Histoire de Saint Jean de Boiseau

Les guerres de la Grande Guerre

à Saint Jean de Boiseau

(1)



Le XXème siècle restera sans doute dans l'Histoire, comme le siècle des conflits mondiaux : eux en quelques décennies... La Première guerre mondiale, est peut-être la moins bien connue de ces deux guerres. Pourtant cette première guerre mondiale marque une grande rupture dans notre histoire. Jamais, auparavant, les hommes ne s'étaient massacrés avec une telle application, avec de tels moyens techniques ...

Cette guerre s'est déroulée principalement dans le nord et l'est de la France. Ainsi, notre région, bien loin géographiquement des zones de combats, est épargnée. Pourtant, les habitants de Saint-Jean-de-Boiseau, comme toute la population française, sont touchés par ce conflit. Ces quatre années vont traumatiser deux générations, bouleverser l'économie du pays, changer les mentalités.

Comment nos parents et grands-parents ont-ils vécu cette terrible période ?

Déclaration de guerre et mobilisation

Les Français ne voient pas vraiment venir cette guerre. La situation est tendue en Europe depuis plusieurs années ce qui a poussé les pays à établir des alliances : la France, l'Angleterre et la Russie d'une part ; l'Allemagne, l'Autriche-Hongrie et l'Italie font de même d'autre part. Si un pays est attaqué, ses alliés viendront le défendre.

La tension monte de plus en plus et atteint son paroxysme lorsque l'héritier de l'Empire d'Autriche-Hongrie est assassiné à Sarajevo le 28 juin 1914. L'Europe est à deux doigts de la guerre.

Les journaux français font état de cet assassinat mais très vite ils reviennent à leur principale préoccupation qui fait la une des journaux depuis des semaines : le procès de Mme Caillaux, femme de ministre. Elle a assassiné d'un coup de révolver le directeur d'un journal parisien qui menaçait de publier des lettres compromettantes pour son mari ... Quel scandale ! Cette histoire passionne les Français durant le début de cet été 1914.

Dans les journaux nantais, il n'y a pas d'inquiétude jusqu'au 26 juillet. A partir de cette date, la tension de devient perceptible même si la vie continue à se dérouler normalement.

Le 1er août le gouvernement français décrète la mobilisation générale. C'est le préfet du département qui est le premier prévenu. Il téléphone aux maires pour annoncer la nouvelle. Dès le 2 août une affiche ministérielle est placardée sur tous les panneaux d'informations.

Pour que la nouvelle soit connue de tous au plus vite, on fait sonner le tocsin aux églises. Dans les campagnes, les familles sont bien souvent aux champs et apprennent la nouvelle, de cette manière.

Aussitôt, les choses vont très vite. Beaucoup d'hommes partent dès le 3 août. Les classes 1887 à 1914 sont mobilisées, c'est à dire tous les hommes de 20 à 47 ans.

On a souvent parlé que les futurs poilus sont partis en chantant, la fleur au fusil. Ces scènes patriotiques sont très rares et le fait, le plus souvent, d'urbains. Dans les campagnes, les hommes sont plus inquiets, ils laissent leurs champs, leurs fermes aux seules mains des femmes, des enfants et des anciens.

Malgré tout, tous partent sans hésiter. Ils ont un grand sens du devoir patriotique. La guerre perdue de 1871 a laissé un sentiment de honte et une envie de revanche, notamment pour reprendre aux Allemands l'Alsace et la Lorraine. Ainsi, beaucoup d'hommes partent à la guerre non pas joyeux, mais déterminés et persuadés qu'ils vont délivrer les Alsaciens et les Lorrains. De plus, tout le monde le sait, la guerre va être très rapide, quelques semaines au plus, et on aura écrasé les Allemands ...

Malheureusement, la suite montrera qu'ils s'étaient lourdement trompés, qu'ils entraient dans une guerre qui allait durer plus de 4 ans et que les contemporains appelleraient très vite la « Grande Guerre ».

Les combats, les bombardements, le front et ses tranchées ne concernent que le nord et l'est du Pays, et pendant quelques temps, Paris. Le reste du territoire est à l'abri. Cependant les conséquences de ce conflit se ressentent partout et la région nantaise ne fait pas exception à la règle.

Du jour au lendemain, les femmes se retrouvent seules. Elles doivent prendre toutes les décisions, gérer la famille, l'exploitation familiale en milieu rural (alors qu'elles n'ont pas l'autorité parentale et qu'elles sont mineures juridiquement. Inutile de vous préciser qu'elles n'ont pas le droit de vote). Psychologiquement, c'est un pas énorme à franchir. Elles ne sont plus dépendantes de leurs maris puisqu'ils ne sont plus là, et elles doivent assurer leur subsistance.

