Histoire de Saint Jean de Boiseau

Le Bateau Lavoir


Dans les années 1944-45 ma tante était gérante d'un bateau lavoir, sur les quais de la Loire, quai Moncousu à Nantes. Cette activité dura jusque dans les années 1956- 57.

Je me souviens, j'arrivais à pied et du Pont Haudaudine, quel plaisir de voir, de loin, tout ce linge d'une blancheur éclatante flottant au vent.

Il y avait bien six ou sept rangées de fils, peut-être plus sur le quai, séparées par le passage qui permettait de descendre vers la passerelle donnant accès au bateau.

J'adorais monter sur la passerelle. Ca balançait un peu au-dessus de l'eau, puis une marche permettait de descendre à l'intérieur, et ma tante m'attrapait dans ses bras.

Là, tout un monde laborieux était en action, les odeurs m'arrivaient en plein visage, la vapeur du linge bouillant dans les gargotes (grands bassins de fonte) sous lesquelles brûlait un feu d'enfer, odeur du savon, du feu. Il y avait beaucoup de bruit dans le bateau, il fallait crier pour s'entendre.

Chaque blanchisseuse avait son « banc » et le baquet avec la planche à laver ondulée qui faisait penser à un « crin-crin ». Cette place était louée le temps de la lessive et il ne fallait pas se tromper, ou alors c'était des empoignades verbales que réglait ma tante aussitôt.

Le linge était rincé directement en Loire à l'extérieur du bateau. Le battoir entrait en action. Tenu d'une main solide, il s'abattait violemment sur le tissu (d'où le bruit), l'autre main retenant le linge car il fallait faire attention au courant pour qu'il ne soit pas emporté dans le fleuve.

C'était alors la catastrophe car il fallait remplacer la pièce perdue.

Mais la solidarité jouait, l'on criait et celles qui se trouvaient placées en aval, selon la marée, essayaient d'attraper le vêtement qui s'en allait au fil de l'eau. En général tout s'arrangeait. C'était un travail pénible, surtout le rinçage des draps.

Les blanchisseuses trouvaient à bord tout ce dont elles avaient besoin. Elles achetaient à ma tante, qui tenait rigoureusement les comptes, savon, lessive, eau de javel, boules bleues mais aussi le bois de chauffe.

Lorsque le linge était bouilli, rincé, il était déposé dans un panier. Celui-ci, lourdement chargé était transporté, à la main par la passerelle pour être déposé dans une brouette spéciale, en bois, très longue pouvant contenir deux paniers.

Il fallait ensuite remonter le quai avec ce chargement jusqu'au fil à linge qui leur était imparti : « son fil ». Il n'y avait pas intérêt à se tromper et prendre celui d'une autre ! C'était alors des invectives, des mots de charretier ! Les blanchisseuses avaient la réputation d'avoir un langage particulièrement grossier. Le p'tit blanc de pays aidant ... Dame ! il faisait chaud là-dedans !


C'était vraiment un métier très usant : l'été passe encore, mais l'hiver avec le froid, les mains gercées, abimées par le « venin d'eau », sorte d'eczéma, qui rendait le labeur très pénible et douloureux. J'ai vu les mains de ces femmes avec des doigts déformés et boursouflés.


J'ai aimé cette ambiance du bateau lavoir, ces bruits, ces cris, cette solidarité, cette gentillesse malgré les invectives. Si l'une manquait on s'inquiétait de son absence.

Chaque année, à Nantes, il y avait l'élection de la reine des blanchisseuses. Des cartes postales anciennes conservent l'iconographie de ces personnes burinées.

Tout un monde disparu avec l'arrivée de la machine à laver mais on ne peut pas regretter ce travail de forçat.