Histoire de Saint Jean de Boiseau

Histoire d'une profanation



Je suis d'âge où, jeune enfant, lors des longues soirées d'hiver, il faisait bon de se serrer les omre les autres au coin de l'âtre : moments privilégiés, pour écouter les bonnes vieilles gistoires de farfadets et de croquemitaines ou, mieux encore, littéralement boire les paroles ciens narrant les faits qu'ils avaient eu le bonheur de vivre, que ces témoignages passés es instants heureux ou malheureux.

Né avant avant le début de la seconde guerre mondiale, mon père désigné pour défendre "l'imprenable ligne Maginot, donc premier prisonnier, c'est avec ma mère et mes grands parents e j'ai connu mes premières années de jeunesse.
A vrai dire, hormis les privations dues à la guerre, je ne garde pas de ces années un très mauvais souvenir. Les instants de joie et de bonheur étaient d'autant plus appréciés qu'ils étaient rares. J'ai gardé le souvenir intact de ce Noël 1944, où j'ai découvert dans mon sabot, près de l'âtre aux cendres encore chaudes, une orange. Aujourd'hui encore, les détails relatifs à la dégustation, quasi mythique, qui suivit, restent intacts en mon esprit.

Bien souvent certaines narrations revenaient d'une façon cyclique. Est-ce parce qu'elles avaient réussi à captiver leur auditoire, plus qu'à l'accoutumée, lors d'une précédente veillée ? Est-ce que, plus marqué par l'évènement, le conteur ou la conteuse d'un soir tenait à faire partager ses émotions ? Je ne saurais le dire, mais il est certain que c'est toujours avec le même imérêt que je savourais ces moments d'intense ferveur.

Voici l'un de ces évènements, conté par ma grand-mère, dont le contexte ne pouvait laisser différent un enfant de mon âge.

C'était dans les années 1920. C'était l'été. Faute d'occupation une certaine jeunesse de l'époque passait son temps de loisir, dans la fréquentation des caves et des buvettes. Les entrefilets relevés dans les journaux locaux et faisant état d'individus arrêtés sur la voie publique en état d'ivresse ou responsables de tapages nocturnes en apportent le témoignage.

Dont ce soir du mois d'août, trois "braves gars" de chez nous, à la tombée de la nuit, "se rentrent chez eux", après avoir vraisemblablement sacrifié plus qu'il n'est raison au dieu Bacchus.
(Les "héros" de cette histoire ayant encore une descendance dans notre commune et le fait de révéler leur véritable n'apportant, point de plus-value à ce témoignage, il ne m'est pas paru indispensable de révéler celle-ci. Pour la clarté de l'histoire nous leur donnerons 3 emprunts : Benjamin, René et Charles).

Pavant devant le calvaire de La Clotais, dénommé la "Croix de mission", ils s'arrêtent et, apparemment, sans motif valable, s'en prennent à l'édifice sacré. L'un d'eux décèle le Christ de sa croix. Ses compagnons lui apportent main forte et l'aident dans sa tâche sacrilège. Le lendemain, Le Christ est retrouvé, dans un fossé, au bord de la route départementale reliant St Jean à Nantes. La tête est fendue et un bras est brisé; l'abdomen est fracturé; d'ailleurs, l'un des morceaux ne serajamais retrouvé.

L'émotion est grande chez les paroissiens de St Jean.

Oh bien sûr, il y a eu quelques actes irrévérencieux ces derniers temps vis-à-vis des lieux saints ou des lieux de culte ! Les vieux conflits entre cléricaux et laïques sont latents ; on se bat encore entre enfants des écoles congréganistes et publiques (même si, le jeudi venu, on partage les mêmes jeux !). Mais cette fois les bornes ont été dépassées !

Cette croix a été érigée à l'occasion de la mission de 1862, l'un des temps forts de la foi chrétienne. A cette époque, les calvaires sont l'objet d'une attention particulière de la part des croyants. En passant devant lui, les femmes se signent et les hommes se découvrent.

Il faut qu'un tel acte soit sanctionné sans tarder et que les auteurs soient punis.

Effectivement, ils sont arrêtés peu de temps après ; ils sont jugés et condamnés à une juste peine pour leur acte sacrilège.

La justice des hommes a donné sa sentence. Reste la justice de Dieu !

Au moment des évènements l'émotion est grande. Ne dit-on pas que l'un des acteurs de la profanation aurait joué dans une pièce au patronage ! Les auteurs sont mis à l'index par une grande partie de la population qui les voue aux feux éternels. Pourtant avec le temps la tension tombe...

