Histoire de Saint Jean de Boiseau

Les atterrissements (3/3)



Dans nos deux pages précédentes, nous vous avons décrit les premières conquêtes de nos ancêtres sur le « fleuve qui donne la vie au commerce de Nantes ». Les luttes consécutives à ces gains de terrains furent toujours très âpres. Ainsi François Guillet et Jean Monnier (voir encadré ci-contre) tentèrent dès 1788 de récupérer des terres gagnées sur la Loire. Ils firent immédiatement des plantations pour marquer leur propriété. De Martel, cessionnaire de cette parcelle par la communauté de Nantes, et informé dès les premiers jours de cette tentative de dépossession, réagit immédiatement, il prévint le Maire de la cité namnète et celui-ci jugea que « ce morceau ne contient peut-être pas un demi- journal actuellement, mais les conséquences en sont dangereuses, c'est pourquoi il conviendrait de se pourvoir  ». Les avoués de la communauté nantaise furent, illico, chargés de ramener à la raison ces deux pots de terre qui osaient affronter le grand pot de fer nantais. Mais ceci n'est qu'une anecdote parmi d'autres de cette grande conquête de l'ouest ligérien. La véritable affaire - pour nous boiséens - qui devait défrayer la chronique locale eut lieu à partir de 1839. Son cadre se déroula à Boiseau et plus précisément entre le bas du Port-Navalo et la rue du Port à Girard. Il mobilisa bien des énergies et coûta beaucoup d'argent à la collectivité, mais la terre était un symbole pour lequel on ne transigeait pas et qui valait la peine de tant de sacrifices.

En ce début du XIX° siècle, le fleuve ligérien continue donc à dominer la vie des populations autochtones. Il demeure toujours la voie de communication privilégiée. Pourtant les édiles locaux commencent à donner, sinon à la route, tout au moins aux chemins, un minimum d'attention, poussés en cela par « l'autorité supérieure » - entendue par là, la Préfecture -. Ainsi de 1832 à 1843, 12,89 % des délibérations du Conseil municipal de St Jean traiteront directement ou non de la voirie dont la moitié se rapporteront à des affaires de justice. C'est dire l'importance des problèmes qui seront soulevés à cette époque et l'intérêt que portent à la terre - ancienne ou fraîchement conquise - habitants et élus. Cette terre, même lorsqu'elle est conquise sur le fleuve, n'en est pas moins productrice d'intérêts et la pugnacité de quelques riverains amènera ces luttes fratricides entre municipalité et particuliers ou entre particuliers entre eux. Le principal tort des élus locaux de l'époque aura été de ne pas avoir affirmé avec suffisamment de force que les nouveaux terrains situés au bas de Boiseau créés par et pour la collectivité grâce à la construction de la digue d'Indret ne pouvaient appartenir à quelques individus même si ceux-ci avaient participé à cette oeuvre et pouvaient avoir des parcelles contiguës. L'extension subite des terres ne pouvait être considérée comme une alluvion naturelle qui aurait donné des droits aux riverains mais bien comme une conséquence de cette laborieuse conquête territoriale conçue pour le bien de la collectivité.

Le début de l'affaire :

Nous sommes donc le 12 août 1838 lorsque notre Conseil municipal apprend de la bouche de son maire que trois boiséens, Louis Averty, Jean Legris et Jean Bertreux viennent d'être assignés en justice par plusieurs habitants de Boiseau : MMrs Fradet père, Chesneau Pierre, Chiché Pierre, Josse Pierre, Prin Julien et Chesneau Guillaume. Que leur reproche-t-on ainsi ?

