Histoire de Saint Jean de Boiseau

Le commissaire SAINT et son obsession



« Delenda Carthago ». Ou si vous préférez, il faut détruire Carthage. C'est par cet apophtegme que CATON, l'Ancien ou le Censeur, homme d'Etat tenninait systématiquement ses discours devant le Sénat romain, et ce, quel qu'en fût le sujet. Le résultat , vous le connaissez, la troisième guerre punique qui démarra l'année de la mort à 85 ans de cet ingambe politique et qui amena la destruction et l'arasement de la cité abhorrée.

SAINT avait au moins un point commun avec lui : une idée fixe qu'il ne cessait de répéter dans ses écrits. En effet, il estimait que le canton du Pellerin avait besoin d'une force armée digne de ce nom. Le résultat, c'est que si Le Pellerin créa momentanément, contre son gré, une Garde Nationale sédentaire, ce fut le moment où SAINT revendiqua avec le plus de véhémence une troupe d'une trentaine d'hommes disposant d'un commandement neutre, apte à apporter la paix et la sérénité dans les esprits locaux.

SAINT était commissaire du Directoire Exécutif près l'administration municipale du Pellerin. Il ne faut pas comprendre le terme de commissaire comme fonctionnaire de police tel que nous avons l'habitude de l'entendre, mais bien comme celui de quelqu'un qui est commis à une tâche spéciale et temporaire. Celle de SAINT, si elle comportait effectivement un rôle de surveillance auprès des instances et de la population locale, consistait également à aider à la mise en place de la nouvelle administration que la Révolution apportait avec elle. Il avait donc un rôle de laison entre autorités départementales et locales, role qu'il assuma pleinement vu l'abondance de ses courriers détenus par les Archives Départementales de Loire atlantique.

Natif d'Auray dans le Morbihan, il était né vraisemblablement en 1746. Haut de 5 pieds 5 pouces, soit 1,76 m, il disposait d'un visage assez ordinaire si ce n'est qu'il était affublé d'un appendice nasal et d'un menton dont réciproquement grosseur et longueur méritèrent une mention spéciale sur la description qui nous en est parvenue. Ajoutez à cela qu'il était borgne de l'oeil gauche, en somme peu de choses pour passer inaperçu en ces temps où il n'était pas de bon ton de trop se faire remarquer. Arrivé en juin 1787 au Pellerin, il clamera haut et fort en novembre 1799 qu'il était un « entêté qui ne veut pas fuir parce que je suis oû ami des mécontens oû que je suis foû, ne craignant pas de mourin », ce qui ne l'avait pas empêché lors de la révolte de mars 1793 de se réfugier à Nantes et de n'en revenir qu'en Frimaire de l'an IV soit en novembre décembre 1795 investi de ses pouvoirs . Il semblait pourtant être un homme de caractère qui n'hésitait pas à contrer, malgré les risques qu'il encourait, tout ce qui n'allait pas dans le sens qu'il croyait être le bon. Il écrira lui-même « on vient allanner ma femme, en lui rap­ portant qu'on veut m'assassiner, je n'en vaispas moins seul dans la campagne, je ne vois rien, on ne me dit rien : je ne suis pas facile à intimider ; si cela arrive cependant, je demande les honneurs au procès-verbal ».

Homme d'une certaine culture pour l'époque, il a un style parfois un peu lourd et commet cependant un certain nombre de fautes d'orthographe, certaines systématiques, ce qui montre quelque insuffisance. Cela ne l'empêche pas de placer parfois une ou deux locutions latines dans ses courriers. « ln vino véritas » écrira-t-il à propos d'un homme qu'il qualifie de scélérat (le mot est coutumier à l'époque) et qui, estime-t-il sans doute, rend un culte trop assidu et trop dévot à Bacchus. Ou bien encore, mis en cause par les plus hauts responsables pellerinais, il défendra avec emphase sa cause et ne craindra pas de terminer sa prose lyrique par un splendide « Unguibus et rostro pro patriapugnabo ». Les pages roses du Petit Larousse nous aident à comprendre qu'il voulait tout simplement combattre vigoureusement pour sa patrie, Unguibus et rostro signifiant du bec et des ongles, Pro Patria ne laissant aucun doute et pugnabo, c'est dire sa pugnacité : combattre.

