SECOND NOVICIAT EN AUSTRALIE ...(3) |
Sa hiérarchie lui accorde le « second noviciat » en juillet 1899. Il part pour Sydney, puis
pour Hunters Hill. Il séjourne à la Villa Maria dès les premiers jours du mois d'aoüt.
De la, Jean Baptiste Prin fait à trente-huit ans le bilan de ses dix années de vie de missionnaire :
« Je suis bien venu aux Fidji pour sauver des âmes, c'est à dire pour inculquer la vie chrétienne à de
pauvres gens livrés et tyrannisés par le démon. Mais cette vocation est si compliquée. fl faut s'occuper du
spirituel et du temporel, et en se donnant à l'un on s'expose bien à négliger l'autre. C'est si difficile de
mener deux choses de front.
Et puis malheureusement l'homme est de chair et par suite est bien exposé à se laisser aller à ce qui frappe
davantage les sens. De plus, il faut vivre. Il faut un terrain. Il faut une école, une maison.
Sans doute on tâche bien d'élever sa pensée et de l'offrir à Dieu. Mais n'y mêle-t-on rien d'humain ? On ne
voudrait pas non plus négliger le spirituel, l'enseignement des vérités chrétiennes aux âmes dont on a la
charge. Mais le fait-on suffisamment, avec tout le zèle qu'on mettrait s'il n'y avait pas tous ces travaux
manuels ?
Les forces du corps s'affaiblissent et avec aussi l'énergie de l'âme. Ne laisse point la routine à
l'indifférence qui conduirait à la chute, à la damnation ?
Autant de questions que l'on se pose à la retraite. L'on y prend de bonnes résolutions. Mais immédiatement
l'on se trouve dans le tourbillon ... »
Après son séjour à Hunters Hill Jean Baptiste Prin paraît rentrer en France.
Les archipels de l'Océan Pacifique sont le terrain d'une rivalité religieuse. Les
protestants acceptent difficilement l'arrivée des catholiques, pourtant moins nombreux. La concurrence
est rude. La cohabitation paraît synonyme de compétition. Mais tous les coups sont-ils permis pour disgracier
les prêtres maristes ?
Deuxième semestre 1899. Jean Baptiste Prin embarque paraît-il pour l'Europe. Malheureusement accusé de viol aux
îles Fidji, son voyage s'arrête à l'Ouest de l'Australie. La rumeur naît de Suva, paraît-il d'un chef Wesleyen.
Le prêtre est arrêté à Albany. En date du 1er octobre 1899, le « Sydney Sunday Times » notifie une détention de
huit jours à Perth.
Le missionnaire français est ramené aux Fidji. Croyant sa cause perdue devant un tnbunal anglais, Jean
Baptiste Prin s'évade sur un bateau de passage en partance pour l'Australie. Il est repris à Adélaïde,
ramené aux Fidji et jugé les 30 novembre et 1er décembre. Durant les témoignages des accusateurs, le
magistrat est tellement convaincu que toute l'affaire n'est qu'une conspiration, qu'il décharge le prêtre
sans écouter aucune preuve. La 28 décembre 1899, une lettre du procureur au révérend père supérieur mariste au
monastère de la Villa Maria, notifie que le prêtre Prin est bel et bien acquitté.
Le missonnaire catholique a été accusé mensongèrement de délits par quelques chefs protestants. Le 11 janvier
1900, le « New Zealand Tablet » relate : « ...A Fiji resident, who is particularly well informed, states
that accusations the blamaless priest were made the object of bringing the Marist missionaries into disgrace. ».
(« Un résident des Fidji, qui est particulement bien informé, a établi que les accusations contre le prêtre
irréprochable étaient faites, pour amener les missionnaires en disgrâce. ») « Nos ennemis. » écrit ce
résident fidjien.
Le chef protestant Moran a-t-il eu son démenti ?
Les conspirateurs ont-ils été poursuivis ?
