Histoire de Saint Jean de Boiseau

Construction des Indochinois



Les deux guerres mondiales et la main d'oeuvre coloniale asiatique

« la France s'honorera toujours de recevoir en son sein et sous ses drapeaux les soldats de la liberté qui viendront s'y ranger pour la défendre et, quelle que soit leur patrie, ils ne seront jamais étrangers pour elle »; (décret du 11 juillet 1792)

Cadre historique

Dès le début du XVIIe siècle, l'empire colonial français comprend une partie du Canada, la Louisiane, les Antilles, du Sénégal et des enclaves à Madagascar, en Inde et en Chine. Une partie de cet empire est perdu, au profit de l'Angleterre, par le traité de Paris en 1763 mettant fin à la guerre de sept ans.

Au XIXe siècle, une nouvelle expansion coloniale se fait jour. L'Afrique du Nord, l'Afrique équatoriale, l'Afrique occidentale, les Antilles, l'Océan Indien, la Polynésie et l'Indochine en constituent les principaux territoires.

Concernant l'Indochine (et en particulier l'actuel Vietnam) la Cochinchine devient colonie dès 1863. Le Tonkin et l'Annam passent sous protectorat entre 1882 et 1884.

Ainsi avec 110 millions d'habitants, l'empire colonial français est le deuxième du monde derrière l'Angleterre. Ce qui en fait un vaste réservoir de main-d'œuvre.

La première mondiale

Effectifs

Durant la Premlère guerre. modiale 90 000 Indochois, sur un total de près de 220 000, sont amenés en France (dont plus de la moitié en qualité de travailleurs). Un premier groupe de 40 ouvriers spécialisés arrive en 1915 à l'initiative du Directeur, de l'Aéronautique, suivi par des contingents de plus en plus nombreux d'ouvriers non spécialisés (O. N. S.), surtout en 1916 et 1917.

Ils sont organisés en groupements en fonction des travaux qui leur sont demandés. Ils sont d'abord affectés à des industries de guerres, des compagnies de chemin de fer puis à des travaux de creusement des tranchées et de « nettoyage » du champ de bataille.

A Indret

L'établissement d'Indret, comme beaucoup d'autres, a été mis à contribution pour « l'effort de guerre ».

A la déclaration de la guerre de 1914, la mobilisation initiale ne réduit tout d'abord qu'assez faiblement l'effectif. Mais 3 télégrammes vont rapidement changer les choses.
- 29 août 1914 : mise à la disposition du Ministre de la Guerre des classes de 1905 à 1910 de la réserve de l'armée active.
- 31 août 1914 : envoi aux arsenaux de Bourges, Tarbes et Tulle d'ouvriers appartenant aux mêmes classes.
- 02 septembre 1914 : ordre de compléter les effectifs par prélèvement sur les classes de 1900 à 1904 des ouvriers non indispensables à l'exécution des fabrications de guerre.

Ces ordres ont effet une diminution plus sensible des effectifs. Celle-ci est compensée par l'emploi de militaires dès la fin de 1914, d'ouvrières vers le milieu de 1915, d'Algériens et de Cochinchinois en 1917 et 1918.

Le maximum est atteint au 1er avril 1918 avec un effectif de 197 Cochinchinois. 99 d'entre eux arrivés au 1er janvier 1918 sont renvoyés fin juin de la même année. Par rotation des contingents, ils sont encore 118 présents au 1er juillet 1919.

On ne sait rien de leurs conditions de vie et de travail, mais on peut se faire une idée de la discipline qui * devait régner puisqu'un registre répertorie 25 ouvriers sur 99 ayant eu une punition. Le motif n'est jamais mentionné mais les punitions sont les suivantes :
- Réduction de solde à 0.50 F pendant 4 ou 6 jours.
- Placement dans un local d'isolement pendant 1 à 15 jours assortis d'une suspension de salaire, voire d'une demande de renvoi.
- De plus un ouvrier est décédé de la tuberculose à l'hôpital de Nantes le 02 février.

