Histoire de Saint Jean de Boiseau

Les travailleurs chinois

pendant la 1ère mondiale





Les travailleurs chinois pendant la 1ere guerre mondiale

Ce récit fait suite à la publication que nous avons faite en 2008 dans le numéro 25. Grâce au contact que nous avons eu avec Yves Tsao et le fruit de ses recherches aux archives nationales, nous sommes en mesure d'apporter de nouveaux éléments à ce dossier.

En partant au front pendant la 1ère guerre mondiale, les hommes ont laissé sans main d'œuvre les campagnes et les industries. Les femmes les ont beaucoup remplacés mais cela était insuffisant, notamment dans les travaux les plus pénibles comme le déchargement des navires dans les ports.

La Situation en France

Les ministères concernés, notamment celui de la guerre, font appel au gouvernement chinois pour faire venir des volontaires en France. Le Général FOCH, Chef de l'Etat Major de l'armée, adresse le 11 août 1917 au Président du Conseil une demande pour un nouveau contingent faisant suite à celui de 15 000 hommes arrivés à Marseille en 1916.

Pour le recrutement, des bureaux sont installés dans les ports des concessions anglaises et françaises en Chine. Le gouvernement chinois, conscient de l'aide qu'il fallait apporter à ses alliés, prit le recrutement en main et institua un ministère : le Bureau des Affaires des Travailleurs Emigrés. L'exigence de la France était que les recrutés soient âgés de 20 à 40 ans et originaires du Nord pour ne pas souffrir du froid ou des fortes chaleurs. Ils acceptaient de venir travailler pour une période de 3 ans, 10 heures par jour, 7 jours sur 7, payés 1 F la journée .

C'est ainsi que 140 000 Chinois et Siamois (10) quittent leur village pour la première fois et embarquent pour une traversée de 3 mois. Traversée périlleuse, épuisante et démoralisante dont un certain nombre ne verront pas le bout.

(10) Aujourd'hui la Thaïlande.

Leurs conditions de vie en France sont des plus précaires. Ils sont mis dans des camps, mal logés, mal nourris, à la merci des chefs. La barrière de la langue s'ajoute à leur adaptation. Beaucoup sont malheureux, déprimés et sévèrement punis pour la moindre faute.

Selon le contrat qu'ils ont signés, ils ne doivent pas participer aux combats ni même être sur le front. Malgré cela certains y sont quand même envoyés. Beaucoup de ces hommes sont affectés dans le nord de la France, Dunquerque, Calais, Boulogne, Dieppe etc ...

Il n'est pas possible de savoir exactement le nombre de ceux qui sont morts en France. A Noyelles un hôpital pouvait recevoir 2 000 hommes blessés. On comptabilise 17 cimetières chinois en France, notamment à Saint Omer, Pont de Brique, Boulogne sur mer et Noyelles où l'on trouve 1000 tombes pour ces deux localités. On estime que 2 000 et 3 000 travailleurs chinois sont restés en France après la guerre.

La situation dans notre région

Il n'est pas fait mention de leur présence dans notre région. Pourtant plus de 400 de ces travailleurs sont venus y travailler.

Par lettre en date du 13 août 1917, l'Ingénieur en chef DREFUS, du service de la Navigation et des Ports dépendant du Ministère des Travaux Publics, du Transport et du Ravitaillement, demande que soient répartis, de la manière suivante, les 1000 travailleurs chinois arrivés à Marseille :
- 200 à 250 Chinois venant du Nord à Rouen pour le service des Ponts et Chaussées.
- 70 à 80 à Varades
- 70 à Nantes
- 70 à La Martinière
- 40 à 70 à Paimboeuf
- 500 Chinois venant du Sud à Bordeaux à la disposition de la Société Commerciale d'affrètement.

Ce sont finalement 3 200 travailleurs qui sont mis à la disposition du Sous Secrétaire d'Etat des Transports comme manœuvres dockers dont les 1000 premiers sont répartis ainsi :
- 500 venant du sud à Bordeaux
- 150 venant du nord à la Martinière
- 100 venant du nord à Paimboeuf
- 250 venant du nord à Rouen

Le cahier des charges précise qu'ils seront gérés et répartis dans les différents services dans les différents services services du port l'Office National de la Navigation selon les analogues à celles des employés de guerre.

employer

Toutefois pour éviter une « surexploitation » de cette main d'œuvre par les employeurs, deux précautions sont prises :
- la surveillance du Service de !'Organisation des Travailleurs Coloniaux
- l'obligation faite aux employeurs de les utiliser qu'à des travaux de défense nationale.

