Histoire de Saint Jean de Boiseau

L'affaire Mariotte-Billet



Dans les bulletins 5, 6 et 7 (juin 1998 à juin 1999) de notre Société, nous vous avions entretenu de certains problèmes posés par les atterrissements créés en Loire, des enjeux importants qui devaient s'ensuivre, des espoirs conçus - parfois à retardement - par quelques hobereaux locaux et des luttes souvent fort longues qui opposèrent les différentes parties car cette notion même d'atterrissement ou d'accroissement différente de celle d'alluvions fut également la source de nombreuses diatribes. Ces luttes se terminaient généralement auprès des tribunaux, parfois après des durées impressionnantes. Rappelez-vous de celle qui opposa les édiles municipaux de St Jean à quelques propriétaires et qui finalement trouva sa conclusion auprès du tribunal de Rouen après 25 ans de plaidoiries à Paimboeuf, Nantes, Rennes etc.

Rappelons très brièvement la nuance qui sépare ces notions. L'atterrisement ou accroissement est une extension ou une apparition de terres, au milieu d'un fleuve ou d'une rivière navigable ou non, due aux travaux de l'homme. Cela se traduit par une apparition assez rapide de ces nouveaux terrains soit par extension des rives qui gagnent sur le lit du fleuve, soit par l'émergence de nouvelles îles en plein milieu du lit. Fleuves et rivières sont des propriétés royales, les travaux ne peuvent donc qu'être effectués qu'après accord, ce qui sera le cas de la commune de Nantes au lendemain de 1758 qui rétrocèdera parfois une partie de ses droits à des seigneurs locaux(1). L'atterrissement est donc la propriété de celui qui a procédé aux travaux. L'alluvion, elle, est consécutive à un phénomène naturel de dépôt progressif de vases ou de sables. Elle se forme donc « successivement et imperceptiblement » . Elle reste la propriété de l'Etat puisque le fleuve lui appartient.

Dans les lignes qui vont suivre, nous allons vous entretenir d'une affaire qui s'étala sur la fin du XVlll° et le début du XIX° siècle. Il s'agit des différends concernant un certain Mariotte, receveur des contributions des communes de Le Pellerin et Saint Jean de Boiseau. Ces différends l'amèneront à plusieurs reprises devant les tribunaux pour la possession de terres sur les îles en Loire dépendant de notre commune et sur les profits qu'il pouvait en retirer par l'exploitation des roseaux. Mais le plus surprenant dans cette histoire fut qu'il acheta des terres qu'un jugement ultérieur estima être sa propriété bien avant ... la date d'achat. Un imbroglio juridique apparut alors d'autant qu'une partie de sa famille lui intenta un procès puisqu'elle se jugeait également propriétaire de ces terres dont l'origine provenait d'un héritage indivis. Tribunaux, Conseil de Préfecture, Conseil d'Etat(2) se renvoyèrent sans cesse la balle sans que l'affaire ne puisse progresser. C'est ainsi que ce sera la veuve de Mariotte qui devra continuer les procédures engagées.

C'est le 21 nivose An V ou encore le 10 janvier 1797 que l'affaire va véritablement démarrer d'une manière officielle. Ce jour-là, un certain « Louis François Poulpiquet Halgouëf » s'adresse à l'Administration de notre Département et expose qu'il vient d'apprendre que « le tiers afférant à l'islot Poulpiquet dans le pré de la Boucane, l'isle Pivin et pré de la Perche, dépendants de la succession indivise de Françoise Boutheiller(4) Veuve Bertrand avoit été vendue aux citoyens Mariotte et autres » . Cette vente eut lieu le 17 Thermidor dernier (4 Août 1796). Il conteste, en effet, cette vente car, argumente-t-il, celle-ci n'a eu lieu que parce que la République a confisqué ces biens à un « Louis Constant Poulpiquet dit Halgouët », son père, considéré comme émigré en 1792. Or, en vertu d'un arrêté du 1er ventose An IV ( 20 février 1796 ), seule une moitié de la succession faisait l'objet de cette mesure de rétorsion, l'autre moitié lui revenant de plein droit à partager avec sa sœur René Eléonore puisque précisent les textes : « ils toucheront la moitié du prix de la vente des meubles et des grains et que l'autre moitié afférente à Hippolite et Elisabeth Poulpiquet femme de Chevières St Morand émigré restera aux mains du Receveur de la République ».

(1) Ce fut le cas notamment de : de Martel, d'Aux, Bertrand de Coeuvres, Portier de Lantino (ou Lantissimo).
(2) Napoléon, lui-même devra signer un décret qui ne changera rien à la complexité de l'affaire.
(3) Les Poulpiquet de Hargouet détenaient la propriété de l'Aunay (Launay) à La Montagne. Au moment de la Révolution, Louis Constant émigrera.
(4) Françoise Boutheiller était veuve de Bertrand de Coeuvres. Le 25 avril 1777, elle expose qu'en 1682 les propriétaires de la terre de Launay obtinrent la concession de quelques isles formées dans la Loire dans rétendue de la paroisse de Saint Etienne de Boizeau ; que ces îles qui n'en forment plus qu'une aujourd'hui contenaient alors 11 journaux qui par les soins et les dépenses des propriétaires se sont accrus et contiennent maintenant 25 journaux. Dans la crainte qu'on lui conteste par la suite la propriété de ces accroissements, elle demande la concession de ceux formés et à former à la charge de payer au domaine la même redevance par journal que celle qui a été imposée en 1682. Jusqu'en 1791, elle ne cessera sous l'impulsion de de Martel de revendiquer des terres gagnées sur la Loire grâce aux atterrissements. Pour ce faire, elle ira jusqu'à rappeler « la concession de l'accroissement qui s'est fait à l'isle Pivin-Boucane depuis 1638, époque de l'afféagement qui en fut fait au nommé RAGOT... >