D'une grande rigueur, il n'hésitait pas à dénoncer systématiquement tout ce qui lui paraissait blâmable, il avait également un sens de la justice assez poussé. Ainsi s'il avait vigoureusement condamné les premiers révoltés de 1793 qui l'avaient fait fuir, il ne connaissait à ceux qui avaient fait leur mea-culpa des endroits parfaitement identiques aux patriotes qui avaient soutenu la Révolution à la seule condition qu'ils n'aient pas repris les armes lorsque CHARETTE recommença la lutte. Les habitants de Cheix qui s'étaient insurgés comme tout le pays de Retz lors de levée des trois cents milles hommes rentrèrent chez eux après la paix de La Jaunais. En mars 1796, le commandant de la troupe basée à Port St Père leur réclama 34 fusils. Ceux-ci qui avaient déclaré ne détenir que 15 armes à feu et qui les avaient remises à l'administration quatre jours auparavant protestèrent de leur bonne foi. Las, ce militaire , critiqué par SAINT pour cette action, confisqua 23 paires de bestiaux dans cette petite bourgade après avoir forcé toutes les serrures pour - 3 fois en une semaine - et annonça à la population retrouverait son bétail que lorsque les armes remises. SAINT prendra la défense des brimés en rappelant que ces derniers s'ils avaient commis une première erreur, étaient désormais rentrés dans le droit chemin et devaient bénéficier du soutien des autorités départementales. Il n'hésitera pas à cette occasion à faire le parallèle entre cette petite bourgade et Rouans dont les premières avaient repris les armes en même temps que le chef vendéen. Cette dernière écrit-il à propos « tant d'occasions de satisfaire son goùt pout les expéditions militaires et risque tranquille pour les rebelles et inaccessible aux lois et patriotes ».

Un autre exemple de sa rigueur est montré par l'anecdote suivante. Mis en cause une fois par les responsables pellerins, il contre-attaque, se plaint et écrit au département en ces termes : « Vous devez accélérer l'expédition de ma plainte, poursuivre les coupables, soit moi oû mes calomnieurs sans quoi les agents du gouvernement tomberont dans le même mépris et l'impunité rendra leur sûreté personnelle sujette à toute espèce d'insulte. Je vous serais obligé d'en écrire au Directoire car je n'ai écrit qu'au citoïen ministre de l'intérieur à qui j'ai remis enfin une plainte.
Je suis l'homme du gouvernement, il doit me punir avec le plus grandeur si je suis coupable mais me soutenir avec force quand le m'acquitte exactement de mon devoir.
».

La guerre de Vendée avait amené bien des destructions sur le plan local, notamment au Pellerin dont les differents moulins étaient hors de service. Son justice lui fera demander au département de prendre la réfection des deux moulins de Binet de Jasson dont les biens avaient été saisés puisqu'il avait avait émigré pour que la population locale puisse continuer à moudre son blé sans avoir recours à des meuniers parfois éloignés de trois lieues et qui exploitent à fond la situation en retenant pour salaire le quart de la production alors que la norme n'était que du seizième.

Mais là ne s'arrête pas sa conviction à défendre parfois ses concitoyens. Les administateurs du Pellerin ayant été sévèrement critiqués par les instances départementales pour ne pas exercer correctement leurs fonctions, il prendra la défense de ceux que dans d'autres fonctions, il vitupère vigoureusement. Il plaidera la cause des membres de la municipalité qui trouvent leur excuse « dans la conduite des municipalités limitrophes qui n'agissent et ne font nul cas des lois, acquis et arrêtés et réquisition leur est faite de coopérer à l'exécution des lois. Elle est pardonnable à des hommes qui aïant sacrifié et perdû pour la Révulation se doivent aux besoins de leur famille ». Ainsi si le pellerinains souffrent ces critiques qes devrait-on des habitants de Boiseau qui « n'a encore rien fait si ce n'est une assemblée pour nommer agent municipal et son ajoint deux déserteurs de la marine contre les lois !». Comble d'audace, cette commune « a refusé malgré votre réquisition : 1°) - l'état du tiers des citoïens qui sont éloignés d'avoir perdu par l'insurrection et sont riches afin de ne pas participer à l'emprunt forcé .
2°) - Ont refusé l'état des jeunes gens de la première réquisition, parce que tous ces jeunes gens ont désertés, et que tous ses habitans, surtout les membres de la municipalité, ont donné refuge à ces déserteurs.
3°) - Elle ne veut donner l'état des chevaux propres au service militaire, c'est cependant la seule du canton qui ait des animaux de cette classe.
4°) - elle ne donne pas enfin l'état des matelots qui sont rentrés avec congé oû sans congé parces que tous lesjeunes gens sont dans le cas d'être dénoncés à la gendarmerie
».