Les policiers soutiennent le prêtre. Malheureusement, les protestants sont offensés de cet échec. Un second
complot se trame contre le boiséen et le détective Le Rennetel informé en haut lieu avertit les maristes.
Aussitôt, Jean Baptiste Prin est emmené secrètement au monastère de la Villa Maria.
Cet événement n'est pas sans conséquence pour la mission catholique. Son amie boiséenne, Anne Thabard, sœur Marie Augustin relate à sa hiérarchie : « Nous comptions presque comme certaine la conversion de plusieurs familles hérétiques qui sont assez bien disposées. Mais la rude épreuve a fait tant de bruit autour de nous que naturellement il y a un petit ralentissement. Maintenant que, Dieu merci, nos ennemis sont enfoncés, nous ayons tout lieu d'espérer que Notre Seigneur en tirera sa gloire et que les conversions que nous attendons seront plus sérieuses. ». Le scandale affaiblit Jean Baptiste Prin. Il n'a qu'un désir : fuir cette conspiration, fuir les îles Fidji. S'esquiver pour le vicariat de la Nouvelle Calédonie est pour lui un réel échappatoire .
Dès février 1900, il s'embarque pour la Nouvelle Calédonie où il se repose un temps à
Touaourou (12).
Durand ce temps, aux Nouvelles-Hébrides , le propriétaire et commerçant irlandais M. Higginson
redemande des missionnaires maristes pour ses colons. Les premiers catéchistes catholiques de Nouvelles-
Hébrides sont la plupart des autochtones partis travailler aux îles Fidji. En 1898 certains d'entre
eux reviennent sur l'archipel des Nouvelles-Hébrides sans prêtre.
(12) Village non localisé sur différentes cartes. |
A cette époque le climat politique français est anticlérical. Néanmoins le gouvernement à
intérêt de ménager les congrégations de missionnaires exerçant une influence dans les colonies. Le chef du
cabinet du ministre des Colonies expresse le supérieur général des maristes d'envoyer six missionnaires aux
Nouvelles-Hébrides.
Il faut sur l'île d'Ambae un prêtre parlant le fidjien. Le boiséen se porte aussitôt volontaire.
Le 17 octobre 1900, quatre missionnaires (Barthélémy Vazeille du Puy de Dôme, 50 ans ; Charles Faure, ardéchois
de 26 ans ; Casimir Bancarel, un rouergat de 25 ans, Pierre Bochu, de SaintChamond, 24 ans) venus de France
en compagnie du vicaire apostolique Victor Douceré débarquent à Nouméa. Un ancien de Samoa, Pierre Chauvel du
diocèse de Nantes âgé de 33 ans est la sixième recrue.
Les prêtres débarquent à Port-Vila le 24 novembre suivant sur l'île d'Efate (13).
Le gouvernement français envoie des religieux mais aussi deux détachements militaires, l'un à Port-Havannah,
l'autre à Port-Sandwich sur l'île Malakula (14).
(13) Efate (ou Sandwich ou Vaté) |
L'évangélisation par les catholiques des Nouvelles-Hébrides :
- 1843. Les missionnaires catholiques arrivent en Mélanésie. Leur évêque Mgr Douarre s'installe en Nouvelle
Calédonie. Il a aussi la charge des Nouvelles-Hébrides dont il remet l'évangélisation à plus tard. Tandis que
le père Douarre séjourne en France, la mission est attaquée. Les survivants, le père Rougeyron et les
missionnaires s'enfuient à Sydney en Australie. |
Le Préfet apostolique Victor Douceré n'est pas un inconnu pour le boiséen. Jeunes gens, ils se sont côtoyés à
Paignton en Angleterre vers 1885. Jean Baptiste Prin ne tarde pas à connaître les ressentiments du prêtre à son
égard : « Dès mon arrivée aux Nouvelles Hébrides j'ai senti l'antipathie de Mgr Douceré et même sa défiance
à mon égard. » Ce supérieur pense que tous les missionnaires sont des hommes de caractère. « La
discipline est la force principale des armées. Il est bien décidé à les faire plier. » Sa rigueur ne
facilite pas les complicités.