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4 jours plus tard, nouvelle plainte. Celle-ci émane de Bertrand de Cœuvres et de « tous ses cohéritiers résidant en France » qui s'étonne d'apprendre cette vente ainsi que celle qui eut lieu 11 jours plus tôt par le même Mariotte pour des terres comprises cette fois sur l'île Chartreau-Boucane . Il en conteste la validité car dit-il :
« l'arrêté de votre administration du 15 brumaire An IV ( 6 novembre 1796 ) qui reconnaît les droits de tous les cohéritiers, ceux de la Nation, ordonne que le partage des meubles soit fait et qu'il soit sursis à celui des Immeubles ou l'impossibilité d'y vaquer jusqu'à la cessation de l'insurrection qui infestait le district de Clisson ». La paix étant revenue à Clisson, les pétitionnaires demandèrent dès le 21 Messidor ( 9 Juillet 1796 ), soit quelques jours avant les deux ventes, le partage de ces biens immeubles. Cela n'est-il pas un motif suffisant puisque « la loi ne permet de vendre que les biens dont le partage n'a pas été demandé en temps utile ».
• Louis Constant Poulpiquet a bien été considéré comme émigré « quoiqu'il n'ait jamais quitté Rennes où il est mort », mais surtout il n'avait aucun droit à cette succession « tout de l'estoc de sa femme Marie Elisabeth Berthrand dont l'administration a bien reconnu les descendants par ses arrêtés des 15 brumaire et 8 fructidor An IV ». L'administration n'a donc pu vendre un tiers de cette succession dans laquelle elle n'avait que deux parts ( il y en avait 12 dans la succession ). En outre, même ce tiers n'aurait pu être vendu partiellement tant qu'il était indivis puisque les experts, suite à la demande du 21 Messidor vaquent actuellement au partage.
• Cette façon est préjudiciable à tous, y compris donc à l'administration, puisque « s'il s'était trouvé d'autres acquéreurs que le citoyen Mariotte aurait-elle vendu un tiers d'une boiselée, d'un andain de pré, d'une hommée de vigne au premier qui en aurait fait la soumission ; non sans doute, autrement il eut été inutile de nommer des experts pour vaquer au prisage et partage de la totalité de la succession ».

Oui, mais Etienne Mariotte tient à ses 3 hectares et demi de terres sur l'île Chartreau­ Massereau. Il contre-attaque dès le 7 pluviose an V ( 21 janvier 1797 ) en restant muet sur la sucœssion des îles Boucane, Pivin et pré de la Perche. Pour cela, il rappelle que :
• Le 25 septembre 1735, Pierre Billet , maître tailleur d'habits a bien acheté la moitié de l'île concernée. Or l'épouse d'Etienne Mariotte, née Billet, est bien descendante directe de l'acheteur. Cela fait donc plus de 60 ans que Pierre Billet et ses héritiers jouissent paisiblement de ces terres. « Ce doit être un titre, ce me semble » tonitrue-t­il !
• Les dits héritiers furent fort surpris de voir « qu'un soit-disant fondé de pouvoir de Bertrand se fut permis d'affermer les accroissements qui ne lui appartenaient nullement aux citoyens Bertreux et consorts » pour y couper des roseaux. Un jugement fut prononcé par la suite concernant cette affaire.
• Par contre, Buaud et consorts ne se sont-ils pas vus interdire le 24 messidor An Ill ( 12 juillet 1795 ) de faucher et de couper des roseaux sur cette même île par ce même fondé de pouvoir alors que « jamais Bertrand ni ses fermiers n'avaient coupé et fauché dans l'ile Chartreau ». Là encore un jugement du 1er Fructidor déboutera Bertrand.
• C'est seulement depuis 1777, époque de l'établissement de la fonderie de l'île d'lndret que « la navigation fut tout à fait bannie de ce côté et [ que ] les accroissements se multiplièrent » rapidement suite à l'implantation de deux digues construites l'une à Roche-Ballue, l'autre au rocher au bas du village du Fresne pour former un bassin de rétention des eaux.
A qui appartenaient donc ces accroissements ?
Il consulta donc un homme de loi qui lui spécifia que ces accroissements ne pouvaient en aucun cas appartenir à Bertrand, que seuls les riverains avaient des droits sur ces nouvelles terres mais que la Nation avait le droit d'en disposer. C'est pourquoi il fit une soumission pour qu'aucune contestation ne puisse être possible.

Six jours plus tard, il rappelle également qu'il vient d'acquérir des terres sur les îles Boucane, Pivin et pré de la Perche et que cette transaction s'est déroulée de la manière la plus légale qu'il soit et qu'il s'est rendu acquéreur de ces terres pour la somme de 22 965,80 F.

C'est le 7 fructidor An V ( 24 août 1797 ) que le tribunal de Loire-Inférieure rendit deux jugements concernant ces terres et les rapports dont ils pouvaient être l'objet.