Pour SAINT, l'honneur est une valeur avec laquelle on ne transige pas. Il a pourtant la malchance d'être dans un canton où les qualités patriotiques ne brillent pas outre mesure. Quatre communes se partagent donc le canton, Le Pellerin a des habitants peu convaincus de l'idéal républicain et qui suivent la République plus par crainte que par attachement. Cheix, dont les hommes ont suivi le chef vendéen lors de sa première prise d'annes est revenue de son erreur, les habitants semblent désormais être de bons républicains, ils sont assidus à leurs travaux, Rouans à l'exception de « 10 à 12 familles » est infesté par les brigands et est inaccessible aux vrais patriotes car « on ne voîage en cette commune, qu'armé et en certain nombre », Boiseau est décidément une commune de frondeurs qui n'obéissent aux lois que si celles-ci leurs sont favorables, c'est pourtant celle dont l'esprit guerrier est le plus développé et qui n'hésite pas à prendre les armes contre les brigands.

De tout cet amalgame, notre commissaire vertueux est fortement indisposé par le peu de velléité de certains de ses compatriotes. Ainsi le 5 Frimaire An VIII soit le 5 Décembre l799 des rebelles sont entrés dans Machecoul. Bien calmes ceux-ci en sont ressortis peu après et se sont réfugiés dans la forêt de Princé, telle est du moins la rumeur locale. Le commandant de la garnison de Bourgneuf prévient son collègue de Bouaye - les voies les plus directes ne semblent pas à l'époque une vertu miraculeuse - que le bruit court que ceux-ci vont sans doute attaquer Le Pellerin, Boiseau et le Château d'AUX. La population pellerinaise, peu soucieuse de risquer sa vie dans des combats aléatoires, montre - c'est un euphémisme - très peu d'empressement à se mobiliser. SAINT écrira donc deux jours plus tard que ses compatriotes « n'ont pas manifesté du zèle et tenaient les propos les plus indécens qui dévoillaient leur nullité et le danger de les voir armés.
Pourquoi nous battre contre les rebelles, ils n'en veulent qu'aux fonctionnaires publics et aux acquéreurs de biens nationaux, nous ne sommes pas dans ce cas là, il nefaut pas nous défendre.
Voulait-on envoïer quelqu'un à la découverte, on répondait : Païés-moi majournée etj'irai. Commandait-on à quelqu'un de prendre les armes, sa réponse était J'ai besoin de me reposer pour gagner demain majournée
».

Ce n'est pas sans peine que l'on réussit ce soir­là à doubler la garde au Pellerin, on y parvint toutefois, les moyens utilisés pour persuader les récalcitrants ne sont pas mentionnés mais on se donne du courage comme on peut, peut-être y eut-il quelques bacchanales inavouées, toujours est-il que notre mentor local déplora que la plupart des hommes étaient ivres. Un fait mérite néanmoins d'être souligné, si la population pellerinaise qui était partie se coucher et qui le lendemain matin partit aussitôt aux champs ne prit que peu de cas de cette affaire, une troupe de 80 hommes de Boiseau était venue en renfort dans la nuit pour repousser une éventuelle attaque. Le lendemain à 11 heures, elle s'en retourna chez elle sans qu'on lui « ait témoigné la moindre reconnaissance de son zèle qui paraît déplaire ». En outre, un bâtiment stationnait dans la rade face au Pellerin, plusieurs habitants « jeunes et vigoureux » suivant le commandant de ce dernier tentèrent de s'y réfugier. Ils n'y furent pas tolérés, par contre les 25 douaniers du port s'empressèrent de déposer leurs armes à son bord pour montrer qu'ils ne manifestaient aucune animosité. Toute cette affaire pour s'apercevoir quelques jours plus tard que seuls 4 ou 5 * retardataires ayant perdu leur colonne s'étaient retranchés en forêt sans manifester la moindre velléité et surtout pour y rester aussi discrets que possible.

