Histoire de Saint Jean de Boiseau

Les guerres de la Grande Guerre

à Saint Jean de Boiseau

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Les difficultés de la vie quotidienne

La vie quotidienne des femmes n'est donc pas facile. Elle est d'autant plus difficile que de nouveiles difficultés voient le jour. Tout d'abord, survient une inquiétante flambée des prix. En moins d'un an, les prix, notatamment dans l'alimentation, augmentent de 20 %. Au fur et à mesure que le temps passe, les prix continuent de grimper. C'est d'autant plus déroutant pour les familles que ce fléau n'était que peu connu avant la guerre.

Le conseil municipal de Saint-Jean-de-Boiseau s'inquiète de cette flambée des prix. Dans son budget de 1915, une somme de 200 F est prévue pourvue pour venir en aide aux famille victimes de la guerre. Mais lors de la séance du 12 décembre 1915, il faut revoir cette somme à la hausse. Voici ce que dit le compte-rendu « la guerre se prolongeant et la vie devenant de plus en plus chère, cette somme sera insuffisante pour soulager pendant cet hiver la misère des personnes éprouvées par la guerre ». Le Conseil Municipal demaude donc au préfet de prélever 400 F sur les fonds disponibles de la conmmne. Cette aide est surtout donnée sous la forme de pain et de vêtements distribués.

Ces aides se poursuivent tout au long de la guerre, mais la municipalité a du mai à suivre financièrement elle-aussi. Ainsi en septembre 1916, les distributions de pain à Saint-Jean-de­ Boiseau sont ralenties car les crédits sont déjà épuisés.

Les cantonniers, eux, ont la chance de bénéficier d'une indemnité de vie chère. Ainsi le cautonnier de Saint-Jean perçoit un supplément temporaire de 45 F par mois !

Par ailleurs, tous les ans, la municipalité vote dans son budget uue somme afin de distribuer des sabots aux enfants indigents. Le nombre de paires de sabots augmentent ce qui prouve là-aussi un certain appauvrissement des faimilles : 50 paires distribuées en 1916, 65 paires en 1918.

Malheureusement, en plus de la flambée des prix, les restrictions commencent : on manque de farine pour faire le pain (on manque aussi de boulangers d ailleurs, et de meuniers ..tous partis tous à la guerre). En juillet 1916, il est demandé aux boulangers de ne vendre que du pain rassis afin d'en consommer moins. En décembre 1917, le pain est rationné. Chaque famille doit s'inscrire dans la boulangerie de son choix.

Parmi les restrictions, on peut noter le charbon. Bientôt, il n'y en a pratiquement plus. Pour comble de malheur, l'hiver 1915-1916 est particulièrement rigoureux. Il fait très froid avec des températures en dessous de 0°C. Les autorités demandent aux familles d'utiliser le vieux papier pour faire des boulets susceptibles de remplacer le charbon dans le poêle.

L'hiver suivant en 1916-17 est encore plus froid. Les températures atteignent des niveaux records pour la région. Il gèle sans discontinuer pendant 3 semaines. Ainsi à Nantes, il fait - 6°C le 25 janvier , - 10°C le 30 janvier, + 3°C le 12 février. Le port de Nantes est bloqué par les glaces.

Le 24 février 1917, ces glaces provoquent plusieurs accidents :
-     un ponton du bac d'Indret rompt ses amarres sous la poussée des glaçons.
-     plusieurs toues et canots sont coulés, une épave fait une large déchirure dans un ponton à basse-Indre
-     un pauvre chien est vu aboyant sur un glaçon descendant la Loire à une vitesse de 6 nœuds ...
Bref, tous ces exemples nous montrent les difficultés de la navigation sur la Loire en cette période de froid intense.

Mais toutes ces problèmes et ces privations ne sont sans doute que peu de choses face à la terrible angoisse que ressentent ces femmes quand elles pensent aux dangers que courent leur mari, leur fils ou leur frère. Très vite, la nouvelle des premiers morts s'est propagée de maison en maison, de village en village.

A St Jean de Boiseau, le seul mois d'août 1914 fait 6 morts : il y a Alfred Poulain, Joachim Beaulieu, Francis Dupas, Philippe Mocquard et deux frères Joseph et Donatien Chagnas qui meurent tous deux dans les Ardennes, à 5 jours d'écart.

C'est souvent le maire qui est prévenu en premier, par les autorités militaires. C'est à lui que revient la terrible charge d'annoncer la disparition d'un être cher à sa famille. Aussi on imagine aisément l'angoisse de chaque femme lorsque le maire est aperçu dans un quartier : pour qui vient-il, qui est mort ?

Les enfants

Les enfants aussi souffrent de la situation. D'une part le père est parti, parfois le grand frère aussi. La mère travaille et est moins disponible pour eux.