Le travail des femmes

Dans beaucoup de cas, c'est l'homme qui ramène un salaire au foyer. La femme, soit ne travaille pas, soit est payée à un montant très inférieur à celui des hommes. Il se pose donc un problème car du jour au lendemain, il n'y a plus de revenus dans bien des familles. L'Etat met en place des indemnités pour toutes les familles des soldats mobilisés. Cela leur permet théoriquement dè vivre mais ces indemnités sont longues à venir et n'ont pas toujours été versées régulièrement. De plus elles ne sont pas cumulables avec d'autres secours.
A St Jean de Boiseau, le conseil municipal est conscient de ce problème car dès le 5 août il vote un crédit de 1 000 F afin de donner aux femmes qui ne peuvent gagner leur vie, une livre de pain par jour et par personne.

En ville, beaucoup d'entreprises doivent fermer leurs portes dans les jours qui suivent la mobilisation : il ne reste plus assez d'ouvriers, d'employés pour faire fonctionner les machines. Rapidement, d'autres problèmes viennent s'ajouter au manque de personnel : les Allemands ont pris place dans le nord et l'est de la France où se trouvent nos mines de charbon et d'une manière générale nos ressources en matière première. D'autres usines ferment donc, ce qui accroît le chômage pour les hommes qui ne sont pas encore mobilisés.

La France entière vit sur ses réserves les premiers temps de la guerre : c'est sûr, tout le monde le dit, cette guerre va être vite réglée par une victoire française. Malheureusement, au bout de quelques semaines il faut se rendre à l'évidence : la guerre dure et les réserves en tout genre fondent. Il est temps de relancer l'économie principalement basée sur les besoins des militaires. C'est la mise en place d'une économie de guerre : on fabrique en priorité pour cette cause.
Les usines de la Biscuiterie Nantaise ont fermées leurs portes au début du conflit, mais elles redémarrent vite car elles sont réquisitionnées par 1'armée. Des ouvrières préparent des colis pour les soldats avec les stocks. Puis l'usine se lance dans la fabrication du pain de guerre, sorte de biscuit.

Dans les campagnes, les femmes ont l'habitude de travailler à la ferme avec leur mari. Mais elles se consacrent généralement à la basse-cour, elles aident aux moments de moissons mais jamais elles ne faisaient les gros travaux des champs. Dans ces moments difficiles, elles sont bien obligées de faire face. Dans notre région, tous les travalLx se font à la main et avec l'aide de la force animale. Il n'y a aucun tracteur. Les choses sont d'autant plus difficiles que l'armée a réquisitionné tous les animaux de trait : les chevaux, les bœufs ... des commissions de réquisition passent régulièrement. Parfois ils refusent un animal, trop vieux, pas assez costaud. Mais plus le conflit dure, plus les animaux meurent, autant que les hommes et les recalés sont réquisitionnés à leur tour. Bref, rapidement il ne reste que très peu d'animaux pour tracter et les charrettes sont tirées à bras. Les conditions de travail deviennent de plus en plus difficiles.

L'arrivée de prisonniers de guerre dans notre région va améliorer quelque peu la situation. En effet, des soldats sont faits prisonniers dans chaque camp au cours des batailles. On ne peut les garder sur place : ils encombreraient, risqueraient de s'enfuir et de reformer des armées. Ils sont donc envoyés à l'arrière pour travailler.

Certains prisonniers se retrouvent dans des fermes du Pays de Retz. Ils portent des tenues blanches sur lesquelles on peut lire les deux lettres : P G : Prisonnier de Guerre.

D'autres prisonniers sont employés dans les parcs de la ville de Nantes transformés en jardins potagers. Ainsi, le parc de Procé ou la propriété du Grand Blotereau ... produisent des pommes de terre, haricots secs, haricots verts, navets blancs, oignons, poireaux ...

Le château du Pé a lui aussi des prisonniers allemands qui forment une équipe agricole. En mars 1916, un des prisonnier s'éloigne pour une envie naturelle. En fait, il s'enfuit et il est retrouvé à La Montagne où il est arrêté par un retraité de la Marine.

Il expliquera aux gendarmes qu'il ne veut plus cultiver la terre car en Prnsse orientale dont il est originaire, il est employé de banque. Il comptait rentrer à pied chez lui, se croyant peu éloigné de l'Allemagne ...