Ces circonstances, aggravées par le fait qu'à Ste Pazanne dont l'état d'esprit devait étrangement y ressembler puisque 200 hommes se laissèrent désarmer par 8 chouans, font que notre commissaire ne montre qu'une confiance tout à fait limitée pour une force armée locale. Il préfère incontestablement une unité bien constituée, parfaitement encadrée et entraînée. C'est ce qu'il affirmera le 3 Thermidor de l'an IV en affirmant qu'une garde nationale sédentaire était plus dangereuse qu'utile, ce jour-là, Boiseau eut droit une fois encore à être vilipendée : « Je n'ai cessé et vous répète encore que la commune de Boizeau n'obtempère à aucune loi. On n'y a pas fait malgré mes demandes réitérées ni la liste des citoïens, l'état de population et la liste des jeunes gens de la 1ère réquisition, ni le dénombrement des animaux propre au service des armées, cet esprit d'insubordination, le croirés-vous est excité et entretenü par un particulier des bureaux du département ». Il estimera donc qu'il est déconseillé d'armer les gens de cette localité puisqu'« il n'y aura que la force qui y établira et fera exécuter les loiS », quant à armer les habitants de Rouans cela « est inadmissible et impraticable ».

En Janvier 1797, un miracle fugitif se produit enfin pour notre commissaire. Las, ce ne sont que 10 hommes de la Garde territoriale qui viennent prendre position au Pellerin. Comble de malheur, trois jours plus tard, ces hommes plient bagages et vont rejoindre d'autres horizons où leurs talents militaires seront mieux exploités. SAINT fulmine, il écrit au Département, clame son indignation, il sait « que les commandans de cantonnement ne peuvent refuser la force armée momentanément aux fonctionnaires publics et administrations, mais ils ne peuvent établir de poste sans l'ordre du Général ». Il saura trouver un appui auprès de son interlocuteur qui écrira à son tour au général de brigade AVRIL « Le commissaire du canton du Pellerin et moi avions regardé comme une disposition permanente l'envoi que vous aviez fait en cet endroit d'un détachement de 11 hommes, mais vous les avez sitôt rappelé, qu'on n'a pas eu le lems de sentir le bien qu'ils auraient pu y produire par un plus long séjoun ». Trois jours après, nouvelle missive de l'administrateur départemental auprès du même général, appuyée d'une demande similaire du canton de Couëron. Il insiste « de la manière la plus expresse pour l'établissement d'un cantonnement au Pellerin » et laisse planer comme une menace : « j'y attache la plus grande importance et j'en écrirai au général GRIGNY par voye extraordinaire si je ne comptais sur le plus prompt effet de vos dispositions personnelles. ». C'est très clair, mais le résultat ne sera pas celui attendu, le canton restera encore exsangue de troupes.