Le boiséen ne tarde pas non plus à savoir que ce supérieur ne dirige pas sa mission comme le fait le préfet
apostolique Vidal aux Fidji. Les histoires de poison, de cannibalisme, il ne veut pas en entendre parler. Tout
ce qui réjouit le cœur de l'homme lui devient suspect. Il veut absolument entériner les fêtes et les danses
païennes. Ce chef de mission prend la résolution de ne jamais faire de dettes et il s'y tiendra fermement.
L'inconvénient : sa mission ne possède pas de navire malgré toutes ses démarches faites à ses supérieurs. Les
missionnaires doivent emprunter les bateaux de passage pour se rendre à leurs stations.
Le vicaire Douceré laisse à la station de Mélé, sur l'île d'Efate, le père Vazeille en raison de son âge.
Il conduit les pères Bancarel et Bochu à Port Sandwich, puis le père Chauvel à la station de
Melsisi sur l'île de Pentecôte ainsi que les pères Prin et Faure. Ce dernier reste quelques temps à Melsisi
avant de rejoindre le père Prin.
Le boiséen se dirige vers l'île d'Ambae.
Convertir les païens aux Nouvelles Hébrides n'est pas aussi facile qu'aux îles Fidji.
Les indigènes sont des guerriers brutaux et cannibales. « Si beaucoup d'apôtres débarquent sans recevoir
aussitôt un coup sur la tête, ils le doivent au pauvre blanc maigre et dépenaillé qui les a précédés sur
l'îlot ». Les aventuriers, des négriers, des chasseurs de baleine, des chercheurs de santal, ne sont
guère plus sympathiques.
La concurrence religieuse est rude. Lorsque reviennent les missionnaires catholiques en 1887, l'Eglise
Presbytérienne est très prospère. Elle se développe dans le Sud de l'archipel, et les Anglicans dans le Nord.
Les superstitions ne facilitent pas les conversions. Les chefs des villages veulent conserver la polygamie. Sur
l'île d'Espiritu-Santo les veuves sont pendues. Sur les îlots les veillards qui ne peuvent plus subvenir à
leurs besoins sont étranglés puis ensevelis après avoir fêté leur mort. Et partout existe le poison.
Les éruptions volcaniques des îles de Tanna, Ambrym, Lopevi, effrayent les prêtres et les dévalant des pentes
rendent les sols improductifs.
Le climat chaud et humide est le paradis de l'anophèle, le moustique responsable du paludisme. Dès les
premières années de la mission, les religieux sont atteints des fièvres. Les hommes robustes à leur arrivée,
sont anéantis en quelques mois. Et, au fil du temps, leur caractère s'aigrit. Ils se démoralisent, pensent
être abandonné de la France. L'excès de misère n'arrange rien. les collègues protestants, mieux nourris, mieux
logés, soignés par leurs épouses, résistent mieux. Les épidémies, la dysenterie, la grippe espagnole, le
choléra, apporlés par les marins, déciment les populations.
L'archipel compte une centaine de langues. « Etudier une langue sans grammaire et sans dictionnaire n'est
pas chose facile
». Heureusement il y a le « bichelamar », langue mixte d'anglais et de langues indigènes
utilisée pour les besoins commerciaux des premiers trafiquants.
De Melsisi, Jean Baptiste Prin se rend d'abord sur l'îlot de Vao situé au Nord Est de l'île
de Malakula. Il tient à y rencontrer son ami Jean Baptiste Jamond, un ancien des Fidji et grand conteur
d'histoires aux multiples aventures. « Ambae » ou « Aoba ». Seule île des Nouvelles-Hébrides qu'accoste cent trente-trois ans plus
tôt le navigateur français De Bougainville. L'amiral enterre au pied d'un arbre une planche de chêne gravée au
nom du roi de France et baptise l'archipel « Nouvelles Cyclades ». EPATE ...
