser, mais je pense qu'il serait bon de surveiller, à toutes fins utiles, les agissements de Cremet à Strasbourg. Cet ouvrier est en effet un de nos plus mauvais éléments. C'est un propagandiste dangereux. »

Jean Cremet, Emile Hureau, Pierre Hureau, Georges Barboteau, Pierre Ardois, Eugène Legal, Thibault, Jousseaume, Fulneau... : A l'examen de cette liste non exhaustive des membres du syndicat d'lndret, un membre du personnel d'encadrement peut légitimement, il est vrai, exprimer quelques craintes.

Début 1921, après de longues années de recherches, Calmette et Guérin viennent de mettre au point un vaccin contre ce mal qui ronge la santé des français : la tuberculose.

C'est à ce même moment que Jean contracte cette terrible maladie. Il lui faut du repos. Une telle prescription peut-elle être compatible avec notre homme ! Ses nouvelles fonctions, alliées à la fougue qui l'a toujours animé, sont opposées à ces mesures de prudence, seraient-elles mêmes dictées par les plus hautes sociétés médicales. La Cause d'abord !

Le 1er mai 1921, c'est en qualité de secrétaire adjoint de la fédération communiste de Loire Inférieure que Jean préside la manifestation de la fête du travail à Basse-Indre. Syndicalistes et Politiques défilent ensemble, mais rien n'est plus comme avant. Le congrès de Tours est passé par là, et les blessures qu'il a laissées ne se sont pas encore cicatrisées.

Le 1er janvier 1922, Jean devient secrétaire fédéral. Cette promotion n'est certes pas acceptée de bon cœur par Alphonsine qui voit dans cette nouvelle responsabilité des absences de plus en plus fréquentes et de plus en plus longues.

Au printemps les faits prennent une nouvelle tournure. La Sûreté veille et les bruits les plus étonnants circulent : en mars Cremet aurait, dit-on, été contacté pour devenir le secrétaire particulier de Marcel Cachin, le secrétaire national du Parti Communiste Français. Mieux encore : la rumeur prétend qu'il aurait fait plusieurs voyage à Moscou et y aurait rencontré sa vieille connaissance pornicaise, Lénine.

Un fait est certain, au sein du parti son image prend de plus en plus d'importance : en octobre, en sa qualité de secrétaire fédéral, il représente la Loire Inférieure au Congrès du PCF. A ce Congrès, deux personnes influentes du Komintern sont présentes. A son retour, il laisse son poste de fédéral pour celui d'interfédéral. Il devient le chargé de propagande pour la Vendée, la Loire Inférieure et une grande partie de la Bretagne.

Début 1923, il se rend à Rennes pour y rencontrer Louise Bodin. Elle est la femme d'un médecin de renom. Elle a commencé sa carrière de militante comme féministe, puis devient la fondatrice du Parti Communiste rennais. Maniant bien la plume elle est la cheville ouvrière du journal bimensuel « La Bretagne communiste » qui a réuni sous un même titre deux autre journaux engagés « La voix communiste » et « Germinal ».

Depuis quelque temps Louise, malade, ne peut plus assumer sa tâche. Elle a besoin d'un renfort. C'est ainsi que Jean entre dans le journalisme militant. En franchissant cette nouvelle étape, il devient le personnage-clé du mouvement communiste du Grand Ouest.

Dans ce contexte politico-journalistique notre petit rouquin fait la connaissance d'un monde nouveau et de personnages qui laisseront leurs noms dans l'Histoire.

Par le biais du journal, il fait la rencontre de Nguyên Ai Quôc, de son véritable nom Nguyên Sinh Cung (les pseudonymes sont monnaies courantes à cette époque et notre Jean saura lui aussi en son temps en user), photographe vietnamien qui, dès sa venue en France, a adopté la cause communiste et rappelle constamment à ses dirigeants leur engagement à l'égard des colonisés. Plus tard il deviendra beaucoup plus connu sous le nom de Ho Chi Minh.

D'autres asiatiques font partie de ses fréquentations. Ce sont des chinois cette fois. Au mois de février, ils viennent de créer le Parti Communiste Chinois de Paris. Ce petit groupe est dirigé par un certain Zhou En Lai aidé en cela par le jeune Deng Xiaoping ...

Et Indret dans tout cela ? Jean ne possède pas le don d'ubiquité, et malgré tout son dynamisme il ne peut à la fois être à son travail et participer au fonctionnement du parti. Ses absences sont de plus en plus fréquentes et sont l'objet d'observations tout d'abord verbales.

Puis vient le temps des rappels à l'ordre.

C'est ainsi que le 6 octobre 1922, il est rappelé à l'ouvrier Jean Cremet, matricule 2510, qu'il est interdit de s'absenter sans avoir demandé l'autorisation (absence illégale du 4 novembre 1922).

N'était-ce pas à cette même époque qu'avait lieu à Paris le congrès du PCF ?

Hélas ! Sa passion pour le Parti est la plus forte, et le 9 mai 1923, la sanction tombe : Congédié d'office pour absences illégales (OD n° 74 du 9 mai 1923). La carrière de Jean à Indret est définitivement terminée.