Dans le premier, il y est dit, d'entrée de jeu, que « La question est de savoir si le terrain qui s'est accru sur l'isle Chartreau-Massereau est un atterrissement appartenant à Bertrand de Coeuvres au dit nom, ou si au contraire il doit être considéré comme une alluvion qui s'est insensiblement formée sur le pré de l'isle Chartreau-Massereau appartenant à la famille Billet ».
Ce jugement fait suite à 3 audiences passées au cours desquelles :
• Bertrand de Coeuvres a reconnu « que le terrain qui joint actuellement l'isle Chartreau-Massereau s'y est réuni insensiblement et successivement depuis plusieurs années » . Ce qui correspond exactement à la définition d'une alluvion alors que l'atterrissement est une conséquence directe des travaux de l'homme.
• Tout le monde s'est accordé à dire « que le bras de la rivière appelé Courseau a toujours existé et a servi de séparation aux isles Boucane et Chartreau-Massereau, que seulement ce courseau s'est beaucoup rétréci depuis que cette dernière isle s'est accrue par les alluvions qui se sont formées ». • Par contre, Mariotte admet qu'« à l'époque du 16 Messidor an 4 ( 4 Juillet 1796 ) [ il ] n'avait pas soumis les alluvions dont est cas comme biens nationaux, qu'ainsi sa demande et ses exceptions n'étaient appuyées que sur le titre de 1735 et sur les lois, que s'il a méconnu son droit et celui de ses consorts en devenant acquéreur des alluvions en question d'avec l'administration centrale du département de la Loire-Inférieure, il n'y a en aucune manière renoncé.
Qu'il maintient seulement qu'il avait été induit en erreur par quelqu'un qui lui conseilla dans le doute de faire sa soumission »
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En vertu de ces attendus, Bertrand est débouté de sa demande et Mariotte et ses cohéritiers sont maintenus « dans la propriété de toutes les alluvions qui se sont faites sur l'isle Chartreau­Massereau ». Jugement, oh combien ambigu, puisque Mariotte a acheté des terres ... dont il vient d'obtenir la preuve qu'il en était déjà propriétaire !

Le second jugement, beaucoup plus inattendu oppose Louise Billet, demanderesse, à Etienne Mariotte et son épouse ... Thérèse Billet autrement dit à son beau-frère et sa sœur.
Que leur reproche-t-elle ?
Tout simplement d'avoir coupé des roseaux et d'avoir empoché la totalité de cette vente alors que la moitié de l'île Chartreau-Massereau - toujours elle - est indivise entre tous les héritiers Billet. La question de fond qui sera débattue est de savoir si l'acquisition récente de Mariotte sur cette île peut être préjudiciable à la demanderesse sur les droits qu'elle détenait auparavant. Mariotte se verra condamné à indemniser sa belle-sœur pour la part qui lui revient.

Un grand calme semble désormais régner sur cette affaire et il faudra un peu plus d'un an pour assister à une nouvelle initiative de Mariotte. Le 1er vendémiaire An VI ( 1797 ), André Danghin, ancien prêtre de St Jean est devenu juge de paix du canton du Pellerin, et il préside une séance au cours de laquelle la veuve Catherine Chanvel Veuve Pierre Michel Portier Lantissimo représentée par René Hervouët demeurant au Pé se plaint qu'Etienne Mariotte, Michel Quillaud, Pierre Goureau et Pierre Blanchet ont coupé « les roseaux et autres productions » d'une partie de l'île Boucane. Mariotte et ses consorts prétendent, pour leur part, que les terrains sur lesquels « ils avaient coupé des roseaux et qui est réclamé par la veuve Lantimo leurs appartenaient et qu'ils en contestoient même la possession annale ». Rendez-vous est pris sur le terrain pour le 5 suivant avec d'éventuels témoins pour définir les droits de propriété.

Le 5, Danghin est sur le terrain, il y trouve René Hervouët et ses témoins. Ni Mariotte, ni aucun de ses consorts n'est présent. Après plus d'une heure d'attente, défaut est constaté contre eux et les témoins présents affirment tous qu'ils bénéficient depuis plus d'un an, comme sous-fermier de Pierre Bertreux fermier principal, des terres appartenant à la veuve Portier de Lantino ( ou Lantissimo ). Mariotte et consorts seront condamnés à payer 165 F à la veuve qui est maintenue dans ses droits de propriété.

Dans les jours qui vont suivre, Mariotte semble faire une volte-face subite puisque le 22, il rédige un acte « pour mettre fin à nos différents relativement à la jouissance cette année du pré de l'isle Chartreau-Massereau ». Ce document qui se termine par « A ce moyen, tout procès est éteint » est censé mettre fin à la querelle qui l'oppose à sa belle-sœur et il y fait effectivement des concessions importantes. Peu après, au tout début de frimaire An VI ( fin novembre 1797 ) il verse la somme de 24 F « pour deux jours de vacation en descente sur les lieux, rédaction de procès-verbal et dépôt d'icelui à Nantes pour terminer à l'amiable entre lui et ses belles-soeurs d'une part et Bertrand de Coeuvres d'autre part pour et à l'occasion des jouissances à rapporter des alluvions de l'isle Chartreau-Massereau par le dit Bertrand ».