Port-Vila. ESPIRITU SANTO ...
Tolomako.
Les sorciers. Melsisi.
Or, lorsque Jean Baptiste Prin débarque à Melsisi, le 10 octobre 1902, il apprend du père
Jean Baptiste Suas le décès par noyade du père Antoine Tayac le . Depuis deux ans, le père Tayac de
la station de Melsisi suppliait qu'on établisse un père à Namaram et c'est lui qu'on leur envoyait. Au cours
du déménagement la pirogue lourdement chargée se retourne. Tayac, sauvé, plonge pour sauver des femmes qui ne
savent pas nager. Personne ne le reverra. Le prêtre défunt devait prendre en charge la mission de Namaram. Suite
à ce naufrage, Jean Baptiste Prin n'ira pas à Loltong comme prévu. Il se fixe à Namaram d'où il peut aussi
convertir les indigènes du Nord de l'île.
Namaram.
Jean Baptiste Prin arrive en octobre 1902 quelques jours après le naufrage. Loltong
Jean Baptiste Prin doit malheureusement faire face à de continuels affrontements à Loltong
dans le Nord de l'île.
« les autochtones sont de plus en plus encochonnés ... » Les cochons sont élevés en grande
quantité et sacrifiés dans de nombreuses fêtes païennes. Namaram.
Le père est confronté à d'autres conflits.
L'apostolat au quotidien ... Extrait de la correspondance du père Gonnet à la station de Loltong.
Melsisi
Le père Prin quitte Namaram pour se rendre à Melsisi, aux premiers jours de janvier 1905. A Melsisi le père Prin est de nouveau confronter aux affres du couple Mariak-Susana Litare.
La femme se réfugie au village. Les guerriers de Mariak sont à sa recherche. Le jeune père Niel a peur. Mais le
père Prin est encore là et il expédie Susana à Port-Vila. MALAKULA ...
Ilôt de Vao. Mais le Père Prin découvre la vérité : « C'est Cochet lui-même qui a payé un homme de la baie du Sud Ouest
pour tuer sa femme. Le bareau de guerre va s'emparer du meurtrier pour le confironter avec Cochet. Or,
était-ce un coup monté ? Le meurtrier est fusillé alors qu'il plonge pour s'évader. Mais
personne n'est dupe et l'îlot de Vao est bientôt débarrassé de Cochet. ».
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Le prêtre n'est pas étonné de voir son ami partir pour Ambae « sans prévisions et sans bourse pour cette
nouvelle fondation, vraiment à l'apostolique « sine baculo et sine pera ».
Le 15 avril 1901, Jean Baptiste Prin quitte Vao sur le bateau de Fortuné Lachaise, un sympathique métis
réunionnais basé sur l'île de Malo.
AMBAE ...
La mission possède déjà deux terrains : vers l'Ouest à Duindui un hectare donné par Fortuné Lachaise, si dévoué
aux missionnaires, et dix hectares à Valuriki.
Le bateau transportant le missionnaire longe les côtes d'Ambae.
Jean Baptiste Prin s'aperçoit que les meilleurs emplacements sont déjà occupés par les anglicans vers
l'Est à Longana, vers l'Ouest à Duindui. Ils se développent surtout à l'Est et un conmmerçant s'active à
l'Ouest. S'il avait eu quelque argent, Jean Baptiste Prin aurait aimé se futer à Walaha où il a été bien
accueilli mais il doit se contenter d'un emplacement à NaDooir, un lieu terriblement escarpé. Son choix
d'un site central reflète le souci de garder distances avec les protestants. Il achète le terrain et encore
faut-il que le réunionnais lui avance la somme de 300 francs.
En juin 1901 Jean Baptiste Prin s'installe défmitivement à Nangire sur le terrain du chef Aro Ecé.