Sachez d'abord que « En 1770, l'île d'Indret complètement environnée d'eau et séparée de la commune de Saint Jean de Boizeau par un bras de Loire fut l'objet de travaux importants. Une chaussée joignit Indret à Saint Jean de Boizeau et coupa ainsi le bras de Loire. (En fait cette digue existait déjà en 1762). Cette opération en forçant les eaux à chercher un autre lit et une autre direction donna naissance à des atterrissements et la future propriété de ce terrain fut l'objet de transactions entre la commune de Nantes et quelques propriétaires parmi lesquels on rencontre MMrs d'Aux et de Martel. Vis-à-vis le village de Boizeau il s'est formé un atterrissement par suite de la digue dont on vient de parler. La commune y a fait des travaux de canalisation et elle a maintenu avoir autorisé quelques habitants à y planter des arbres. D'autre part, divers propriétaires ont, dès 1809, revendiqué ces atterrissements à titre d'alluvion formée en face de leurs propriétés riveraines de la Loire et débordées à cette rivière par leurs anciens titres. Le 12 décembre 1837, ils ont obtenu du Préfet de la Loire-Inférieure et sur leur demande dénoncée à la commune de Saint Jean de Boizeau l'autorisation de planter et d'inclore le terrain en laissant le chemin de halage  ».

Les trois coaccusés ont, sur injonction des autorités communales, «  détruit des plantations existant sur les terrains litigieux ». Bien que ces faits soient contestés par les coaccusés et la mairie, c'est la version qui sera retenue en 1843. Ainsi donc, nos six plaignants clament leur indignation d'avoir vu détruire les jeunes plantations qu'ils venaient d'effectuer. Ces terrains sont notre propriété, affirment-ils, et non celle de la commune ou de ces trois personnes, la meilleure des preuves n'est-elle pas le fait que les terrains litigieux sont tout contigus à nos terres?

Nos édiles locaux réagissent donc sur la tentative de dépossession de ces alluvions vu :

« 1°) Qu'avant qu'elles se fussent formées au-dessous du village de Boiseau, il y existait une plage commune à tout le monde tant pour y faire la pêche que pour le débarquement des marchandises et le mouillage des bateaux et navires.
2°) Qu'il y a toujours eu un chemin conduisant au port de l'étier au jalon de vigne lequel chemin sépare les alluvions des propriétés des demandeurs.
3°) Que la commune a des titres, tels que descente d'Ingénieurs des Ponts et Chaussées et arrêtés de Préfecture qui ont toujours condamné les sieurs Fradet et consorts
4°) Enfin qu'elle a toujours joui de ces alluvions de­puis soixante ans sans interruption aucune tant en y plantant des arbres qu'en les faisant pa­cager 
».

Qu'en est-il exactement de toutes ces affirmations ?

C'est paradoxalement le point 3 qui paraît le plus curieux car s'il est exact que la commune connaît bien le « sieur Fradet » - plusieurs procès les ont opposés ces dernières années - elle devrait s'en méfier car celui-ci, à plusieurs reprises, a eu gain de cause et obtenu des dommages-intérêts parfois très importants. Pourtant toute l'ambiguïté de la situation n'est pas là.

Ainsi, selon les dires de nos responsables locaux, s'il existait un chemin au bas de Boiseau sur le bord du fleuve, une enquête menée dans les mois suivants et ordonnée par le tribunal de Paimboeuf fera apparaître qu'il ne reste que « quelques traces d'un passage presque impraticable, beaucoup trop incertaines pour établir l'existence du chemin » et qu'il est établi « qu'un ancien passage devenu depuis longtemps entièrement impraticable aux char­rettes, existait au moment où les alluvions ont commencé à se former le long des propriétés des demandeurs, sur le rivage de la Loire, il résulte aussi des dépositions de plusieurs témoins, qui viennent ainsi jeter le plus grand jour sur la question, que ce passage avait lieu sur la grève, dans le lit même du fleuve à marée basse, et sur un terrain qui ne pouvait en aucune manière appartenir à la commune ». Or, ajoutent nos magistrats paimblotains, compte-tenu du fait que les marées du fleuve inondaient deux fois par jour ces rives et qu'on ne peut considérer « comme chemins les grèves du fleuve ou de la mer que l'on peut parcourir partout, à marée basse, avec boeufs et charrettes », la commune ne peut revendiquer des terres qui appartiendraient donc à l'Etat.