Et le 8 frimaire ( 28 Novembre 1897 }, il rédige une pétition où il expose « qu'il a soumis [...] les accrois de l'isle Chartreau-Massereau situés en la commune de Boizeau, que le contrat lui a été passé [...] alors il croyait que les dits accrois appartenaient à la République », que ces mêmes accrois « ont été déclarés appartenir aux cohéritiers Billet » Or, prétend-il, « ce n'était que pour mieux assurer la propriété des cohéritiers Billet dont Mariotte fait partie » qu'il fit cette proposition d'achat. Maintenant qu'il est reconnu comme propriétaire de ces alluvions - qu'il a soumis par erreur, dit-il - il réclame 1943,30 F au receveur des Domaines Nationaux comme trop perçu par l'administration. Et, ajoute-t-il, il « demande que si vous ne pouvez l'autoriser à faire cette compensation, vous l'autorisiez à suspendre toute poursuite envers lui, jusqu'à la décision du Ministre ».

Cette pétition va avoir des conséquences importantes opposées à ses espoirs.

En effet, 10 jours après, ce même receveur écrit à son supérieur une missive apportant quelques éclaircissements sur cette affaire. Son souci est de savoir à qui appartiennent les accroissements de l'île Chartreau. Après avoir rappelé brièvement les circonstances initiales de l'affaire et le jugement qui rendait Mariotte propriétaire de ces terres contre les prétentions de Bertrand de Cœuvres, il affirme « je maintiens qu'ils n'appartenaient ni à l'un ni à l'autre, mais bien à la Nation ».

Suivons son raisonnement.

Le 5 août 1778, la municipalité de Nantes obtint la concession de tous les atterrissements formés et à former par ses travaux dans la rivière de Loire. Elle fit donc construire des digues entre les îles Boucane et Chartreau et une autre entre cette dernière et celle d'lndret. En outre, face à celle-ci, elle fit construire une autre digue qui traversait le chenal sud du fleuve. Le cours du fleuve alors dévié et les atterrissements se formèrent. La commune de Nantes qui ne pouvait suffire à toutes ces dépenses céda une partie de ses droits à des particuliers notamment de Martel.

Les digues ne furent pas entretenues et la rivière reprit son cours dans cette partie. Ce ne fut que vers 1780(8) que le nouvel établissement d'lndret administré par le Gouvernement fit relever la digue et que, bien entretenue depuis, c'est elle qui est à l'origine de l'atterrissement de l'île Chartreau. Après avoir rappelé que les 3 écluses faites à cette digue procurèrent à volonté un passage des eaux et que la destruction des digues entre les îles Boucane, Chartreau et Indret s'ensuivirent, il spécifie sur ce document : «Si les cessionnaires de la commune de Nantes eussent entretenus les trois digues dont il s'agit, il est constant que Bertrand de Coeuvres avait droit à la propriété de l'accroissement à l'isle Chartreau mais les deux premières étant pour ainsi dire détruites il n'y a que celle d'lndret faite et entretenue aux frais du Gouvernement qui a procuré et qui conserve ces accroissements et les autres qui sont au-dessous, en conséquence le citoyen Bertrand de Coeuvres ayant pris connaissance des faits n'a pas insisté et n'avait plus d'ailleurs intérêt à discuter et à démontrer que c'était un atterrissement et non une alluvion ». Il poursuit en mentionnant que Mariotte « bien certain que ni lui ni Bertrand de Coeuvres ne pouvaient prétendre à cette propriété prit le sage parti d'en faire la soumission » et que ce fut donc par calcul « ne pouvant pas convenir que l'atterrissement avait été formé par l'effet de la digue faite à Indret par le Gouvernement » qu'il imagina de soutenir devant les tribunaux que c'était une simple alluvion, méthode qui lui réussit pleinement puisque le jugement du 7 fructidor An V lui donna raison.

Il se lance alors dans une longue démonstration des intentions de Mariotte et des solutions de repli qu'il se ménageait par ces moyens et conclut par plusieurs propositions dont on peut retenir essentiellement que si le contrat de vente du 6 thermidor An IV peut être maintenu, par contre le jugement du 7 fructidor An V doit être rapporté et qu'il n'y a pas lieu de donner une suite favorable à la dernière requête de Mariotte.

(5) Bien noter qu'il parle d'accroissement et non d'alluvions
(6) En fait, il s'agit de 1778.

Le 11 nivose ( 31 décembre 1797 ), son courrier est intégralement repris par son supérieur avec les mêmes conclusions.
Ce sera le 19 germinal An VI ( 6 avril 1798 ) que le Directeur de la Régie des Domaines rappellera que Mariotte est toujours débiteur de la somme de 793,27 F suite à son acquisition du 7 fructidor An V.

Oui, mais, rappelons-nous également que Mariotte avait été condamné le 5 vendémiaire An VI pour des roseaux qu'il avait indûment coupés et qui appartenaient à la veuve Portier de Lantissimo. Condamnation dont il ne s'était jamais acquitté et le 18 floréal An VI ( 7 mai 1798 ), Jean Joseph Pelletier, huissier au tribunal de commerce de Nantes se présente à son domicile pour exiger les sommes dues. Mariotte refuse alors de payer prétextant que l'affaire est portée devant le tribunal civil et qu'il attend le jugement. Il refuse également de signer quoi que ce soit. L'huissier dresse alors un inventaire des meubles présents dans le logement et déclare vouloir les faire enlever de suite pour les entreposer chez un dépositaire afin de procéder à leur vente. Mariotte alors cède et accepte de payer.