Le but de sa mission : « récupérer » les rapatriés des Fidji seuls sans missionnaire depuis plusieurs mois.
Le père Faure, lui aussi destiné à cette station, vient le rejoindre le 14 juillet. Charles Faure habitué au
confort, ne trouve là qu'une misérable case avec de l'eau saumâtre pour toute boisson. Le comble ! La
caisse à eau envoyée de Vila coule comme un panier. Il espère faire la classe mais les élèves ne viennent pas.
Les deux hommes ne paraissent guère faits pour s'entendre : l'un est un vieux routier qui a déjà fait ses
preuves, l'autre est un jeune inexpérimenté de santé fragile et, apparemment plus intellectuel que manuel.
En novembre 1901 le jeune missionnaire repart pour Mélé sur l'île d'Efate en lissant seul Jean Baptiste Prin.
Le boiséen parcourt les sentiers escarpés de l'île à la recherche de « ses fidjiens ». Nombreux catéchistes
sont du village de Lolosori. C'est la raison pour laquelle il achète une base à Lolopuepue. Il se rend même
jusqu'à l'île de Maewo.
A son retour, à Nangire, une agression mortelle déclenche un conflit sur l'île. Des négriers sans scrupule
ont enlevé des femmes sur la côte. Par engeance, le chef Siga i Moli venu de la montagne attaque le magasin
de la Compagnie et tue le gardien, un homme du village de Pentecôte nommé Patrick. La victime est dépecée,
partagée et mangée. En représailles, des blancs des environs se réunissent pour attaquer le village du chef.
Ils veulent entraîner dans la guerre le village du chef Aro Evé qui a hébergé les missionnaires.
Dans cet archipel, pour satisfaire la loi de la vengeance, n'importe qui peut être tué. La question de savoir
s'il est innocent n'a aucune importance.
Suivant sa conscience Jean Baptiste Prin s'interpose. « Il calme les esprits et prépare le chemins de la
paix. Ce sera long et plein d'embûches, mais finalement Jean Baptiste Prin a sauvé la situation et a gagné la
confiance de tout le voisinage. ».
Premier conflit local auquel il prend part ? Probablement mais ce n'est pas le dernier.
La politique du Préfet Apostolique Douceré est de changer les missionnaires assez souvent de poste.
Malheureusement, c'est juste à ce moment-là où le père Prin rétablit l'ordre à Nangire qu'il décide de le
changer de mission prétextant qu'il est sous employé à Ambae. Les habitants sont déçus. Au mois de mai 1902
arrive sur l'île le père Deniau, un missionnaire errant âgé de soixante-six ans, qui avait déjà œuvré aux
Fidji, Port-Orly, Malo, de nouveau aux Fidji, et l 'Europe où il s'ennuie. Et le voici à Ambae.
Jean Baptiste Prin, quant à lui, est muté à Port-Vila sur l'île d'Efate. Le père Douceré, le fait venir pour
s'occuper des travailleurs des plantations. Jean Baptiste Prin semble être l'homme de la situation. Il parle
très bien le bichelarnar, le fidjien, l'anglais et aussi une langue d'Ambae. Mais le déplacement est paraît-il
dû à quelques ragots venus de Suva de Fidji, lieu de départ de la rumeur accusant de délits Jean Baptiste Prin
deux ans plus tôt.
Le boiséen ne reste pas trois mois à Port-Vila.
Le 4 août 1902 il s'embarque pour Tolomako, un village situé tout au fond de la grande baie d'Espiritu-Santo.
Il remplace le jeune prêtre Bancarel parti se reposer à Lamap sur l'île de Malakula.
Au retour du Jeune missionnaire Jean Baptiste Prin repart pour Port-Vila. A mi chemin du retour il est
envoyé à la station de Loltong sur l'île de Pentecôte, l'île où « il faut choisir les missionnaires par
leurs pieds ». Une île qui n'est que pentes et côtes où il faut « des montagnards auxjambes
solides ».
