Interview deMonsieur de Louis Beilvert.. |
Louis Hippolyte Alexandre Joseph Beilvert est né le 14 mars 1913 à Saint-Hilaire de Chaléons, au lieu-dit Le
Pinier, berceau de sa famille. Ses parents sont cultivateurs. Il a deux frères et une sœur. Il va à l'école jusqu'à
14 ans, jusqu'au certificat d'études, puis commence sa vie active.
Lorsque la mobilisation générale est déclarée, le 3 septembre 1939, Louis est marié et père d'une petite fille de
dix-huit mois. Il ne la reverra que six ans plus tard...
Il rejoint la caserne Cambronne à Nantes où il intègre le régiment 6/5. Il met un mois avant de recevoir une tenue
militaire. De temps en temps, Louis quitte la caserne pour rejoindre sa famille, « en douce ». Il prend le car qui
passe par le Pellerin, puis il emprunte le vélo de Pierre Batard, le boucher, pour rejoindre sa femme qui vit chez
une de ses sœurs à Saint Hilaire, depuis le début de la guerre.
Comme beaucoup de nos soldats français, Louis est fait prisonnier. Il nous rappelle qu'il n'y a eu que « neuf mois de
guerre ». Le manque de moyens et la désorganisation du côté français révoltent encore Louis, soixante ans plus tard.
Il raconte :
On a tout d'abord passé trois mois à Hazebrouck à faire des tranchées anti-char pour empêcher les chars allemands
de passer. Tous les jours, il y avait un avion allemand qui passait le matin et le soir, pour surveiller l'avancée de
travaux... on n'avait rien pour combattre, pas de DCA. Un jour, un chasseur anglais est apparu et l'a abattu.
Puisqu'un avion avait été abattu sur le sol français, on nous a installé un fusil-mitrailleur sur un piquet en bois...
attaché avec de la ficelle ! Ils ont mis un gars au pied, relevé toutes les deux heures... mais il n'y avait pas de
chargeur pour mettre dans le fusil-mitrailleur ! C'est scandaleux ! Moi et toute ma compagnie, on avait des fusils
datant de 14/18 mais on n'avait pas de balles... C'est une honte ! Je n'ai pas vu un avion français ni un char
français pendant la guerre. Pas un... Après, on est parti du côté de Commercy, à 7 km, en pleine campagne. On a été
attaqué par des avions et on n'avait rien pour se défendre. On n'avait pas de chef
Louis, avec le recul, se demande s'ils n'étaient pas drogués pour ne pas avoir réagi, à cette époque, et ne pas
s'être posés de questions : on filait comme ça, on ne se rendait pas compte !
Dans la compagnie où il est, il y a deux Allemands : ils sont pourtant dans l'armée française, mais semblent en
accord avec les alliés et disent du mal d'Hitler ... en fait, ce sont deux espions. Un est le secrétaire du
commandant. Une maison bourgeoise a été réquisitionnée pour y installer le commandement. Là aussi, un avion allemand
passe tous les jours pour surveiller. Un jour, l'avion lâche une bombe sur la maison : le commandant est tué mais
pas l'Allemand qui était absent ... ils ne l'ont plus jamais revu !
Lorsque Louis est fait prisonnier, il marche depuis huit jours, n'a rien mangé depuis sept, si ce n'est ce que ces
prisonniers parvenaient à se procurer le long du chemin. C'est la débâcle. Il y a autant de civils que de militaires
sur les chemins. Lorsqu'un avion passe, tout le monde se jette dans les bas-côtés mais tous ne se relèvent pas après.
Dans la matinée du huitième jour, ils arrivent sur une place où il y a trois gendarmes français en uniforme. Ils leur
demandent par où passer pour éviter les Allemands. Ils prennent la direction indiquée mais au bout de 500 mètres,
ils sont arrêtés par l'ennemi et faits prisonniers à Maison Chahourche, le 17 juin 1940 (en Côte d'Or). Pour Louis,
on a été trahi par la 5ème colonne !
Une nouvelle longue marche commence : ils font plus de quatre-vingt kilomètres par jour, une seule
pause de 20 mn, en plein soleil. Les Allemands, eux, sont à cheval. De temps en temps, les gens sur le bord de
la route leur donnent de l'eau, ou mettent des baquets d'eau avec parfois un peu de vin dedans. Mais lorsque les
Allemands s'en rendent compte, ils renversent tout.
Ceux qui n'avancent pas, restent sur le bord du chemin... on leur disait qu'une voiture balai les ramasserait ... en
réalité, les SS à cheval, les abattaient à coup de révolver.