Cinq ans vont se passer sans qu'il n'y ait de rebondissement spectaculaire à cette affaire.
Et pourtant ...
Si Mariotte avait été reconnu propriétaire des alluvions déposées sur ses terres par ce jugement du 7 fructidor An V, il ne faut pas oublier que ces terres faisaient partie d'un héritage et il pouvait être prévisible que les cohéritiers réclameraient également des droits. C'est ce qui va se produire et voilà donc notre homme traîné en justice « par la famille Billet dont j'ai épousé une des demoiselles » écrit-il. Le 28 brumaire An XI ( 19 novembre 1802 ), il expose :
• qu'il a maintenant plus de 6 ans qu'il a acheté des terres pour un total de 9287 livres et qu'il lui reste encore 800 livres à verser en numéraire,
« Qu'il avait lieu d'espérer qu'il jouirait paisiblement de la propriété par lui acquise mais que les cohéritiers Billet prétendent que œs accroissements leur appartiennent par droit d'alluvion »,
• que ce n'est pas à lui d'examiner si les prétentions de ses cohéritiers sont justifiées « ni à faire contre eux aucune poursuite pour les débouter »
• et que c'est donc à la République seule de le maintenir dans ses droits.

Il réclame donc :
• que la république soit tenue de le maintenir dans ses droits sur les terres acquises « et de faire cesser toutes les prétentions des héritiers Billet »
• qu'à défaut, il soit ordonné que la République sera tenue de lui rembourser la somme de 1943,30 livres à valoir sur le prix de son adjudication,
• que dans ce dernier cas, il sera libéré des sommes qu'il peut rester devoir pour solde de tout compte,
• et enfin qu'il soit statué définitivement sur son sort et « qu'il soit sursis à toute poursuite et contraintes qui pourraient être ou avoir été données contre lui pour le paiement des sommes qu'il reste devoir ».

Le Directeur du Domaine écrira au Préfet de L.I. un courrier daté du 16 nivose An XI ( 06 janvier 1803 ) où il tente de convaincre celui-ci de prendre un parti pour clore cette affaire qui traîne depuis longtemps. Il argumente du fait que « le citoyen Mariotte en fournit les moyens par la nouvelle pétition qu'il présente ». En effet, dit-il, si ses prétentions passées exigeaient le « remboursement de tout ce qu'il avait payé » , désormais « il change de batteries ; son plan d'attaque n'est plus le même parce que ses intérêts l'exigent, il veut l'exécution de son contrat d'acquisition ou le remboursement de ce qu'il a payé ». Ses consorts copropriétaires indivis de l'ancienne île lui demandent le partage de l'ancienne île, de ses alluvions et le montant de leur quote-part dans l'ensemble des revenus alors que lui veut conserver la totalité de ces accroissements et reculer ad vitam aeternam le paiement de ce qu'il doit encore. Situation d'autant plus scandaleuse qu'outre les sommes déjà mentionnées, il doit en plus pour l'achat de biens dépendant du prieuré de Rouans 514,43 livres supplémentaires depuis l'an IV. Puisque le Receveur du Domaine a prouvé qu'il s'agissait d'atterrissement et non d'alluvions, qu'il a effectué une première sommation de payer en l'an IX, sans résultat à ce jour, « il y a lieu d'ordonner qu'il lui sera fait une seconde sommation, pour le paiement de ce qu'il doit, et que faute à lui d'y satisfaire, les objets compris dans ses acquisitions des 6 thermidor et 4 fructidor an 4 seront mis en vente à la folle enchère ».

(7) A cette époque, on parlait indifféremment de francs ou de livres quoique la loi ne prévoyait que le franc. Ces deux unités étaient très voisines. L'ancienne livre titrait 4,419 grammes d'argent, le franc, lui, titrait 4,5 grammes après avoir été proposé à 0,01 gramme d'or.

Ce sera le 3 germinal suivant ( 24 mars 1803 ) que Michel Symphorien Baudouin, huissier du tribunal de Paimbœuf enjoindra à Mariotte de payer sous dix jours le reste dû. En cas de non­paiement, il sera procédé à une vente des biens concernés.

Jusqu'au 5 Thermidor, soit le 24 juillet, rien de nouveau, ce jour-là, nouvelle escalade et notre huissier revient au domicile de Mariotte. Il lui signifie « que faute à lui de s'être libéré du prix des dites adjudications dans les délais fixés par le Gouvernement, c'est-à-dire avant le 1er frimaire dernier il est déchu de tous droits et prétentions aux immeubles cy-dessus en raison de la vente prédatée et qu'il sera procédé à une revente à la folle enchère des mêmes domaines ». Coup de massue final, il y est dit : « dès cet instant les sus-dits domaines faisant l'objet des adjudications en sa faveur des 4 et 6 Thermidor de l'an 4 sont rentrés dans la main de la nation pour être régis et administrés comme les autres domaines nationaux ».

Point d'émotion pour si peu, un an après rien n'avait évolué et le Directeur des Domaines s'en plaint une nouvelle fois auprès du Préfet.

