Histoire de Saint Jean de Boiseau

Entreprise Eugène Bardy à Rouans



Abandonnés au fond d'une remise délabrée, ravagés par les vrillettes, abîmés par l'humidité, quatre registres d'un important négociant en bois de Rouans ont été sauvés par la famille Parlier-Désigné que nous remercions vivement.

Il s'agit des livres de correspondance de l'entreprise Eugène Bardy « Bois en grume - bois de chauffage » avec ses fournisseurs et clients pendant la grande guerre et jusqu'en 1922 :
1500 pages manuscrites dont 1200 environ sont déchiffrables.

On y apprend que l'entreprise Bardy commerçait en Loire-Inférieure mais aussi dans tout l'ouest, en particulier avec la Sarthe, le Maine et Loire et la zone côtière de la Vendée

Elle achetait du bois sur pied dans les forêts et les grands domaines des châtellenies et gérait toute l'exploitation jusqu'à la livraison en bois brut ou travaillé.

Sa clientèle est vaste, pas moins de 250 noms sont recensés en fin de registre. Elle fournit aussi bien les gros chantiers de construction navale tels que les chantiers de la Loire et Dubigeon - que les conserveries, les grossistes, les artisans et commerçants en particulier les boulangers.

En feuilletant la correspondance rédigée en très bon français, par Eugène Bardy et aussi par sa sœur Esther lorsque Eugène est mobilisé en mai 1917, on mesure toutes les difficultés pour faire tourner une entreprise implantée sur plusieurs départements, et pour une part en période de guerre.

Il manque aussi de rouliers, le bois est essentiel dans l'économie du pays ; mais celui-ci manque de bras en 1914. Le matériel aussi se fait plus rare : il faut attendre des wagons disponibles, des bateaux surtout au moment des foins et des moissons.

Le fil de fer est très difficile à trouver à la fin de la guerre, alors on refait des liens en chêne ou en osier, moins résistants.

Les passionnés de vieux métiers trouveront dans ces livres tout un vocabulaire dont on a perdu l'usage, voire la signification. A travers les livraisons voici un aperçu des termes en usités.

Diversité des livraisons de l'entreprise :

L'entreprise vend :
- des rondins de chêne, de châtaignier, de pin ...livrés en stères ou en cordes
- du charbon de bois élaboré dans la Sarthe par un charbonnier difficile à contacter quand il passe des mois en forêt.
- de la bourrée à 88 f le cent à un ou à deux liens

- des pieux de 1,50 m - 1,70m ou 2 m pour l'Infanterie
- des perches de châtaignier très demandées par la Vendée, Bouin - St Gilles sur Vie - Noirmoutier pour la confection de barrières, les plus belles perches étant réservées à la fabrication d'échelles.
- des cercles ployés et des moules 'quartage' ou 'cartage', du barriquage en feuillard, des douvelles pour les tonneliers de Rouans, Port St Père ...
- des pièces de chêne de toutes dimensions pour les chantiers de La Loire et Dubigeon - des volumes importants de bastings ou des grumes simplement équarris
- des planches de peuplier et des longerons livrés au Directeur des Travaux de Roche-Balue
- du sapin fendu arrivé en gare de Basse-Indre ou à la cale aux Oranges et adressé au directeur d'Indret
- très fréquemment du bois de chauffage pour le directeur de la Société Anonyme de Consommation d'Indret et occasionnellement pour la Société Coopérative des Forges de Basse-Indre ainsi que la Société Coopérative « La Prolétarienne » à la Montagne
- de la brousse à 45 f le cent
- des fagots bien amouchés, (on craint les vols) ou rangés en rime le long des sentiers forestiers
- et ce qui revient très souvent dans les courriers : la livraison de wagons d'anoche, ( nom féminin ) sans doute du bois fendu au coin ou à la mine vendu aux stères ou à la corde.
- des petits et grands cotrets en fonction de leur circonférence.
- des bois 'tannin' pour M. Devina Café du Commerce de Nantes
- des manches de pelles pour les Forges de Basse Indre
- des billes pour tirer du merrain dans les plus belles perches.
- des balais de bouleau ou de bruyère
- des mâtereaux en pitchpin, des enlarmes
- des avirons, des maillets de frêne, des gaffes pour les Côteaux au Pellerin etc ...