Ils sont logés à la Martinière, dans les locaux d'hébergement des ouvriers venus travailler à la construction du canal latéral à la Loire. ls doivent, par conséquent, faire plusieurs kilomètres pour se rendre au travail, sous l'encadrement d'un chef de camp.

Vous remarquerez que l'on parle de « chinois » et non « d'indochinois », mais on ne sait pas d'où ils venaient, ni ce qu'ils sont devenus.

Cette guerre a décimé la jeunesse ; ce qui peut expliquer le prolongement de séjour des contingents chinois et qu'ils ne soient repartis que presque un an après la fin du conflit.

Quelques-uns sont cependant restés en voici un exemple : Le 11 mai 1928, Li Hay, Indochinois né à Nomh-Dinh, venu en France comme ouvrier militaire pendant la guerre, vole sa logeuse, de Saint­Jean-de-Boiseau, madame Crémet de 300 francs. Arrêté avec l'argent sur lui, c'est un récidiviste, mais au tribunal, il accuse sa logeuse «d'être sa maîtresse qui se voyant abandonnée a cherché à se venger». Il est condamné à 5 mois de prison et 5 ans d'interdiction de séjour .Il se réfugie à Suippes (Marnes) comme chocolatier.

Ayant fait appel, le nouveau jugement le condamne, cette fois, à 13 mois fermes plus les cinq ans d'interdiction de séjour.

La deuxième guerre mondiale

Cadre législatif

L'appel à la main d'œuvre coloniale entre 1915 et 1919, bien que non prévu avant le conflit, est jugé positif . Les autorités décident alors de se doter d'un cadre législatif qui permettra, en cas de nouveau conflit, une levée en masse des travailleurs coloniaux.

Tout un arsenal de lois et de décrets est voté entre 1926 et 1938 pour régir l'existence, l'organisation et le fonctionnement des compagnies de travailleurs étrangers.

La M.O.I.et la D.T.I.

Sous ces sigles hermétiques se cache le service chargé de l'organisation et de la supervision des travailleurs étrangers. Le Service de la Main d'Oeuvre Indigène, Nord Africaine et Coloniale (abrégé en M.O.I.) dépend du Ministère du Travail et gère l'ensemble des travailleurs étrangers. Toutefois, progressivement, il ne s'occupe que des travailleurs indochinois. Il passe finalement sous la tutelle du Ministère des Colonies pour devenir la Direction des Travailleurs Indochinois (D.T.I.) par l'Ordonnance 45-1276 du 14 juin 1945.

Recrutement

Georges Mandel fixe deux objectifs à l'Indochine. Mobiliser la totalité des forces maritimes er morales de l'Indochine à une double fin, pourvoir à sa défense au plus degré sa sontribution à l'effort de guerre de la métropole. La question du recrutement dans les colonies est abandonnée aux autorités sur place.

Dès la déclaration de guerre le 29 août 1939, le Général Cartroux, Gouverneur Général de l'Indochine, fait opérer la levée de la main d'œuvre prévue par la Loi soit 100 000 hommes.

La mobilisation s'effectue dans un contexte relativement calme compte tenu de l'éloignement de la métropole.

Extrait de déclarations faites à la radio le 8 novembre 1939 par Georges MANDEL :
".. des ordres ont été donnés pour faire venir du Tonkin un premier lot de 70 000 ouvriers ; des centaines de milliers d'autres pourront suivre car ce n'est qu'un début. Il sera très aisé de lever, au fur et à mesure des besoins, de nouveaux contingents de soldats ou de travailleurs". Source : l'Illustration, l'Empire français dans la guerre - mai 1940

Volontariat ou réquisition ?