Les poilus qui viennent d'un milieu rural, ne perdent jamais le contact avec leurs terres. Dans leurs lettres, ils donnent des instructions à leurs femmes sur les champs à cultiver, les dates auxquelles il faut faire les différentes opérations, etc...

Au fur et à mesure que le temps passe, les pertes matérielles sont relativisées par ces poilus. Voici quelques lignes écrites à Jean David par un de ses cousins, tous deux sont au front, pas très éloignés l'un de l'autre d'ailleurs : « les nouvelles de la maison sont assez bonnes, mais bien du travail va rester à faire et je compte bien sur la perte totale de nos prés du bas. En tout autre circonstance ce serait désolant mais au milieu de ce sacrifice de vies humaines je n'y attache pas beaucoup d'importance, car le principal est de revenir vivant pour réparer toutes ces pertes. » Cette lettre est datée du 29 juillet 1915. On voit bien, en moins d'un an de guene, l'évolution de l'état d'esprit des poilus. Le bel optimisme de l'été 1914 n'est plus de mise.

Les réquisitions

Beaucoup d'animaux sont réquisitionnés. En échange d'un animal, les propriétaires reçoivent une indemnité en argent. C'est ce qui est arrivé à Jean-Marie et Joséphine Bronais, jeune couple vivant au Vieux-Four. Jean-Marie est vigneron et possède un cheval. Dès début août, Jean-Marie est mobilisé, son cheval aussi et sa jeune femme reste avec leur petite fille de quelques jours. Elle a touché l'argent du cheval. Cela inquiète beaucoup son beau-père qui ne semble pas avoir une grande confiance dans la gestion féminine car il lui répète souvent : « ne mange pas l'argent du cheval ! ». (Jean-Marie reviendra de la guerre indiemne et se rachètera un cheval).

Si l'armée a besoin de nouniture pour les soldats, pour les chevaux, de vêtements, d'objets en tout genre (même les bicyclettes sont réquisitionnées chez les marchands de cycles), elle a surtout besoin de munitions et d'armement. Plusieurs usines sont réquisitionnées et réaménagées pour cette nouvelle production. C'est le cas des usines de Basse-Indre et de l'établissement d'Indret bien sûr.

Indret

Avant la guerre, cette usine fabriquait des appareils moteurs complets, des chaudières, des pièces détachées * pour la Marine Nationale. Elle était en mesure d'exécuter tous les travaux de fer, de fonte, d'acier et de bronze.

Pendant la guerre de 1870, Indret avait déjà apporté son concours actif aux opérations militaires en fabriquant des canons de mitrailleuses et autres engins de guerre.

Avec cette nouvelle guerre en 1914, l'usine doit mettre à la disposition du ministre de la guerre tous les hommes appartenant aux classes 1905 à 1910 (25 à 29 ans). Certains de ces ouvriers partent aux arsenaux de Bourges, de Tarbes et de Tulles. Il y a également des prélèvements d'ouvriers des classes 1900 à 1904 (30 à 34 ans) parmi les ouvriers non indispensables. Bref, tout cela provoque une diminution de l'effectif. Cette diminution va être rapidement compensée par l'emploi de militaires, dès la fin de 1914, puis par l'embauche d'ouvrières à partir de juillet 1915, d'Algériens et de Chinois en 1917 - 1918.

L'usine d'lndret fabrique des obus de 75 : plus 3 millions sur toute la période. Elle fabrique également des obus de 220, des gaines relais pour obus de 75, des affuts de 75 et de 155 C, et enfin, diverses pièces pour l'artillerie.

Des femmes dans une usine de matériel de guerre, c'est une grande première. Bien sùr, elles arcèdent ainsi à une certaine autonomie, notamment en recevant un salaire qui est relativement important dans ces usines d'armement.

Mais les journées sont longues, difficiles, et le travail est dangereux. Des accidents de travail surviennent : une femme travaillant sur un tour a eu une mèche de cheveux pris dans la machine. Aucune sécurité à cette époque, sur ces machines. Il est donc impossible de les arrèter rapidement. La pauvre femme en meurt. Des leçons sont tirées de cet accident : à partir de ce moment-là toutes les femmes devront avoir les cheveux soigneusement attachés et couverts par un foulard..

La famille Averty de St-Jean-de-Boiseau est lourdement touchée par ces accidents de travail. Deux de enfants, une jeune fille et son frère Emile, travaillent à l'usine d'Indret. En avril 1915, la jeune fille est blessée au pied par la chute d'une gaîne. Le lendemain, c'est Emile qui trouve la mort : il est saisi par une courroie de transmission et est broyé dans une machine.