Les prisonniers sont de plus en plus faibles car trop peu nourris. C'est une des méthodes employées par
les Allemands pour les empêcher de se rebeller. Louis remarque que les plus jeunes, ceux de moins de vingt ans,
résistaient moins bien que les plus âgés d'une trentaine d'années.
Malgré les conditions, et le fait qu'ils ne savent pas où ils vont, ils marchent, comme des bêtes.
Ils arrivent à Troyes au bout d'environ 7 jours. Louis a tellement faim qu'il mange des racines d'orties, après
avoir tenté, sans succès, de manger des échalotes crues... Pendant tout ce chemin, Louis est accompagné de trois amis
: Faussigue, Coster et Blin. Louis se souvient que les poux commencent à s'emparer d'eux...
A Troyes, Louis tombe malade : une congestion pulmonaire. Il est soigné dans un hôpital régional en
construction, il n'y a que les murs et le toit.
De Troyes, ils partent en Allemagne en train : 3 jours enfermés dans des wagons à bestiaux, avec un baquet au milieu
pour faire ce qu'on avait à faire. Ils sont environ une quarantaine par wagon.
A l'arrivée, ils doivent vider leurs poches : interdiction de garder sur soi un couteau, une fourchette. Ils sont
dispersés sur toute l'Allemagne. Louis se retrouve à l'est.
Or leur donne une tenue de prisonnier kaki, la même, été comme hiver. Celui qui touchait une veste, ne touchait
pas de polo, celui qui touchait un polo, ne touchait pas de veste. Pour l'hiver, il y a en plus, une capote.
Pendant presque toute sa captivité Louis travaille à la chaîne dans une usine : Sachs. A coté, il y a l'usine SKF qui
fabrique des roulements à billes. L'usine a été bombardée mais à la fin de la guerre. Cette zone industrielle se
trouvait à Schweinfurt près de Ratisbonne.
L'usine ne fonctionne qu'avec des prisonniers, principalement des Français, quelques Belges, quelques Russes. Chaque
prisonnier est accompagné d'un civil. Les femmes sont les plus terribles : elles sont méchantes avec les prisonniers.
Ces prisonniers ne sont pas logés sur place : ils doivent faire 14 km, à pied chaque jour, 7 km le matin et 7 le soir
après 12 heures de travail, pour rejoindre le camp de prisonniers qui est situé à Gochsheim. Ils sont regroupés par
commandos de 80 à 100 hommes. ls sont surveillés par des soldats allemands armés, tout le long du chemin.
Ils logent dans des salles de spectacle, dans des lits superposés sur trois hauteurs. L'hiver, la chaleur humaine
leur tient lieu de chauffage et ils dorment habillés. Par contre, l'été, il fait tellement chaud qu'ils dorment nus.
Le camp comporte une courette où les prisonniers peuvent s'aérer.
Au début, ils sont bien nourris. Ils mangent à la cantine : des patates bouillies à volonté. Mais cela ne dure que 2
mois. Ensuite, la faim est omniprésente : le matin, un bouillon, le midi, 3 patates et le soir, un petit morceau de
pain...
Les familles envoient des colis qui leur arrivent intacts. Par contre, ils ne peuvent pas les garder avec eux. Les
colis sont stockés dans un endroit particulier et lorsque son destinataire veut quelque chose, il demande au gardien.
Celui qui n'a pas de famille, ne reçoit rien et c'est donc encore plus dur pour lui... Le courrier passe assez
facilement à condition de ne pas mettre trop de sottises dessus. Ils ont le droit à une lettre et un colis
par mois.
Le chef du commando, un Allemand, est un alcoolique. La nuit, il réveille tout le monde pour faire des contre-appels.
Près de leur camp, se trouve un autre camp de prisonniers : des femmes elles-aussi prisonnières. Toutes relations
sexuelles entre hommes et femmes prisonniers sont formellement interdites, sous peine de mort.
Les conditions de vie sont tellement effroyables que certains perdent la tête. Un matin, un gars qui travaillait face
à Louis, s'assoit entre les deux chaines et déclare « aujourd'hui, c'est moi qui commande ! ». Il n'a pas été
maltraité : il a passé une visite devant un médecin et il est parti le jour même chez lui.
Lors des bombardements, les Allemands et les prisonniers se retrouvent à égalité. Il y a la campagne tout près alors
ils vont se cacher dans les mulons de foins ou dans les bois pour éviter les éclats de bombes.
Louis est hospitalisé pour une hernie à l'hôpital de Gochsheim. Il y fait la connaissance d'un gars de Rennes :
Yves Guillemette.
Un médecin russe ivre d'alcool à 90° l'opère de sa hernie... mais sans anesthésie. L'opération dure 3/4 d'heure.