Diantre, l'Etat serait-il mêlé à cette affaire ?

Rassurons-nous, ce n'est pas encore le cas, mais cela viendra. En effet le Code Civil qui, sur ce sujet du moins, avait recopié mot pour mot le code Napoléon, spécifiait dans son article 560 que « Les îles, îlots, atterrissements qui se forment dans le lit des fleuves ou des rivières navigables ou flottables, appartiennent à l'Etat, s'il n'y a titre ou prescription contraire ». Quatre articles auparavant, il était également mentionné « L'alluvion profite au propriétaire riverain, soit qu'il s'agisse d'un fleuve ou d'une rivière navigable, flotta­ble ou non; à la charge dans le premier cas, de laisser le marchepied ou chemin de halage, conformément aux règlements ». Toute la nuance résidait donc dans la définition de l'alluvion. C'était simple, du moins en apparence, il suffisait pour cela que les atterrissements et accroissements « se forment successivement et imperceptiblement aux fonds riverains d'un fleuve ou d'une rivière ». Mais le législateur, soucieux d'être irréprochable, éprouvera toutefois le besoin de rajouter ... 24 alinéas supplémentaires à cette définition pour tenter d'être le plus précis possible. Les choses étaient donc beaucoup plus compliquées qu'on aurait pu le croire de prime abord.

D'autant plus que si la commune pouvait se vanter de disposer de documents prouvant le bien-fondé de ses revendications, l'avenir montrera que mémoires des élus et archives feront cruellement défaut lorsque le besoin s'en fera ressentir.

Mais n'anticipons pas et reprenons le cours des choses.

Me Besnard de la Giraudais se verra confier la tâche de défendre, le 12 juillet 1839, la cause de nos trois coaccusés et par-delà, celle de la municipalité. Il faudra attendre presque un an pour que le tribunal de Paimboeuf se prononce sur ce sujet. Puisqu'il admet le fait que les terrains litigieux se soient formés d'une part, très lente­ment et, d'autre part, sur les rives du fleuve et non dans son lit, le caractère d'alluvion ne présente donc pas le moindre doute à ses yeux. En outre, « le Préfet qui a été saisi plusieurs fois de la question, puisque divers arrêtés du Conseil de Préfecture ont servi au procès, et notamment celui qui autorise la commune à plaider, n'élève cependant aucune prétention dans l'intérêt de l'Etat », l'affaire lui paraît suffisamment limpide. Toutefois cette opiniâtreté de la municipalité à mentionner l'existence de ce chemin en bordure de rivière demeure suffisamment troublante pour que, deux précautions valant mieux qu'une, une enquête soit ordonnée pour constater de visu l'existence ou non de ce moyen de communication. C'est celle que nous avons évoquée plus haut. Las, comme nous venons de le voir, cette voie faisait plutôt figure de fantôme et n'apportera aucun appui à nos élus locaux .

Notre Conseil municipal sent bien au travers de ce verdict que la cause est loin d'être gagnée et le bel optimisme des débuts commence à s'étioler. Il prépare sa contre-attaque et le 25 mars suivant, ayant « suite et diligence de son maire » étudié son affaire, il délibère en séance pleinière et considérant que ces atterrissements sont une conséquence directe de l'établissement de la chaussée qui reliait l'île d'Indret à la berge et qu'il « était si bien prévu qu'avant même que les travaux de cette digue fussent commencés la commune de Nantes cessionnaire titrée disposait déjà des atterrissements, îles dont l'existence devait nécessairement être la conséquence des travaux connus et entrepris », il axera sa défense sur le thème qu'on ne peut comparer cet atterrissement à une alluvion telle que la loi l'a prévue puisque celle-ci doit sa naissance au cours du fleuve, que sa formation est imperceptible, alors que « le terrain réclamé par Fradet s'est instantané­ment formé et ne doit son existence qu'à un travail de main d'homme ».