Une nouvelle fois, Mariotte reprit sa plume le 24 frimaire An XIII ( 15 décembre 1804 ) pour faire remonter ses plaintes auprès du Préfet. Après un nouveau rappel des circonstances premières de l'affaire il s'insurge contre le fait que « la Régie poursuit contre l'exposant ( il s'agit de lui ) par arrêt conservatoire, depuis deux ans, le prix de l'adjudication de sorte qu'il ne peut rien demander à ses fermiers ;cette anxiété est douloureuse sans doute, mais il a dû la supporter, il est temps cependant de la faire finir » et s'étonne « qu'il se voit en même temps dépouillé par l'autorité judiciaire et poursuivi au nom de la République pour en payer la totalité du prix, ce qui implique une contradiction manifeste [ ...] Cette position désagréable, comme l'on voit, où se trouve l'exposant, ressemble à celle prévue par notre ci-devant loi coutumière où le vassal (qu'on pardonne à l'exposant cette comparaison dont il est obligé de se servir pour le besoin de la cause) était relancé en même temps par deux différents seigneurs » . Après s'être lancé dans une longue explication quant aux différences entre alluvions et atterrissements, il conclut par ces mots : « on ne peut pas acheter sa propre chose : la raison le dit et le digeste en a fait une loi » et rappelle son exigence de ne plus être victime de poursuite de la part des autorités.

La réponse à cette demande sera très longue mais surtout très nette sur les intentions de l'administration. Quelques remarques fusent sur la considération que porte l'auteur de ces lignes sur Mariotte du style : « on peut avec raison induire que ce n'est pas toujours le Gouvernement seul qui se dispense de remplir les engagements qu'il a contractés » ou bien encore « En vain, on a fait jusqu'à ce moment des démarches auprès du sieur Mariotte pour l'obliger à remplir entièrement les conditions de son contrat, il a toujours su éloigner l'instant de sa libération ».

Elles sont annonciatrices de ce qui va suivre. Il y est, en effet, effectué une nouvelle démonstration que ces accroissements de terrains ne peuvent être la propriété de Mariotte puisqu'ils sont dus aux travaux d'aménagement de la digue(8) entre Indret et la rive sud du fleuve lors de l'implantation de la fonderie de canons. Elle est beaucoup plus appuyée que les précédentes et apporte une attention toute particulière à la définition des atterrissements ou alluvions. Elle « persiste à réclamer l'exécution du contrat du 6 thermidor an 4, consenti au sieur Mariotte et invite le Conseil à prononcer sur sa nouvelle réclamation dans le plus bref délai possible ».

L'affaire est décidément bien embarrassante pour tout le monde et chacun se renvoie la balle. Le Ministre des Finances, lui-même, est informé de la tournure des événements mais c'est le Conseiller d'Etat qui répondra : « Il parait certain que la vente faite au sieur Mariotte a été consommée [...] dès lors sa tardive revendication d'une propriété aliénée comme Nationale étoit du ressort de l'administration venderesse et non des tribunaux » et qu'en conséquence il convient que « vous éleviez le conflit d'attribution entre l'autorité administrative et le pouvoir judiciaire ».

Mais ce n'est pas fini, le 26 messidor An XIII ( 15 juillet 1805 ), le Directeur des Domaines revient à la charge et rappelle que Mariotte doit toujours 1200 livres auxquelles s'ajoute 697,73 livres pour le loyer d'un appartement qu'il occupait rue de l'Emery. Et le fin du fin c'est qu'« il est vrai que pour cet article, le Conseil de Préfecture et M. le Secrétaire général ont plusieurs fois invité le Receveur à suspendre ses suites, en ce que le Gouvernement doit des appointements au sieur Mariotte en qualité d'employé au bureau de la Guerre ». Le Directeur rappelle qu'« il en résultera que Mariotte qui n'a aucun intérêt à faire décider la question, continuera à jouir et à entraver et à éloigner le jugement comme il l'a fait jusqu'à présent », il semble même d'après ses propos que cette dernière affaire est réglée et que plus rien n'est dû à Mariotte puisque « les appointements qui lui étaient dus étaient affectés à une créance [...] pour laquelle l'administration avait dès lors obtenu sentence ». Il estime donc qu'« il est probable que depuis ce temps tout est liquidé et que le sieur Mariotte a été payé ».

(8) Cette digue fit l'objet d'une inspection par Magin, Ingènieur de la Marine, le 2 septembre 1763. Un arpentage des diffèrentes avoisinantes effectués les jours avoisinants.

Et c'est le 16 thermidor An XIII ( 04 août 1805 ) que Napoléon signera, suite à un arrêté préfectoral, un décret annulant le jugement du 7 fructidor An V. Les terres gagnées sur le fleuve ne sont donc plus - du moins pour l'instant - des alluvions et les prétentions de Mariotte vont devoir être revues à la baisse.

. Un mois après, le Procureur Impérial à Nantes, écrit au Préfet et semble bien embarrassé par cette dernière disposition « Je n'ai aucune connaissance de cette affaire et je crois que c'est par erreur que ce décret m'a été adressé ». Il demande a recevoir plus d'informations « afin de me mettre dans le cas de voir si je dois retenir ce décret pour en assurer l'exécution ou bien le renvoyer à Son Excellence le Grand Juge qui me l'a adressé, ou enfin si je dois le transmettre à mon collègue près du tribunal de Paimboeuf ». Ce sera deux mois plus tard que le Conseil de Préfecture de Loire-Inférieure au vu du décret impérial et de la dernière demande de Mariotte arrêtera le 17 brumaire An XIV ( 8 novembre 1805 ) qu'il n'y a pas lieu de délibérer sur cette affaire puisque Mariotte ne prouve pas que les terres qu'il a soumissionnées et acquises étaient des alluvions « sauf néanmoins à la famille Billet à justifier que les accroissements formés dont est question sont des alluvions ». Etrange arrêté puisque :
• le jugement du 7 Fructidor spécifiait qu'il s'agissait d'alluvions, qu'il avait été annulé mais on reconnaissait toujours à la famille Billet dont Mariotte était le représentant le droit de faire reconnaître qu'il s'agissait quand même d'alluvions.
• La famille Billet n'avait aucun délai pour prouver qu'il s'agissait d'alluvions, les atermoiements pouvaient donc continuer de s'étendre dans le temps.
• Il donnait gain de cause à l'administration tout en lui interdisant toute poursuite jusqu'à ce que la famille Billet ait fait connaître ses intentions.