Pour se déplacer ... un vélo et une moto :

Pour ses déplacements, Monsieur Bardy possède un vélo et une moto 294 D 328 D. Il utilise surtout les chemins de fer et ses chantiers ne sont jamais très éloignés d'une voie ferrée. Pour la Loire Atlantique les rendez-vous d'affaires se font à Nantes dans un café ou à la bourse du travail. C'est plus simple que de se rendre à son domicile :
M. Bardy habite la campagne à Rouans. Ensuite a-t-il changé d'adresse car lorsqu'il écrit à M. le contrôleur des contributions directes à Paimboeuf le 27 mars 1922 il donne comme résidence « Le Pelle » au Pellerin Possède t'il un attelage ? C'est possible mais il n'en parle pas. On sait seulement qu'en 1917 il part acheter chevaux et charrettes, la pénurie de rouliers ayant fait flamber les prix du transport.

Le règlement des factures :

C'est le Crédit Nantais qui gère ses comptes. On trouve des courriers comme celui-ci, en date du 26 octobre 1921
« J'ai l'honneur de vous remettre sous ce pli une traite au nom de M Rago, Directeur de la Blanchisserie de Bretagne à Doulon Nantes se montant à 647,F 95. Après encaissement vous voudrez bien l'ajouter à mon compte en banque Veuillez agréer Monsieur le directeur mes salutations empressées »

M. Bardy utilisait essentiellement la Poste pour correspondre avec ses interlocuteurs éloignés Il était aussi desservi par le téléphone mais très peu de clients étaient équipés. Alors les écrits permettaient de consigner toutes les instructions et les engagements réciproques. Seulement les destinataires n'écrivaient pas aussi facilement et il fallait parfois relancer.

La Poste fonctionnait très bien et la confiance régnait. Parfois les règlements financiers étaient effectués en coupures dans l'enveloppe.

C'est ainsi que le 4 octobre 1921 une facture pour 2501 cotrets de chêne à 135 F le cent et 52 fagots de bois mélangé à 125 F le cent soit 3441 F est réglée à M. Civel Marchand de Bois à Chéméré avec 3 billets de 1000 F et 4 billets de 1OO F dont il précise les N° dans sa lettre puis 2 billets de 20 F et 1 billet de 1 F.

Il y a aussi des mauvais payeurs qu'il faut secouer voire menacer du tribunal.

C'est le cas pour M. Guillotin à St Méen en Ille et Vilaine qui reçoit cette lettre du 16 décembre 1917
« Je n'accepte pas les termes de votre lettre du 8 courant. Si vous persistez dans votre réclamation, je ferai évoquer samedi prochain l'affaire pendante devant le tribunal de Nantes qui aura à statuer enprésence de M Texier sur nos prétentions réciproques. Agréez Monsieur mes sincères salutations E Bardy ».

La menace a payé et M. Guillotin s'est exécuté
Voici la lettre que M. Bardy adresse le 28 janvier 1918 à son avocat M. Reneaume, place Graslin à Nantes « Je reçois aujourd'hui une lettre de M. Guillotin qui me dit accepter mon compte du 5 décembre. Il est regrettable que nous ne l'ayons pas su plutôt, maisje crois qu 'il s'est décidé lorsqu'il a eu la puce à l'oreille. Trouvez ci-joint cette lettre. Agréez ... ».

Un souci de justice et d'efficacité :

M. Bardy est un chef d'entreprise très organisé. Rien ne lui échappe et les ordres sont clairs. Parfois, il a des propos sévères lorsque ses instructions ne sont pas respectées mais il sait être juste comme dans l'extrait de lettre en encadré.

Cela dit, en affaire, il est important de ne rien négliger.

Cette lettre est adressée à M. Pasquier, employé de chemin de fer Le Lude dans la Sarthe le 10 août 1917.
Réponse à votre honorée du 3 et, vous voudrez bien continuer à expédier le bois qui reste en gare à l'adresse suivante : M. Champenois , Négociant à Pont Rousseau. Mais n'envoyez pas de petits wagons comme la dernière fois je vous prie. Payer un transport semblable pour 11 stères de bois, c'est épouvantable, il est mangé avant d'arriver à Nantes.
Recevez ci-joint mandat de 12 F 70 montant de la somme qui vous est dû.
Veuillez agréer ...