Au niveau de l'école, ce n'est guère brillant. Beaucoup d'instituteurs sont partis au front. Rien que pour Nantes, 309 classes sont privées de leurs instituteurs. Les effectifs sont regroupés et les élèves se retrouvent à 50, 60 par classe...Certains enfants en profitent pour faire l'école buissonnière. Cela se traduit par une montée des actes de vandalisme dans la ville mais aussi par un grand nombre d'accidents. Ces enfants tombent dans la Loire, sont écrasés par les trams ... un autre danger les guette : les permissionnaires rentrent parfois avec des engins explosifs, les jeunes les manipulent et sautent avec.

De toute façon, il est impossible d'oublier la guerre. Dans les écoles on fabrique des coussins pour les trains sanitaires, on parraine des soldats en leur envoyant courrier et colis.
Les enfants aussi participent à l'effort de guerre.

L'état d'esprit

L'état d'esprit change peu à peu. Rappelez-vous la confiance qui régnait au début de la guerre : tous pensaient qu'elle serait rapide. Il devient évident que la guerre sera longue et énormément meurtrière. Même si la population civile n'est pas au courant de tout, car la censure veille au niveau des journaux, un énorme sentiment de gâchis et de dégoût se développe à l'arrière pour toutes ces morts inutiles.

Malgré la censure (parfois les journaux parlent de victoire alors que les Français ont subi une défaite !) les gens ont accès à quelques nouvelles.

Au début de la guerre, les réfugiés ont afflué en nombre dans tout l'ouest de la France. Pendant la première année, 12 à 14 000 personnes sont adressées aux autorités nantaises ou aux comités de secours. Ces personnes sont relogées dans toute la région. 1918 voit arriver une nouvelle vague de réfugiés.

Ils rapportent des témoignages horribles, sont affreusement choqués. Beaucoup de familles ont été séparées dans la panique. Tous les jours, dans les journaux de Nantes, un article est consacré à ces réfugiés français ou belges : on peut y lire le nom des réfugiés arrivés dans la région et parfois des messages personnels de personnes cherchant des membres de leur famille. Le journal fait le relais.

Un autre moyen de connaître ce qui se passe réellement sur le front, c'est de rencontrer des blessés. Il en arrive par centaines, par trains sanitaires, pratiquement tous les jours à la gare de Nantes.

Certains blessés sont renvoyés sur la Bretagne ou la Vendée, d'autres sont dispatchés dans les différents hôpitaux et ambulances militaires du département.

En Loire-Inférieure, 40 lieux dans la ville de Nantes et 41 communes en dehors de Nantes rassemblent 51 hôpitaux et ambulances.

Il existe un hôpital de 28 lits à Sainte Pazanne, un de 30 lits à Frossay, un de 33 lits à St Père en Retz.

Au Pellerin, dans la maison Soulard qui dornine la Loire, une ambulance de 42 lits est installée.

L'importance du courrier

Dans ces circonstances dramatiques, où les fau. illes sont séparées, le courrier a pris ure importance considérable. Un des premiers soucis du commandement est le maintien du moral des combattants. Des cartes postales sont rrüses à la disposition des soldats pour leur permettre de donner des nouvelles brèves à leur farmille.

Les soldats bénéficient de la franchise postale : toutes les lettres qu'ils envoient ou qui leur font destinées n'ont pas besoin d'être affranchies. Les petits mandats sont également exonérés.

La Poste aux Armées a eu mal à gérer les premiers ces : flots de lettres. Aussi, elle crée les secteurs postaux, plus simple et précis, pour acheminer les lettres plus rapidement.

En 1915, en moyenne, ia Poste aux armées gèrent 3 500 000 a 4 000 000 de lettres et l 50 000 à 200 000 paquets pour un jour ordinaire.

Lors des périodes de fêtes, l'absence se fait encore plus cruellement ressentir et le courrier échangé entre les soldats et leurs familles s'intensifie.
Le 31 décembre 1915, 5 millions de lettres sont envoyées alors que 590 000 paquets sont distribués le 29 décembre.
Le trafic annuel des envois bénéficiant de la franchise est évalué à 4 milliards de lettres (envois adressés aux prisonniers non compris)

La paix

Le 11 novembre 1918, l'armistice est signé entre la France et l'Allemagne. Dès que la nouvelle est connue, les journaux impriment une édition spéciale. Les cloches de toutes les églises sonnent ainsi que les sirènes des bateaux sur la Loire pendant 30 minutes. Les gens sortent, s'embrassent, les drapeaux sont accrochés aux fenêtres, les enfants courent partout.

Mais après l'euphorie, la dure réalité réapparaît. Parmi tous les hommes de Saint-Jean-de­ Boiseau, 56 ne rentreront jamais. D'autres reviennent mais ils sont blessés, malades, tous profondément traumatisés par cette horrible expérience de la guerre. Certains rentrent mutilés.

Certaines familles ont cependant été épargnées : c'est le cas de la famille Herfray : après des années d'inquiétude, les parents ont la chance de voir leurs 5 fils rentrer de la guerre, Ils ont connu des destinées différentes, Emmanuel a fait la guerre en Orient et il n'est rentré qu'en juin 1919, François a été prisonnier en Allemagne pendant plus de 2 ans 1/2, Pierre a été blessé, ... mais tous rentrent vivants à la Télindière.