On est en décembre, la cour de l'hôpital qu'il faut traverser, fait 100 mètres. Louis s'enrhume. Il
reste donc hospitalisé plus longtemps que prévu et s'entend bien avec un infirmier, un footballeur de Paris. Il ne veut
pas retourner au camp de prisonniers ni retravailler à l'usine, alors l'infirmier le cache plus ou moins. Il finit par
expliquer au médecin ses conditions de vie au camp et donc pourquoi il ne veut pas y retourner. Il devient infirmier
au stalag XI C, pendant les 7 ou 8 derniers mois de sa captivité, avant la fin de la guerre.
Il est ainsi beaucoup mieux nourri et mieux traité. Il loge avec d'autres prisonniers dans des anciens
baraquements en bois des jeunesses hitlériennes
A cette époque, il faut tout faire, y compris transporter les malades, en charrette, puisqu'il n'y a pas d'ambulance.
Louis devient donc « ambulancier ». Il fait parfois trente kilomètres par jour, pour aller chercher un malade. Pour
le transport, il dispose d'un mulet et une vache. La nuit, il couche dans les fermes.
Son frère aussi est fait prisonnier, mais il connaît une toute autre expérience. Il travaille pour
un marchand de charbon. Il a deux chevaux et livre le charbon à Munich. Si Louis souffre beaucoup de la faim pendant
les années passées en tant que prisonnier, cela n'est pas le cas de son frère : « moi je crevais de faim et lui il
avait trop, il avait de bons patrons ». De plus lorsqu'il livre le charbon chez les particuliers, des femmes
principalement car les hommes sont à la guerre, il descend les sacs à la cave et a un paquet de cigarettes ou un
casse-croute en remerciement. Les casse-croute il les donne aux copains, car lui a tout ce qu'il faut.
Ce sont les Américains qui délivrent Louis et ses camarades, malgré le panneau installé à l'entrée du camp par
le commandant allemand qui avait marqué « Attention Typhus », pour qu'ils ne soient pas délivrés par les Russes.
En avril 1945, les prisonniers sont rapatriés depuis l'Allemagne en planeurs, tirés par des avions.
Un des planeurs chargés de prisonniers s'écrase : i1 n'y aucun survivant...
Ils arivent à Donval, un aérodrome dans la région parisienne, puis ils prennent le train jusqu'au Paris. Les
prisonniers sont pris en charge : on note, leur adresse...C'était un grand bazar
Louis prend de nouveau le train jusqu'à Nantes. Enfin, pour rejoindre les différents villages autour de Nantes,
ce sont des volontaires, avec leur voiture, qui ramènent les prisonniers chez eux.
Louis est très étonné d'entendre parler Français ! Malgré les années passées en Allemagne, Louis n'a pas appris
l'Allemand car il avait horreur de cette langue. Il comprenait à peu près, cependant, ce qu'il entendait.
Louis arrive chez lui le 8 mai 1945. Il y avait encore la poche de St Nazaire. (La signature de reddition a eu lieu
le matin du 8 Mai). Il est resté prostré près de deux mois : il ne voulait pas sortir de chez lui.
Ces cinq années de captivité l'ont marqué à jamais : pendant longtemps, il ne veut rien raconter de ce qu'il a vécu.
Il retrouve son travail chez JJ Carnot à Basse-Indre, mais il n'y a pas de matières premières, donc les
ouvriers ne font rien. Il apprend qu'à Indret, ils embauchent en priorité les anciens prisonniers, les anciens
combattants. Il s'inscrit donc et y entre un mois plus tard, en tant que lamineur puis soudeur.
Plusieurs avantages poussent Louis à entrer à Indret : d'une part, il n'a plus besoin de traverser
la Loire et n'est donc plus tributaire des horaires du bac. D'autre part, à Indret, les années de guerre et de
captivité sont prises en compte et comptent doubles.
Bien des années plus tard, Louis est retourné en Allemagne, sur les traces de sa captivité, avec ses enfants et
petits-enfants. Il a notamment reconnu la cheminée de l'usine Sachs et la fontaine de Gochsheim où ils buvaient quand
ils partaient le matin.
Louis, qui a souffert du traumatisme de sa captivité toute sa vie, avait acquis un certain recul sur la folie des
hommes. A la fin de vie, il disait : « la guerre 14-18 c'était une boucherie, la guerre 39-45, c'était une trahison.
La guerre, ça ne sert qu'à faire des musées ».
Je remercie la famille de Louis Beilvert pour les documents qu'ils m'ont fournis et plus particulièrement son gendre
Jacky Cottais, pour l'aide qu'il m'a apportée.