Ce sera la Cour royale de Rennes qui, le 4 février 1841, confirmera le jugement de Paimboeuf. Les choses pourront reprendre leur cours normal et la décision définitive après l'enquête ordonnée va pouvoir être prise.

La justice humaine présente souvent cette particularité de prendre son temps, peut-être veut-elle bien penser son affaire et ne prendre une décision qu'après mûre réflexion ? Toujours est-il que le juge Lagarde chargé d'effectuer l'enquête sur l'existence ou non de ce chemin qui pourrait tout changer effectuera celle-ci du 31 mai au 3 juin 1841. Ayant quitté Paimboeuf à 9 heures du matin par le bateau à vapeur, il accostera à Indret à midi pour se rendre immédiatement à Boiseau.

Les témoignages sur les lieux :

De ce long document regroupant 85 pages manuscrites, 3 chapitres principaux s'en dégagent:

- la visite des lieux pour y effectuer le constat
- l'audition des trente témoins présentés par les défen­deurs
- l'audition des huit té­moins des demandeurs.

Voyons tout d'abord la description des lieux qui en est faite : «  L'extrémité vers couchant du terrain dont il s'agit offre la trace d'une voie qui ne se prolonge pas, dans cette direction, sur un terrain ayant l'apparence d'un pré marais, et qui se poursuit au loin entre une garenne et le fleuve de Loire; sur notre interpellation, les parties s'accordent à reconnaître que cette lisière de pré marais appartient à des personnes qui l'ont achetée du gouvernement ou de la commune de Nantes et non aux propriétaires du terrain supérieur, ou garenne bordant vers midi ce pré marais. A cette même extrémité du terrain contentieux se voit une jetée ou chaussée en pierres, faite de main d'hommes, à laquelle les parties par nous interpellées, donnent le nom de Chaussée du Jalon de Vigne ; quelques-uns prétendent cependant qu'on l'appelle la Perche ou la Chaussée. La voie dont nous avons parlé a une largeur d'environ un mètre cinquante centimètres, elle suit le long de la garenne ci-dessus mentionnée et dans une longueur d'environ trente-quatre mètres une direc­tion sinueuse; à ce point se trouve un rejet de terre fait dans une direction perpendiculaire au sentier et aboutissant au fleuve.

En poursuivant ce sentier, après un parcours d'environ soixante mètres, on arrive à un abreuvoir creusé sur le terrain litigieux, à gauche du sentier et que les parties s'accordent à reconnaître comme servant à la généralité des habitants. Au de­là de cet abreuvoir et le joignant, se trouve un terrasse­ment d'environ vingt mètres de largeur, bordé de deux douves qui aboutissent à la Loire; ce lieu a nom Port-Navaleau. Dans tout le parcours qui vient d'être décrit nous ne remarquons aucune trace de voiture ou charrette. Au delà de ce point, la voie se poursuit vers le levant, dans une longueur d'environ deux cent quatre-vingt sept mètres et vient aboutir au lieu-dit le Grand Etier de Boizeau. Ce dernier parcours peut être divisé en trois parties, la première d'environ soixante quatre mètres est comprise entre le Port Navaleau, ci-dessus mentionné et le port dit à La Veillette; la se­conde, d'environ quatre-vingt trois mètres, comprise entre ce dernier port et celui dit à Gérard et vient aboutir au Grand Etier de Boizeau, cette dernière a environ cent quarante mètres. A partir du Port Navaleau et en continuant sur le Grand Etier de Boizeau, il existe sur la droite, beaucoup de maisons ayant presque toutes des ouver­tures conduisant sur le terrain litigieux; cependant l'une de ces maisons qui paraît fort antérieure n'a aucune ouverture de rez de chaussée ayant aspect sur ce terrain ». Un peu plus loin nous trouvons encore : la partie du sentier située entre le Port Navaleau et le port à Gérard présente un terrain surélevé par le rejet assez récent des terres prises à droite et à gauche. Nous avons fait mettre à nu sur plusieurs points le sol ainsi recouvert pour en étudier l'ancien établissement. Cette opération n'a point fourni d'indications suffisamment satisfaisantes. Sur quelques points le sol manquant d'un fond solide, les demandeurs ont prétendu que cela devait être attribué au déplacement du chemin qui pour sa rectification avait été éloigné des maisons dans cette partie. Ayant fait faire des sondes sur plusieurs points du sol où avait existé le chemin avant la prétendue rectification, nous avons trouvé le sol solide ».