C'est ce que ne manquera pas de souligner le Directeur de l'enregistrement auprès du Préfet « C'est sans doute par inadvertance [...] que le Conseil a ainsi subordonné l'exercice des droits certains de l'Etat à une justification impossible [ ...] c'est par erreur encore qu'il a laissé aux héritiers Billet la faculté d'éloigner autant qu'ils le jugent à propos la décision définitive qui rejettera pour jamais leur prétention et mettre le Domaine à lieu de faire payer ce qui est dû par M. Mariotte ». Il convient donc de rapporter cet arrêté ou tout au moins de le « convertir en un ordre formel à la famille Billet de savoir valoir ses droits dans un court délai qui lui sera fixé à faute de quoi elle sera réputée n'en avoir aucun et déboutée irrévocablement de toutes demandes ».

Le Préfet, deux mois plus tard le 21 Janvier 1806 - il n'y a plus de calendrier révolutionnaire -, rencontra que son Conseil devait rédiger ainsi son arrêt car dans tous les cas « la famille Billet n'en aurait pas moins le droit de réclamer en justifiant de sa propriété car l'Etat comme les particuliers ne peut posséder et prescrire que par le laps de temps déterminé par la loi ». Le 6 Février, le Directeur reveint à la charge et tente une nouvelle fois de convaincre le Préfet pour que son administration sortir venir de l'impasse et tenter une action. Nouvelle tentative au mois d'Avril où il rappelle ses premiéres missives.

C'est au mois d'octobre que le Préfet sera avisé que « la dame Thérèse Billet, Veuve et héritiére naturelle du sieur Mariotte » a adressé une nouvelle pétition auprès du Ministre des Finances, elle proteste contre l'arrêté préfectoral du 17 brumaire puisque celui-ci ne décide rien sur la contestation précédente et « demande qu'il soit pris une décision définitive sur la validité du contrat de vente » consenti à son ex-époux. Autre subtilité juridique : l'arrêté du Gouvernement spécifiait de fin que les jugements du 7 fructidor An V avaient été rendus par le tribunal de Paimbœuf alors qu'en fait il avait été été prononcés par celui de Nantes. Elle souhaite obtenir rectification de cette erreur. Autre moyen de gagner du temps ?

Et nous arrivons ainsi au 2 mars 1807 où se présente un nouveau rebondissement de l'affaire. Cette fois-ci, il vient de Louise Billet, sœur de Thérèse, où dans une très longue supplique adressée au Préfet et au Conseil de Préfecture, expliquant que « n'ayant pu vivre ni s'entendre avec Mariotte, son beau-frère, celui-ci n'a rien négligé pour chercher à lui nuire », elle pose une question fondamentale : « Feu Mariotte a-t-il pu soumissionner, comme bien national, une alluvion formée depuis nombre d'années, à une portion d'île appartenant à sa femme et à ses belles-sœurs après un partage fait entre elles » ?

Si sa question reste particulièrement pertinente, les propos qu'elle emploie sont parfois excessifs, ainsi « Mariotte privé de fois à autre de l'usage de la raison » ou bien encore « Le Public, instruit d'une si belle action qu'on ne pouvait attribuer à la folie ou à la haine qu'il jurait hautement contre l'exposante, ne laissa pas de le tourner en ridicule ».

Son raisonnement, toutefois, pêche par un biais car si elle rappelle que l'île appartenait à ses parents de longue date et que les trois sœurs par leur héritage ont pu en jouir fort longtemps, ce qui leur donnait des droits de propriété, elle s'attache à rappeler :
• que Mariotte fut déjà condamné à lui payer des dommages et intérêts, ce qui est vrai ( voir second jugement du 7 fructidor An V notamment).
• que des alluvions déposées sur une île indivise profitent donc à tous les cohéritiers en faisant un profond amalgame entre atterrissements et alluvions. Sur sa très longue plainte, elle ne consacre que 6 lignes pour prétendre que « notre nouveau droit français a adopté l'ancienne jurisprudence sur cette matière », ce qui est encore.vrai - mais il ne faut pas mélanger les notions. Elle ajoute « c'est pourquoi on ne pense pas qu'il puisse y avoir lieu de considérer l'observation de M. le Directeur des Domaines à Nantes ».

La fin de son exposé qui est moins virulente vis-à-vis de son ex-beau-frère « on voudrait bien rendre quelque justice à sa mémoire » se retournera finalement contre elle car elle y avance des chiffres sur les superficies concernées montrant des augmentations de surface conséquentes : « sa soumission ne porte que 12 journaux 34 cordes, tandis que dans la vérité il y a bien 20 journaux ». En effet, elle attribue cet écart au fait que « ne peut-on en déduire qu'il entendait alors laisser la part de Louise Billet, sa belle- sœur et sa copartageante », plus tard l'administration l'interprètera d'une manière totalement opposée.
Deux semaines plus tard, sa sœur, veuve Mariotte déclarera qu'elle « ne répondra point aux invectives et aux calomnies dont sa sœur s'est efforcée de flétrir la mémoire de son mari » et qu'elle s'en remet totalement à la décision du Conseil de Préfecture.