Qu'à cela ne tienne, il faut savoir puiser sa force dans ses échecs. Et voilà notre commissaire reparti dans sa croisade. Il est vrai que les prétextes pour justifier cette demande ne manquent pas, tel ce vol de biscaïens à Indret : « Quelle négligence dans l'administration d'Indret de laisser les boulets exposés au vol ». Les courriers dans lesquels apparaîtra sa petite phrase revendicative foisonneront. Pourtant, face à ses échecs répétés, il évoluera. A défaut de merles, contentons­ nous de grives, dut-il penser et il en viendra à réclamer auprès des élus locaux la formation d'une garde nationale sédentaire. Cette solution n'étant qu'un pis-aller qui permettra en tout état de cause de faire face à certaines situations critiques momentanées. Il s'en ouvrira auprès des responsables cantonaux et les forcera à délibérer à ce sujet. Comme on s'en doute, nul n'était favorable à cette solution. SAINT le sait car, écrit-il,« cette troupe les inquiète beaucoup, ils ont la simplicité de croire que c'est pour les arrêter, tant leur conscience leur reproche qu'ils en étaient la cause par leur insouciance à l'exécution des lois de la police et leurs propos liberticides ». Fûté, l'homme des campagnes l'est assurément lorsque des enjeux importants sont en cause. Il saura donc biaiser pour repousser au moins temporairement ce qu'il considère comme une menace : « Un membre observe que ce canton ne pourrait être assimilé à tous les cantons ruraux de ce département, qu'il a fait partie du théâtre de la guerre civile désignée par le nom de Vendée : sa population se compose de nombre amnistiés de fait, d'amnistiés de droit, de patriotes en petit nombre, réfugiés puis rentrés, d'étrangers venus du nord de la Loire dont la conduite politique n'est guère connue, qui dirigera donc le choix des hommes auxquels on peut donner des armes ! Armera-t-on seulement des citoyens dont les intentions nous en sommes certains sont bien pures ; mais qui malheureusement trop faciles à tromper peuvent en croyant marcher pour la patrie n'être en fait que des soldats du prêtre et du royalisme ? Peut­on dans certaines communes où il ny a pas 10 ou 15 citoyens que l'on puisse armer en toute confiance, espérer d'en imposer aux malveillants ? Ne doit-on pas craindre plutôt que cette formation de garde nationale, ce choix, ce triage indispensable en pareil cas ne réveillent des passions assoupies ; ne partagent les habitans en deux classes, ne mettent enfin deux parties en présence, leurs forces ou leurs faiblesses au grand jour ; précisément dans le temps que des agitateurs répandent des bruits alarmants, cherchent à semer la défiance, entre les citoyens, calomnient certains patriotes en le plaignant comme des anarchistes et des royalistes, font entendre aux amnistiés tranquilles que leur conduite seule ne peut les faire jouir de la sûreté que leur promet la loi ; et persuadent au point de faire dire et répéter qu'ils sont heureux d'avoir un protecteur contre tel homme qui voudrait et les eut fait arrêter.
L'arrêté du Directoire du 13 floréal a pour but une mesure certainement salutaire dans bien des cantons. L'est-elle dans le nôtre ? C'est du département que nous pouvons obtenir la réponse et le renseignement nécessaire dans le cas où elle jugerait cet établissement convenable
».

Les administrateurs locaux comptaient-ils sur la lenteur administrative ? Ils furent déçus car dans les jours qui suivirent, la réponse parvint en donnant l'accord souhaité par SAINT. Nos rusés pellerinais s'insurgèrent d'une telle décision. Manifestement les responsables départementaux n'avaient rien compris : « Considérant que d'après la lettre du 22 prairial précitée, l'administration centrale a cru voir dans notre lettre et délibération du 15 prairial notre désir de l'établissement d'une garde nationale sédentaire en ce canton, désir qui énoncé par le commissaire n'est pas partagé par l'administration.
Considérant que les avantages qui semblent devoir résulter de cette organisation sont au fond en partie illusoires, tandis que les inconvénients qui pourraient en résulter sont très grands et qu'il est de son devoir de la faire connaître à l'administration centrale
», ils décident donc de dissiper le malentendu qui vient d'éclore et délèguent deux plénipotentiaires qui, prudence oblige, « conféreront à ce sujet avec elle et rapporteront la réponse la plus prompte possible et les renseignements qui nous manquent ». Ouf ! 20 jours de gagnés, de plus notre commissaire doit attendre les résultats de cette entrevue.

Il n'attendra qu'une dizaine de jours pour se manifester. Déclarant que les résultats de la négociation ne lui sont pas connus, il ne connaît que la loi ; hors les administrateurs avaient donné l'ordre de créer cette garde. Donc, on doit donc nommer des commissaires, de civisme reconnu, dans chaque section de commune pour établir les listes des citoyens qui peuvent être inscrits sur les registres. Oui mais, répondront nos rusés compères, une action est en cours et il serait dommage de mettre en route un mécanisme qui pourrait être annulé dans les jours à venir. Il est donc urgent d'attendre.