« Les Santos sont très superstitieux et placent toutes leurs confiances dans leurs sorciers. Ceux ci
abondent. Il y a le sorcier qui guérit les maladies, le sorcier faiseur de pluie, le sorcier chargé
d'expulser ou de ramener les moustiques, le sorcier qui a le pouvoir de déchaîner les tempêtes, les cyclones. »
Père Bancarel
Le boiséen trouve là une communauté abattue. Depuis le départ du père Jamond en septembre 1900 et le décès du
père Tayac, les catéchistes fidjiens amenés sur l'île de Pentecôte par le père Rougier trois ans plus tôt, sont
découragés.
Jean Baptiste Prin est bien compris de ses catéchistes et va tenter de remonter la pente. Il trouve à Namaram
les maisons en ruine. La station, du temps du Père Jamond a été construite sur la rive droite de la rivière.
Jean Baptiste Prin va la reconstruire sur la rive gauche à Leimweri. Il entreprend la construction d'une maison
forteresse pour se protéger des balles de broussards, bien ravitaillés en munitions par sa trop célèbre
voisine la « dame blanche » du nom de Fuilet, une femme-colon, une de « ces reines des Tropiques » comme il
en existe plusieurs spécimens, avec lesquelles il est prudent d'avoir de bonnes relations.
Sur l'île de Pentecôte, Jean Baptiste Prin semble enfin avoir retrouvé la sérénité après son accusation quatre
ans plus tôt : « 25 mai 1903 ... Actuellement j'ai retrouvé la paix et Dieu aidant je me suis donné tout
entier de nouveau à la vie d'un bon chrétien, d'un bon prêtre, d'un bon missionnaire ... J'ai beaucoup à faire
pour progresser. Remercions Dieu ensemble je n'ai pas regardé une seule fois en arrière. Les tentations n'ont
pas manquées, imaginations, souvenirs (etc).
Ces tentations reviendront. Je m'y attends. Le bon Dieu ne veut pas ma perte. Il m'a laissé éprouver mais il a
eu pitié de ma faiblesse.
Je me prépare de mon mieux par lafidélité à tous mes exercices de piété ... Je veux me perfectionner : me
sauver d'abord et tâcher de sauver les autres. »
A Namaram le missionnaire développe aussi de grandes plantations sur le plateau pour faire vivre son école.
Mais en cette année 1903, à l'âge de quarante-deux ans, le boiséen ressent déjà les premiers symptômes d'une
affection rhumatismale.
Depuis l'arrivée du Père Jamond en 1898, les chrétiens sont persécutés par le grand chef d'Irire,
Viratuku. C'est lui le chef du district. Il n'accepte pas que le jeune et dynamique catéchiste Carolo attire *
la sympathie des jeunes gens.
Les chrétiens pardonnent, les chrétiens ne se vengent pas. Fatigués de toujours pardonner, ils
finissent par abattre ce chef sanguinaire qui a tué successivement le frère, les deux enfants et la mère de
Carolo. Abasourdis par ce coup d'audace, les chefs païens n'ont pas riposté. C'est alors que le catéchiste
Alfonso a l'idée de se débarrasser une bonne fois pour toute de ces chefs récalcitrants qui empêchent les
conversions.
C'est maintenant Alfonso qui sème la terreur dans la brousse. Il est devenu l'homme à abattre. Capturé, il est
ligoté à un arbre et füsillé. Son corps est dépecé et partagé dans les villages. La tête est sacrifiée dans une
fête de cochons.
Horrifiés, les chrétiens veulent venger Alfonso et c'est l'émeute guerrière en 1904. Le 2 novembre le Père Prin
se rend à la mission de Loltong pour bénir une chapelle. Il a toutes les peines du monde à retenir ses
chrétiens de faire la guerre aux chefs païens qui les persécutent. Ilcomprend, et parle fort : « Non, vous
ne ferez pas la guerre. Ce n'est plus comme au temps de Viratuku ? Vous oubliez qu'Alfonso a causé quatre morts
! Il n'y aura pas de vengeance et vous ferez la paix ! ». Et les chrétiens obéissent, mais les
catéchistes sont découragés.