Quelques années plus tard, 3 évènements vont à nouveau redonner vie à cet acte stupide. Sans qu'il ne soit possible de les relater dans leur chronologie voici donc ces faits :

Lors d'une des traditionnelles assemblées de La Briandière, Benjamin tombe d'un manège, se fracture le crâne et meurt. Fatalité, me direz-vous ! Inévitablement certains esprits bien pensant font allusion au christ meurtri. D'ailleurs, il semble bien que c'est Benjamin qui avait frappé le crucifix à la tête...
Quelques temps plus tard, Auguste, ouvrier aux Forges de Basse-Indre, se fait arracher le bras droit par une machine outil. L'émotion est grande et d'aucuns parlent, déjà, de vengeance divine. Evidemment, c'est bien ce même bras droit qui avait été brisé, et l'auteur de cette forfai­ ture c'était ... Auguste...
René, à son tour, est marqué par le destin, victime d'une péritonite. Tout autre commentaire serait superflu...

Dieu est vengé ! Cela prouve s'il en était encore besoin, le respect que l'on doit à son Nom et à ses Œuvres.

Imaginez l'impact que peut avoir la narration de tels évènements dans la tête d'un enfant de six ans...

Le temps a passé, et ce triste épisode a été rangé tout au fond d'un des tiroirs de ma mémoire.

Je depuis quelques années, adhérent à la société d'histoire de St Jean de Boiseau. L'un de nos objectils du moment est la réalisation et la publication d'une plaquette relatant la vie de nos ancêtres dans les années 1900.

Aborder cette époque, entrer dans le contexte du moment, découvrir ou redécouvrir les antagonismes de ce début de siècle ont fait soudain ressortir de ma mémoire cet épisode que je viens de vous conter. J'ai, alors, entrepris de retrouver trace de ces évènements.

Bien sûr ma grand-mère n'est plus là. Les anciens de notre commune, cette mémoire vivante qui nous est si chère, étaient trop jeunes, bien que vivant à cette époque, pour avoir pris conscience de l'impact qu'avait pu avoir cet épisode de la vie communale.

Pourtant, au rappel des faits, avec quelques nuances, ils se rappellent en avoir entendu parler. Ainsi, pour certains, il y avait bien Benjamin - celui-là, c'est certain -, Charles, René, mais il semble bien également que Raymond les accompagnait. Oui, Charles a bien eu le bras arraché par une machine-outil à Basse-Indre. C'est vrai, Benjamin est bien tombé d'un manège à la Briandière, mais, il faut bien le dire, son penchant pour la dive bouteille était connu et il avait acquis une réputation de "drôle de coco" ; il défraya, d'ailleurs, la chronique des faits divers en d'autres occasions, bien après les faits dont il est question ici. Quant à la période où cet épisode s'est déroulé, elle se situerait après la première guerre mondiale, mais avant 1930.
Ayant trouvé un écho à mon histoire, et désirant en apporter les preuves je me suis tourné vers la presse locale de cette époque. L'événement, à vrai dire, n'avait sans doute pas franchi le domaine local.
Enfin j'ai trouvé. Seul l'Echo de Paimboeuf en faisait état. Voici donc la relation qu'il en fit :

Echo de Paimboeuf du 13 août 1922

Jeudi matin, 10 août, les passants eurent la surprise de voir que le Christ du calvaire de pierre situé en bordure de la route de La Montagne à St Jean de Boiseau avait disparu. Plainte fut porté à la gendarmerie du Pellerin, qui après plusieurs jours de recherches, put enfin retrouver les deux auteurs de cet acte stupide. Ce sont, Benjamin A ..., âgé de 23 ans, de St Jean de Boiseau et Raymond S..., âgé de 22 ans, demeurant à La Montagne.
Ils ont avoué être monté, vers 23 heures, sur le haut de la croix et avoir décelé le christ dans le seul but de le démolir.
Le bras du christ a été retrouvé sur le bord d'une route loin du calvaire. C'est le troisième acte de vandalisme qui est causé à St Jean depuis peu.

L'Echo de Paimboeuf du 27 août 1922

Tribunal correctionnel de Paimboeuf
Audience du 22 août

Nous vous avions signalé dans notre édition du 13 août dernier l'acte de sacrilège commis sur le calvaire situé en bordure de la route menant de La Montagne à St Jean et dont étaient accusés Benjamin A ... et Raymond S....
Une plainte ayant été déposée, l'affaire vient au tribunal.
Benjamin A ... reconnaît les faits qui lui sont reprochés. Le soir du 2 août il se trouvait couché en compagnie de son camarade S ... au pied du calvaire. Tous deux étaient complètement ivres. Vers 23 heures, sous l'influence de la boisson, et sans savoir ce qu'ils faisaient, il monta sur le socle de la croix et décela le christ qui se brisa en tombant.

Déjà, en cours de l'enquête, il avait exprimé ses regrets et le désir de réparer le mal commis. Aujourd'hui encore, il se déclare prêt à réparer, ainsi que son camarade S....
Le tribunal, après plaidoirie de Me Couétoux, pour S ..., condamne Benjamin A ... à 6jours de prison avec sursis et 50F d'amende, et, Raymond S... à 50F d'amende, tous deux au dépens.