Trois mois et demi après, le 25 mai 1807, le Directeur des Domaines répondra à cette supplique. Après avoir affirmé qu « il ne s'arrêtera point à reprendre cette affaire dès son origine, il ne pourrait que répéter ce qui a été dit [...] », il se contentera de rappeler à la demanderesse « la différence qui existe entre une alluvion simple et un atterrissement ». Il démontrera de nouveau qu'il s'agit bien d'un atterrissement et conclura qu'« il est fondé à conclure que la vente faite au sieur Mariotte le 6 thermidor An IV soit maintenue et sa veuve comme donataire tenue à payer [...] à peine d'encourir la déchéance de la vente à folle enchère »

. Le coup de grâce tombera quelques jours plus tard et viendra du Conseil de Préfecture. Il mentionne dans son arrêté que :
• l'île ne comprenait en 1665 qu'un demi-journal de surface
• en 1785, son étendue est portée à 3 journaux 57 cordes et 4 journaux de vase
• la soumission de Mariotte ( 1796 ) est de 12 journaux
• la supplique de Louise Billet parle de 20 journaux.
La progression spectaculaire de l'étendue de l'île ces dernières années montre bien qu'il ne s'agit pas d'un phénomène naturel et est donc bien la conséquence des travaux sur la digue d'lndret, travaux réalisés dans un premier temps par la ville de Nantes qui a ensuite perdu ses droits pour non entretien et dans un second temps par l'Etat pour l'implantation de la fonderie de canons.
Le conseil « déclare maintenir son arrêté du 17 brumaire an XIV et 6 mai 1806 et qu'il n'y a lieu de délibérer sur la pétition de Louise Billet ».

L'affaire est donc définitivement réglée, pourtant 8 mois plus tard, la veuve Mariotte, pleine de bonne volonté, écrira au Préfet que si la confirmation de la vente est bien réelle, le Conseiller d'Etat qui dispose de toutes les pièces nécessaires « depuis plusieurs mois » pour clore cette affaire n'a toujours pas donné signe de vie. Cet handicap est lourd pour elle car, dit-elle :
« je ne puis solder le prix de cette vente dont je suis obligé de garder en caisse le montant pour l'avoir toujours disponible et [...] les intérêts s'en accumulent journellement ».
« je ne puis forcer la dame Billet ( sa sœur ) qui jouit d'une partie du terrain compris dans la dite vente à cesser sa jouissance sans que cet arrêté ne soit approuvé ».
« je ne puis trouver à affermer, personne ne voulant contracter avec moi et moi-même n'osant le faire, tant qu'il n'aura pas été statué définitivement ».

En mars 1809, c'est le Ministère des Finances qui s'adressera au Préfet en lui signalant que la veuve Mariotte demande toujours que l'arrêté préfectoral soit confirmé et de renvoyer encore une fois la balle ailleurs : « Je n'aurais à m'occuper de cette affaire, Monsieur, que dans le cas où la dame Billet réclamerait ; jusque là l'arrêté doit recevoir son exécution »; C'est en octobre suivant que le Ministre, toujours lui, signalera au Préfet que la veuve Mariotte rélame désormais les pièces relatives à la contestation qui eut lieu entre son époux et les autres héritiers Billet.

Les archives demeurent muettes sur la suite qui fut donnée ultérieurement et nous ne pouvons que nous livrer à des supputations sur la conclusion qui fut donnée. Thérèse Billet semble avoir montré beaucoup moins d'acharnement que son époux à entretenir cette querelle juridique, n'a­t-elle pas déclaré en mars 1807 qu'elle se soumettrait à la décision du Conseil de Préfecture, ce même Conseil qui, à plusieurs reprises, a " invité " le Receveur des Domaines à « suspendre ses suites » vis-à-vis d'un ancien employé du Bureau de la Guerre qui, de surcroît, s'avère être un receveur des contributions ?

Les Domaines et la Préfecture sont-ils entrés en conflit, l'un voulant récupérer des sommes qui lui étaient dues au titre d'une vente déclarée ultérieurement litigieuse par l'acheteur, l'autre se trouvant dans une situation délicate car si la vente eut lieu, il aurait dû être présent lors du jugement qui déclara cette terre comme étant des alluvions pour y défendre ses droits ?

Il semble, en tout cas, fort curieux que ce laxisme ait pu durer aussi longtemps d'autant que les Domaines ont adopté une attitude qui, somme toute, n'était pas hostile à celle de la Préfecture.

L'affaire montre bien l'acharnement que pouvaient montrer certains de nos ancêtres pour la conquête de terres subitement émergées en plein milieu d'un fleuve, terres qui, à priori, pouvaient ne présenter qu'un intérêt limité puisque composées uniquement de sables et de vases mais qui, potentiellement, étaient riches de promesses de gains.

Dans cette affaire comme dans d'autres, la difficulté du législateur a été de définir sans ambiguïté la différence entre un atterrissement et une alluvion. Cela ne devait pas être chose facile car si l'on consulte le code civil de l'époque on s'aperçoit qu'après les articles de définition, pas moins de 24 alinéas supplémentaires ont dû être ajoutés pour tenter de prévoir tous les cas possibles.

Cela fut vraisemblablement la cause de tous ces procès qui eurent lieu à cette époque