Le secteur du père Prin est trop vaste. Le missionnaire de Namaram sait qu'il ne peut pas œuvrer correctement
sur Loltong. « Cela ne peut plus durer. Il faut un missionnaire avec eux. Moi, je suis trop loin. »
Les missionnaires éleveurs de cochons.
A la fin du XIXème siècle le premier prêtre a élevé des cochons a été le Père Suas. Dans quel but ? Pour
délivrer une jeune fille d'un mariage arrangé avec un homme plus âgé. Après avoir racheté la jeune païenne il
achète des fiancées pour chacun de ses garçons. Quel scandale à Nouvéa lorsque le Révérend Père apprend que le
Père Suas achète des filles pour les délivrer de conflits au sein de leur tribu ou de leur famille, avec des
cochons. Aussitôt il répond : « La femme est traitée moins qu'une esclave et si elle n'est pas d'accord, une
volée de coups de trique la ramène à la raison. »
« Il faut raconter cette histoire car elle a fait du bruit dans tout l'archipel ...
Un jour , les Fanla ont volé le superbe cochon du catéchiste du Père Suas. Aussitôt il l'apprend et part
recherché le cochon volé, le fusil sur l'épaule.
Arrivé sur le lieu, les autochtones lui disent : « Ton cochon, nous allons le manger avec toi. » Un roulement
de tam-tam et le Père Suas se trouve enfermé dans un cercle d'hommes armés de haches et de casse-tête. Le Père
Suas a peur et tente de racheter sa vie en sortant de ses poches ses maigres richesses. Rien n'y fait. Un païen
le nargue en aiguisant son couteau sur la pierre près du missionnaire. « C'est pour te dépecer plus vite. » Et
soudain, le chef du village de Limbul et grand ami du Père vient le délivrer. ».
Le nouveau chef des catéchistes, Léone, ne ménage pas sa peine. Hélas, il va mourir en quelques heures au retour
d'une tomnée en brousse. Le grand chef Mariak de Likabwe est accusé. Le comble, c'est à ce moment-là que la
jeune Litare sa troisième femme s'enfuit et se réfugie à la mission. Elle demande à Jean Baptiste Prin le
baptême. Polygame endurci, le chef n'admet pas les interdits du christianisme. Afin d'éviter un conflit local,
Jean Baptiste Prin tâche d'arranger les choses en donnant de force « des cochons traditionnels » puis il
baptise la femme et lui donne le nom Susana. Cependant le grand chef regrette le départ de sa femme. Il envoie
ses guerriers attaquer la mission pour la reprendre. Le 30 décembre 1904, c'est l'émeute à la mission.
Les guerriers sont reçus à coup de fusil. Kavik, le frère du chef est tué.
Or, à moment-là le Père Prin reçoit l'ordre de quitter Namaram pour remplacer le père Suas à Lelsisi.
« Il n'aura le grand mérite de ramener la paix » écrit l'un de ses amis. Il demande qu'un missionnaire
soit envoyé à Loltong. En janvier 1905, c'est le Père Gonnet qui vient.
Au matin après l'oraison et de bonne heure, on dit la messe de communauté pendant laquelle le enfants font la
prière et récitent deux dizaines de chapelet, chacun à tour de rôle. Ensuite, catéchisme ou classe
pendant une bonne heure. Puis, un moment de repos, et vers huit heures on va au travail jusqu'à onze heures.
Vous voilà dirigeant une construction de case, une plantation de maïs, igname, cocotiers, etc, et cela au grand
soleil au risque de lafièvre. A onze heures, déjeuner et repos jusqu'à deux heures et plus quand il fait chaud.
Retour au travail. On rentre au coucher du soleil. Suivent les prières, les classes de chant et répétitions
pour les ignares.