Il faut aussi se battre pour défendre son pré carré telle cette lettre à Mr Dupé de Nantes le 2 mars 1918

" Si vous voulez queje vous envoie du bois, ne venez pas mettre des prix comme vous lefaites. Hier encore Moreau Feuillardais disait devant tous les ouvriers que vous lui aviez dit que le chêne valait plus de 115 F le mètre cube.
J'ai répondu que c'était faux, que çà valait 90 F car vous devez comprendre que cela me fait tort vis-à-vis de propriétaires à qui les ouvriers rapportent
Agréez Monsieur mes sincères salutations

Bien prendre les dimensions au départ ...

Dans cet échange de courrier avec M. Hardy de Carquefou, M. Bardy précise les N° des quatorze grumes restant à livrer. Mais il n'a pas les mesures C'est pourquoi il demande ceci :
"... Et prenez les dimensions, longueur de circonférence car je ne les ai pas ;attention de prendre la circonférence avant que l'écorce s'en va. ".

Pour corder les rimes en bordure des chemins forestiers, il recommande aussi de bien tendre le cordeau

Le charbon de bois est vendu au poids. Il demande à son charbonnier de l'arroser. On devine pourquoi.

L'octroi ... taxe et détaxe :

Les erreurs sont fréquentes sur les quantités livrées, toujours dans le même sens. Souvent il est inévitable de recorder ou de vérifier les pesées ce qui est l'objet de maints courriers.

Entre le bois cubé sur le site et la livraison au client les nombreuses manipulations peuvent être source d'erreurs et parfois ce sont des erreurs d'aiguillage : le bois n'arrive pas à son destinataire. Mais Mr Bardy surveille de près : les chapardages existent. Parfois il précise que lors du chargement de tel wagon il est prudent de mettre, en dessous, les belles perches qui pourraient tenter les gens malhonnêtes.

Dans cette lettre du 6 juillet 1916, adressée à M. Glenz, transporteur à Thoré dans la Sarthe il prend l'Octroi à témoin pour justifier les quantités.
" Bien reçu votre lettre du 28juin, j'ai justement vu le wagon de sapinfendu en vrac qui est arrivé samedi dernier en gare, j'ai cubé ce wagon et n'ai trouvé que 20 stères. J'en ai avisé l'octroi qui a cubé devant moi et a trouvé la même quantité. Maisje ne puis adresser une lettre à Ga/lais n'ayant pas affaire à lui.
Vous n'aurez qu'à lui dire que s'il vous faut un mot de l'Octroi constatant lefait, je vous l'enverrai ...
".

Ne négligeons pas les petites économies sur les taxes :

" Samedi dernier, j'ai su qu'il était arrivé un wagon de rondins de châtaignier. Si le wagon deperches n'est pas parti, voyez si vouspourriez l'envoyer sur l'Etat où il devait aller la première fois.
Adresse : M Samson négociant à Bouin gare de Bourgneuf en Retz, car à Nantes on veut me prendre à l'Octroi 5 F du stère pour la perche, alorsj'ai constaté qu'il serait plus avantageux de l'expédier à Bourgneuf
".

L'agent Voyer du Pellerin a besoin de chêne :

E. Bardy écrit à Mr Buffier Agent Voyer Le Pellerin le 8 septembre 1914
"
Monsieur
Je pense vous livrer les plateaux de chêne désignés aux dimensions spécifiées c'est-à-dire : 4 m de longueur sur 2 m 40 de largeur et 0 m 10 d 'épaisseur auprix de ( 400 F )
quatre centsfrancs le mètre cube pris en scierie.
Transport de la scierie sur le chantier 1OO F.
Recevez Monsieur mes respectueuses salutations

Baron et Marquis :

Le marquis de Dion possédait la propriété de la Blanchardais près de Vue,
Notable bien connu pour s'être associé à Mr Bouton et lancer la marque de voiture " de Dion-Bouton "

Etre recommandé pour avoir la place...