Dans un premier temps il est fait appel au volontariat parmi les hommes de 18 à 35 ans. Mais cela ne suffit à former que 10 % des contingents prévus. Les autres sont donc requis et assujettis au travail forcé. Les magistrats indigènes municipaux fournissent une liste des requis suivant des critères mal définis. Ils sont incorporés au fur et à mesure des possibilités de transports. La presque totalité des requis sont des agriculteurs travaillant dans les rizières venant d'Indochine, surtout du Tonkin et de l'Annam, protectorats français plus pauvres et plus peuplés. Le Tonkin fournit à lui seul, un quart des effectifs alors que la Cochinchine n'apporte qu'une faible contribution avec un millier d'hommes réquisitionnés. Ce déséquilibre du recrutement est à mettre en relation avec les différents liens coloniaux entretenus par la France avec les pays d'Indochine. L'administration de cette dernière n'est pas aimée, elle est formée par toute une hiérarchie de fonctionnaires. On y trouve les auxiliaires indigènes de l'administration française qui constituent, une nouvelle génération de notables avec la bourgeoisie des propriétaires fonciers. Intermédiaires entre la société coloniale et la masse des Indochinois, d'origine rurale. Ils sont les relais obligés du recrutement.

L'Enrôlement

Le maillon des lettrés ne représente que 10 % des volontaires. lls sont utilisés pour l'encadrement. lls ont tous le niveau d'études primaires et sont immédiatement promus interprètes et surveillants (un pour 25 travailleurs). Leur engagement est ressenti comme un signe de loyalisme et une sorte de malentendu s'installe entre les recrutés de force et les volontaires formant l'encadrement. Ces derniers voient dans leur venue en France une possibilité d'élévation de leur niveau culturel et la chance d'une promotion sociale, n'ayant pas jusqu'alors les moyens de se payer un tel voyage. Au rêve succédera rapidement le désenchantement.

Même si l'appel aux volontaires ne reçoit pas un franc succès, l'enroulement de force pas de résistance collective. Arrachés brutalement à les rizères, les requis illettrés, non initiés au travail industriel vivaient jusqu'alors dans un unvers, coupés de la société coloniale. Ces réquisitions ne représentent pas et de loin les meilleurs du village. Ce sont, le plus souvent, les rebuts de la société indigène ...recrutés avec les moyens que l'on imagine La réquisition doit être faite par écrit, sur un carnet à souche. Sur celui-ci devaient apparaître les noms, qualité, signature de l'autorité requérante, le nom de la personne requise, la durée, date et lieu de la réquisition.

Transport

Avant leur acheminement vers la France, les travailleurs sont regroupés dans des camps. Là, sous encadrement militaire, ils sont immatriculés, tondus, vaccinés et reçoivent un uniforme sommaire. Pendant l'attente qui pouvait durer plusieurs mois ils aprennent des rudiments de français et de métier militaire. Ils pouvaient obtenir quelques rares permissions.

Au moment de l'embarquement ils revoivent un premier équipement et de cuisine ainsi qu'une prime d'embarquement de piastres.

Le voyage dure de 3 semaines à 1 mois et demi. Sur les navires voyagent également des militaires français rejoignant la métropole. Les Indochinois sont systématiquement relégués en fond de cale, sur des bas flancs, souvent en compagnie du bétail prévu pour l'alimentation pendant la traversée.

Malgré tout, la plupart des voyages semblent s'être déroulés plutôt calmement mais dans des conditions difficiles surtout le plan sanitaire. On dénombra :
- 23 décès - 1disparition - 29 désertions - 33 hospitalisations aux escales.

Effectifs et répartition des travailleurs

Le nombre de travailleurs Indochinois prévu était de 100 000 hommes. Mais il n'est jamais atteint loin de là. Le manque d'encadrement, les réclamations des industries sur la qualification du personnel recruté et enfin le problème du transport font capoter cette vaste mobilisation.

Ces travailleurs sont groupés en Compagnies comprenant, en théorie, dix groupes de 24 travailleurs (soit 250 hommes) si possible originaires du même endroit : c'est la « compagnie d'origine ».

L'ensemble des Compagnies étaient regroupées au sein de 5 Légions qui se trouvent, dans un premier temps, à Marseille, Bordeaux, Toulouse, Sorgues et Agde. Certaines sont amenées à changer de lieu de siège en fonction du déplacement des travailleurs.