Pour cela : « le service central d'exploitation des ports maritimes prendrait en charge les travailleurs aux conditions du cahier des charges. Il les rétrocéderait aux entrepreneurs aux mêmes conditions ; mais en lui faisant prendre en plus l'engagement de laisser au chef d'exploitation le droit de disposer à son gré, pour être prêtés momentanément à d'autres usagers du port, les travailleurs que l'entrepreneur n'emploierait pas à des travaux intéressant directement l'exploitation du port. Ce prêt serait d'ailleurs consenti sans bénéfi ce pour l'entrepreneur. Cette clause n'aurait évidement pas à jouer dans le cas où l'entrepreneur serait un service public comme le Transit maritime militaire par exemple. ». Pour les 1000 travailleurs attribués, c'est le régime de gestion directe qui est appliqué à La Martinière, Paimboeuf et Rouen alors qu'à Bordeaux ils sont rétrocédés à la Société Commerciale d'Affrètement et de Commission.

Pour les loger, des camps sont construits
- A la Martinière, de manière provisoire, dans les locaux désaffectés des ouvriers venus travailler à la construction du canal, en attendant ceux de Chantenay et l'île Sainte-Anne
- Pour celui de Chantenay un crédit de 23 000 F a été alloué pour une première tranche et un de 37 000 F pour la seconde.

Le 10 décembre, les camps de la Martinière sont vides et dans ceux de Chantenay il reste encore 50 places pour l'arrivée d'un nouveau contingent.







































































A Indret

Il n'est pas fait mention d'Indret ni de l'industrie de l'armement. Pourtant dans les archives de l'arsenal on trouve la trace de ces travailleurs chinois. C'est pour une courte période, toutefois suffisante pour avoir gardé la mémoire de certains noms et notamment des punitions qui leur ont été infligées.

Liste de 99 noms relevés dans le registre de 1918 du personnel chinois arrivé entre 15 janvier 1918 et le 30 juin 1918.
- TCHANG KOEI Lin : congédié le 11 mai, dirigé sur Marseille suivant DM 17609 5/8 du 4 mai 1918
- OU KONG KI : réduction de 0.50 F pendant 4 jours à compter du 14
- TCHOU CHAN SIAN : 48 h de local d'isolement avec suspension de salaire OD du 13/02/18 (à rappeler 2e retenue opérée par mesure disciplinaire 2e quinzaine de janvier)
- QUE KANNG SIU : réduction de solde de 0.50 F pendant 4 jours à compter du 26 (ordre du directeur du 26/01/18)
- SU TCHING KIU : 6 jours de retenue de solde à 0.50 F
- WANG WAN TSI : réduction de solde de 4 jours à 0.50 F (ordre du drecteur)
- TANG KING PIA O : réduction de solde de 4 jours à 0.50 F
- TCHA O TSING LU : réduction de solde de 4 jours à 0.50 F
- SOU KING HOUE : punition de 8 jours au local d'isolement avec suspension de salaire
- OUANG YU TANG : punition de 4 jours avec réduction de solde de 0.50 F
- HAN PEN : 8 jours de local d'isolement avec perte de salaire
- TCHEOU YUE TSING : réduction de 0.50 F pendant 4 jours
- SU TE TCHENG : décédé à l'hôpital de Nantes le 09/02
- OU TCHEN TSING : 4 jours de local d'isolement
- LY TISNG HO : punition de 4 jours de local d'isolement
- YEOU FOU TCHANG : punition 4 jours de local d'isolement
- TCHANG KI HOU : 4 jours de local d'isolement
- MA LI TANG : décédé à l'hôpital de Nantes le 30/05
- WANG HAI SOU : 5 jours de local d'isolement avec perte de salaire
- TCHANG KIOU LAN : rapatrié le 10 juin et dirigé sur le dépôt de Marseille
- TCHUI WING LIU : punition de 4 jours de local d'isolement et demande de renvoi
- KOUN TCHANG GUEN : punition 1jours de local d'isolement
- TIN KOU SAN : punition de 15 jours de local d'isolement et demande de renvoi
- TCHANG Y. TANG : 1jours de local d'isolement

Leur dévouement sera oublié et la France reconnaîtra tardivement leur rôle. Une plaque est apposée en 1988 dans le XIIIe arrondissement de Paris, place Baudricourt à la mémoire des Chinois de la grande guerre.