Mr Bardy, de part ses relations avec les châtelains, mais surtout avec les régisseurs est bien placé pour présenter des candidatures à des postes vacants. Le 21 janvier 1918 il s'adresse au lieutenant Dézaunay du 81 ème RIT, avec qui il est en affaire, en ces termes.
Voici le passage de sa lettre :
"

Apropos de garde, avez-vous trouvé quelqu'un de sérieux pouvant remplacer celui du château de la Sicaudais Baron d'Izard car celui de la Blanchardais près de Vue Propriété du Marquis de Dion doit sortir, la propriété étant vendue depuis quelquesjours.
Je puis vous 'le' renseigner comme très sérieux sous tous rapports. Il dit d'abord être connu de Monsieur le Baron d'Izard et de Monsieur de Monty.
"

En pleine guerre , il n'est pas facile d'obtenir un sursis mais on peut jouer d'une situation particulière :

Voici la demande formulée auprès de Mr le Directeur de l'action Economique 11ème Région le 11 septembre 1917.
" Venant de prendre connaissance de la circulaire de Mr Loucheur invitallt les Préfets à constituer des stocks de bois de chauffage, j'ai l'honneur de venir mettre à votre disposition tout le bois fabriqué provenant de mes dernières exploitations : soit 5000 bourrées à deux liens.
J'ai aussi en exploitation des coupes de bois taillis pouvant faire 50 000 bourrées à 2 liens et 500 stères de bois de chauffage anoche chêne, châtaignier, sapin.
Etant mobilisé au je viens vous demander s'il n'y aurait pas possibilité pour moi d'obtenir un sursis de quelques mois afin de mettre cette exploitation en marche, dont tout le bois fabriqué vous serait livré. Je viens de solliciter de votre de bienveillance de vouloir bien transmettre mes offres et ma demanche.
"

Et cela a marché, le sursis a été obtenu. Il a même été renouvelé grâce au Député. C'est ainsi que M. Bardy écrit le 21 janvier 1918 à Monsieur le Marquis de Dion, Député :
" Jai l'honneur de vous informer que pour le renouvellement de sursis demandé au Ministère, j'ai obtenu satisfaction grâce à votre appui.
Je vous en suis très reconnaissant et vous présente mes remerciements sincères et respectueux...

Peu de commerce avec St Jean de Boiseau :

Seulement 2 lettres pour des livraisons de bourrées à M.Gautier Boulanger et un courrier à M. Simon Porcher expert.

On aurait pu penser que le chantier Barraud­Minée de la Télindière, construction de plates et de toues ait eu recours à l'entreprise Bardy pour la fumiture de bois mais on ne trouve aucune livraison dans la période couverte par les registres. Nous avions noté dans la plaquette « La Batellerie et les Toues à St Jean de Boiseau » publiée en 1995 ( dont on oublie qu'elle comporte aussi quinze pages sur la pêche en Loire ) que " l'approvisionnement en bois du chantier se faisait par toues soit de Port Launay pour les livraisons en provenance de la forêt de Gavre, soit du Pré Commun où les grumes était débitées". Le chantier Barraud-Minée ayant choisi des bois en provenance principalement du nord Loire, ne pouvait se croiser avec l'entreprise Bardy qui a développé ses chantiers d'abattage vers le Maine et Loire et la Sarthe.

Et si M. le Directeur des travaux de Roche Balue a eu recours à E.Bardy, les livraisons ne concernaient que des bois débités de faible épaisseur, planches et chevrons; les fournitures importantes provenaient d'ailleurs.

La maison Parois ••• mariée avec le bois depuis des générations :

La scierie Parois était trop récente pour fournir du bois au Chantier Barraud-Minée. Elle n'a été installée qu'en 1950. (Elle vient de cesser ses activités ). Par contre, pendant la guerre de 40, M.Parois a réparé les toues, à la place du chantier, celui-ci ayant été fermé.

Cette très ancienne Maison Parois a débuté son activité, au XIX siècle, dans la menuiserie située sur la place de l'église. On a retrouvé dans l'église St Jean-Baptiste, lors de la dépose des autels latéraux de la grande nef, construite en 1866- 1868, le nom de E.Parois sur une pièce de menuiserie.

Un atelier a été ensuite ouvert au Landas, entre les deux guerres, et la génération de Gaby Parois a développé l'activité de charpente et menuiserie. L'approvisionnement était effectué auprès des grossistes nantais, surtout du chêne qui, pour une part, pouvait provenir des coupes achetées par Eugène Bardy (si celui-ci fut encore en activité car nous ne connaissons pas la date de fermeture de son entreprise ?).

Ce coup de projecteur braqué sur 8 années de l'entreprise Eugène Bardy donne envie d'en connaître davantage sur la vie de cet important négociant, sur cette famille rouansaise et sur son devenir.
C'est pourquoi nous prenons contact avec l'antenne d'histoire de Rouans pour poursuivre éventuellement cette recherche et décider de la détention de ces registres.