C'est un chassé-croisé qui se produit alors. Lorsque Le Pellerin a pris cette décision, le département avait déjà répondu depuis trois jours, le courrier n'était peut-être pas parvenu à temps; Heureusement pour eux, car il comportait un ordre très clair. Comment obtempérer sans céder ? Deux semaines supplémentaires de réflexion seront nécessaires pour réunir de nouveau les instances pellerinaises. Le Département dans sa réponse avait « enjoint l'organisation de la garde nationale sédentaire en ce canton et d'une colonne mobile au cas que des citoyens voulussent en former une, comme elle en a l'assurance pour Boisseau». Suivez bien le raisonnement : il est spécifié « que l'arrêté du 22 germinal n'authorise l'organisation que de deux compagnies de garde nationale et que l'administration par sa lettre du 13 invite à enformer une au moins dans Boisseau pour répondre au zèle que les citoyens de cette commune lui ont fait connaître ». Et d'une. D'autre part « ce zèle assure qu'il se trouvera dans cette commune un nombre de citoyens de bonne volonté plus que suffisant pour former une compagnie mais que d'après l'assurance qu'on en a donné au département la formation d'une colonne mobile sera un moyen de rendre utile le zèle des citoyens qui ne pourraient entrer dans la compagnie». Et de deux. En conséquence, les habitants de Boiseau « où très peu d'habitants ont été rebelles» seront prévenus par affiches et publications qu'une compagnie de garde nationale sera créée dans leur commune et qu'ils ont la faculté de créer en outre, une colonne mobile. Il est impensable de créer quoi que soit à Cheix et Rouans, il ne reste que Le Pellerin. Ses habitants seront prévenus par l'agent pellerinais et son adjoint qu'ils peuvent s'ils le veulent se faire inscrire sur un registre qui sera ouvert.

Il faudra attendre encore presqu'un mois pour que SAINT rappelle qu'il avait déjà demandé que des commissaires soient nommés pour établir les registres de la garde. Le Pellerin obtempérera cette fois-ci. Pour notre commune seront nommés : à la Télindière DROUET Jean fils et VINET Pierre, au Bourg : HERVE Joseph et BLANCHET Pierre, à Boiseau : BERTREUX Noël et MONNIER François, au Fresne : PHILIPPE Guillaume et DEVIN Martin.

Nous sommes alors rendus à la mi-août et il faudra attendre le 20 Octobre pour qu'un concours de circonstances déclenche un signal d'alarme dans tout le pays de Retz et à fortiori dans notre canton. Dans la nuit précédente, des brigands seraient entrés dans la ville de Nantes. L'alerte est donnée dans toutes les campagnes. Les bruits les plus alarmistes se répandent comme une traînée de poudre. Un combat aurait eu lieu hier entre brigands et républicains à St Mars de Coutais, les patriotes de Machecoul et Port St Père se sont repliés sur Nantes et Indret, on assure que Bouaye et Brains ont aussi été évacués. Des mesures d'urgence sont prises, deux cavaliers partiront immédiatement pour s'assurer des faits. A onze heures, lors de leur retour, ils confirment pour Bouaye et Brains. Deux personnes sont envoyées à Indret avec ordre de ramener des armes et des munitions, deux autres iront à bord de l'Apollon pour réquitionner des canons - demande qui sera refusée par le commandant qui ne dispose pas d'ordre de sa hiérarchie directe - le navire l'Hydre, en rade devant le Pellerin est mis en état d'alerte pour pouvoir servir de retraite en cas d'attaque. Et surtout, surtout, l'appel des citoyens présents est effectué, ce qui permettra à deux cents personnes de créer la première garde nationale au Pellerin. Les officiers sont alors plébiscités par la troupe, ce qui vaudra à certains de se plaindre par la suite car ils ne savaient pas commander, le citoyen MAINGUY sera nommé commandant provisoire à 17 h 30. Les responsables pellerinais n'auront qu'une hâte, c'est de lui demander de prendre les mesures de sûreté nécessaires. A 19 heures, les munitions arrivent d'Indret. Mais depuis la veille, les brigands semblent tranquilles car on n'entend plus parler d'attaque, aussi à 22 h OO tous les responsables partent chez eux prendre un repos qu'ils estiment bien mérité. Le lendemain, devant le calme, l'état d'alerte est levé. Mais que s'était-il passé exactement ?