On a comme aide des catéchistes venus, les uns de Fidji, les autres de Montmartre. Ils nous rendent de
grands services par leur dévouement et leur bon exemple. ».
Il va prendre la place du père Suas à Melsisi et le père Suas ira prendre sa place à Namaram.
Depuis ses débuts de missionnaire à Olal en janvier 1893, le père Suas « l'homme qui n'a peur de
rien » est habitué aux tragiques événements locaux. Il est la personnalité la plus forte de tous les
pionniers. Le père Prin n'est donc pas inquiet de lui confier cette mission malgré les rancœurs dans cette
région entre les païens et les catéchistes. Mais il est tout de même désolé de partir en pareils moments.
Jean Baptiste Prin connaîtra la raison de cette permutation bien des années plus tard : « Mgr Douceré
voulait mettre à Loltong le père Gonnet en résidence à Namaram. Sa grandeur nous fait permuter avec le père
Suas qui vient à Namaram quittant Melsisi où je vais le remplacer. Voici la raison donnée par Mgr Douceré au
père Gonnet de qui je la tiens. Je ne veux pas vous mettre avec le père Prin de peur qu'il ne vous monte la
tête et vous nuire. ». En réalité ce père supérieur refuse la cohabitation d'un jeune collègue avec le
père Prin.
Le jeune père Niel, effrayé d'être seul sur l'îlot de Vao, abandonne sa mission. Il est en envoyé à Melsisi
où il arrive le 9 mai 1905. Momentanément, le père Prin n'exercera pas seul.
La station de Melsisi est en plein essor. L'église est en construction. Les conversions, bien préparées par «
l'apôtre combattant » Suas, sont nombreuses.
Jean Baptiste Prin construit une grande maison de pierre pour les quarante-deux garçons de l'école. C'est au
moment de la terminer qu'il reçoit l'ordre de quitter cette station. Le père Suas supplie Mgr Douceré de ne
pas enlever de l'île le boiséen : il en connaît bien la langue. Malheureusement l'évêque ne veut rien entendre.
Le provicaire Rougé demande au père Prin de se rendre sur l'îlot de Vao pour occuper le poste abandonné par le
père Niel. Le provicaire a aussi rappelé le père Bochu de Port-Olry pour diriger Melsisi. Il ne se presse pas
d'arriver. Le Père Prin est bien embarrassé. Cependant le boiséen s'embarque pour l'île de Malakula.
Vao : Mission dangereuse. Jean Baptiste Prin arrive sur l'îlot minuscule le 24 décembre 1905. « Le père
Vidil y a laissé sa peau [il a été empoisonné] Le père Tayac a tenu deux ans.
Le père Jamond a semblé réussir mais on l'a enlevé. Le père Niel a craqué dès son arrivée. Et voilà maintenant
le père Prin qui ne restera que neuf mois. ».
A Vao un crime a été commis. Durant son court séjour, le père Prin enquête :
« Un certain Cochet, un « coprah-maker » installé sur j'îlot, est un homme brutal. Il se querelle avec tout
le monde et déjà il a essuyé plusieurs coups de feu sur les îlots du voisinage. Maintenant il est toujours en
dispute avec sa concubine Lema, une femme des Banks, jalouse de le voir poursuivre d'autres femmes.
Un jour la jeune femme disparaît. On la retrouve un beau matin sur la plage où le flot a ramené son corps, le
front fendu d'un coup de hache. Cochet accuse tout le monde et menace de fusiller tous les suspects. ».
Mgr Douceré est de retour d'Europe. A la retraite de septembre 1906 il décide de remettre chacun à sa place. Le
père Prin n'est pas renvoyé à Pentecôte mais à Nangire sur l'île d'Ambae où il a commencé (il en est sorti
depuis mai 1902) et le Père Jamond est renvoyé , en octobre 1906, sur l'île de Vao qu'il n'aimait jamais dû
quitter.