A la lecture de ces 2 articles, quels furent mes sentiments ?

Au risque de choquer, dois-je l'avouer, tout d'abord : une déception !

Non pas une déception, parce que ma grand-mère m'avait transmis une vérité inexacte, entretenue en cela par les témoignages récents collectés ici et là et qui corroboraient ses dires.
Une déception, parce que mon esprit d'enfant s'était accroché à ce côté irrationnel, voire fataliste des choses.

Un second sentiment le suppléa : la fragilité des témoignages humains et au travers d'un fuit comme ce dernier, l'emprise du sentiment sur la froideur du vécu ; cet aspect sentimental supplantant petit à petit et définitivement le côté événementiel.
Deux hommes mentionnés dans tous les témoignages, sont mis, officiellement, hors de cause. Pourquoi, alors qu'il y a eu arrestation, jugement, condamnation que la presse locale s'en est faite le rapporteur, pourquoi la rumeur publique n'en a-t-elle pas tenu compte ? Voilà un phénomène que je ne m'explique pas, que j'ai cherché, en vain, à élucider et qui me laisse, finalement, insatisfait dans sa conclusion.

Au demeurant, et pour conclure, un souhait et peut-être une satisfaction; une satisfaction de savoir que ces quelques lignes puissent être de nature à réhabiliter dans la mémoire d'aujourd'hui, ce René et ce Charles livrés à l'opprobre, dans certains esprits, et depuis si longtemps.
Avant de mettre un point final à cette histoire vieille de 80 ans, il m'est apparu intéressant de savoir ce qu'étaient devenus les éléments souillés de ce christ écartelé, démantelé, victime de la bêtise des hommes.

A l'exception de l'élément abdominal manquant, les différents morceaux ont été pieusement recueillis et conservés au presbytère et ce pendant pres­ que 40 années. Dans les années 1950, pour des raisons de commodité, les paroissiens de Boiseau et des hameaux environnants expriment le désir de voir s'implanter un lieu de culte à Boiseau. Cette demande est exaucée par le curé de l'époque, l'abbé André Rucher, et ce, contre l'avis de l'Evêché, mais, il faut le dire, avec l'assentiment du Vicaire Général, le chanoine Guiho. La chapelle est érigée au bout de la rue des Charreaux, tout près de la place du Dînechien (aujourd'hui place du Maréchal Leclerc).
Il faut un crucifix pour cette chapelle. Pourquoi ne pas restauré ce Christ conservé depuis si presbytère !
La soudure des différents éléments, s'avère délicate; il faut toute la dextérité et le savoir faire de quelques paroissiens soudeurs de profession, pour surmonter les problèmes techniques et rencontrés. L'un d'eux, André Bodineau, rentré comme apprenti en 1928 à l'Etablissement d'lndret, se rappelle encore les problèmes de contrainte et de rétreint qu'ils ont rencontrés et la patience dont il fallu faire preuve pour aboutir dans leur tâche.

L'inaugution et la bénédiction de la chapelle a lieu, en 1949, le dimanche des Rameaux. Le crucifix arrice, porté à dos d'hommes par des paroissiens de Boiseau et suivi par une foule ombre nombreuse qui s égrène en une longue procession, depuis la Croix de Mission (lieu de la promfanation jusqu'à la chapelle. C'est le Vicaire Général qui officie pour la cérémonie de la bénédiction de l'édifice. Le dimanche suivant, jour de Pâques, le curé Rucher y célèbre sa première messe.
Ainsi ce crucifix accueillera, chaque dimanche matin, les fidèles de Boiseau et des villages alentours et ce, jusqu'en 1976, sous le curé Silloray, date à laquelle il n'y a plus d'office dans cette chapelle.
Pour la petite histoire, ajoutons qu'en 1983, l'abbé Rosset, alors curé de la paroisse, prend la décision de désacraliser ce lieu saint et de transférer l'autel dans le chœur de l'église de St Jean.
Aujourd'hui, lors des offices religieux ou à l'occasion des journées du Patrimoine, les fidèles ou les visiteurs d'un jour peuvent s'approcher de ce crucifix fixé sur le pilier gauche qui servait initialement de support à la chaire, démontée suite au concile de Vatican II(1962/1965).

C'est en 1994, à l'occasion de la messe des Rameaux (encore!) que le curé, l'abbé Rosset, pris la décision de remettre à l'honneur ce Christ mutilé.

Les stigmates de la profanation, y sont encore bien visibles, et le trou, que l'on aperçoit sur son flan latéral gauche, marque l'emplacement de cet élément disparu un beau soir d'août 1922 des suites d'un acte qui dans sa finalité fait beaucoup plus référence à la sottise qu'à une quelconque agression caractérisée contre un objet cultuel.