En fait, la gendarmerie avait ouï dire que des émigrés étaient de retour dans une maison dite de la Haye en St Mars. Une troupe s'y rendit pour les arrêter, ce qui provoqua une escarmouche au cours de laquelle 3 personnes furent tuées, une retraite des forces de l'ordre dut être opérée. Le hasard voulut que ce même jour les cantonnements de Machecoul et de Port St Père effectuèrent sur ordre prévu un repli sur Nantes. La coïncidence des deux mouvements tout à fait fortuits déclencha une véritable panique dans tout le pays de Retz qui y vit une conséquence et fut la cause de toutes ces rumeurs alarmistes qui n'avaient en fait aucun fondement.

Toujours est-il que ces événements avaient provoqué la création tant souhaitée par notre commissaire. Un véritable engouement parmi la population se manifesta puisque trois compagnies temporaires furent créées ce jour-là, SAINT lui-même, une fois n'est pas coutume, se fera le laudateur des valeurs patriotiques de ses concitoyens. Ce seront en fait six compagnies qui seront crées dans l'ensemble du canton dans les jours suivants. Mais cela n'apporta aucun répit dans ses demandes réitérées, loin de là, il reprit de plus belle son leitmotiv d'installation de véritable troupe. Hélas pour lui, les autorités départementales qui connaissaient la situation - SAINT lui-même avait fait son rapport - chantèrent à leur tour le louanges des patriotes du canton, une mention spéciale pour Boiseau fut encore inscrite, mention que les habitants justifièrent une fois de plus 5 mois plus tard lorsque le 26 Nivôse, 40 hommes repoussèrent 80 brigands de Bouguenais qui venaient d'incendier quelques maisons à la Briandière et s'apprêtaient à renouveler leur exploit dans le village de Boiseau.

Toujours est-il que nous n'avons retrouvé à ce jour aucune trace de la réalisation de ce que fut l'obsession de cet homme, soucieux qu'il était d'obtenir une force capable d'encadrer ces « corps de garde, où tous sont savans, tous veullent commander et personne ne veut obéin » et dans lesquels apparaissent souvent « des rixes plus risibles que dangereuses, où le plus souvent l'officier est plus coupable et blâmable que le soldat ».

Le temps qui m'est imparti est déjà dépassé. Aussi dois-je conclure. SAINT, homme de rigueur, qui s'attira de nombreuses inimitiés dans la région était toutefois aussi un homme de coeur car il savait s'émouvoir lorsqu'on trouvait un cadavre sans tête à la Porcherie, le ventre ouvert, les intestins épars et les bras coupés, lorsqu'une jeune mère au Grand Chemin tuait son nouveau-né ou encore lorsqu'un enfant de moins de huit ans assomma à coups de pierres et de bâton son compagnon de trois ans « d'une manière si cruelle qu'il n'est aucune partie du corps qui ne soit couverte de très fortes contusions » et dont « le maltraitement l'avait rendu méconnaissable, même à sa mère », « l'assassin croïant sa victime morte la traîna dans un fossé, l'y cacha dans des épines et feuillages, et retourna chés lui tranquillement emportant les hardes de l'assassiné ». «J'ai interrogé l'assassin, écrira-t­il, qui n'a pas nié son action, mais je n'ai pû tirer de lui aucun motif, et raison qui l'ait conduit à une pareille action, et même je n'ai vû en lui aucune démonstration de repentir.... Pour moi je crois que l'assassin qui a connû avec son père le brigandage a voullû exercer des scènes d'horreur dont il a été témoin».

Voilà, je ne m'étendrais pas sur les autres drames ou anecdotes que vécut notre région, telle l'aventure de ce douanier qui à l'instar de son émule dont Fernand RAYNAUD nous conta les aventures n'était pas bête et qui se crut, un jour d'euphorie, en mesure, lors de dégustations successives teintées de quelque gloutonnerie, capables de contribuer à écouler personnellement les * excédents de la production vinicole de la contrée. Il en perdit ses papiers le pauvre et redoutant plus que toute autre chose la justice des hommes et en particulier celle de ses supérieurs prétendit avoir été agressé et dépouillé par des brigands. Oh ! l'alerte générale qui s'ensuivit.

Bref, je m'arrête là et vous remercie de votre attention .