Cette visite demanda cinq heures, ce n'est qu'après que l'appel des trente et un premiers témoins fut effectué (un seul absent motivé pour cause de maladie). Toutes ces personnes sont tenues de se présenter le lendemain matin à 6 heures pour déposer. Cette longue audition se fera en présence des trois coaccusés, des six plaignants et de leurs avoués « dans une chambre située au village de Boizeau, et dont la fenêtre ouvrait sur le terrain contentieux ».

Avant d'effectuer la synthèse de leurs témoignages, faisons au préalable trois remar­ques :

- 1°) La moyenne d'âge des personnes : près de 64 ans et demi pour les témoins des accusés et près de 64 pour ceux des plaignants. Sur les 38 présents, seuls deux ont moins de 40 ans, 10 d'entre eux ont plus de 70 ans. Une règle absolue se dégage d'emblée. Ils font tous appel à leurs souvenirs aussi lointains que possible. Les doyens n'hésitent pas à remonter 70 ans en arrière. N'oublions pas que nous sommes en 1841, certains de ces témoignages remontent donc à plus de quinze ans avant la Révolution.
- 2°) leur situation géographique. Si 9 d'entre eux sont hors commune (6 de Brains, 1 de St Léger, 1 du Pellerin et le dernier de Machecoul), les autres sont bien boiséens et leur vaudra d'être « reprochés  » par l'avoué des plaignants sous prétexte qu'ils peuvent avoir intérêt à formuler des propos favorables à la collectivité.
- 3°) leur situation professionnelle. Indubitablement, la condition paysanne l'emporte: 17 laboureurs et 5 cultivateurs. Pour se partager les 8 autres professions, nous trouvons 3 propriétaires (profession peu courante, du moins de nos jours), 2 marchands de nattes (traduisez : de courtines), 1 commissionnaire, 1 horloger et 1 tisserand.

Quant à la teneur de leurs propos, Tous s'accordent à dire que de tout temps, ils ont connu l'existence et la fréquentation assidue de ce chemin. Les quelques divergences qui peuvent apparaître - encore sont-elles minimes - concernent l'utilisation qui en était faite sur la partie comprise entre « le Port Navaleau et le Port à Gérard ».

Ce chemin, s'il est toujours présent, dans les souvenirs, n'offrait pas les mêmes possibilités dans tous ses parties. Ainsi si le tronçon compris entre l'Etier de Boiseau et le « Port à Gérard » a toujours été praticable « avec charrettes attelées de boeufs ou chevaux », la partie sise entre ce dernier et le « Port Navaleau  » ne fait pas l'unanimité. Plusieurs attesteront qu'il n'y a jamais eu de charrettes lourdement attelées sur cette portion alors que d'autres affirmeront le contraire. Par contre entre Navalo et la « Chaussée du Jalon des Vignes », l'accord se fait de nouveau. Au-delà, c'est-à-dire, un peu plus à l'ouest, il semble qu'il n'y ait plus de voie praticable: « Sur interpellation, le témoin a dit ... qu'à sa connaissance c'est au moyen de bateau que la récolte des prés qui existait au couchant du chemin dont il s'agit est enlevée, le terrain a vu quelquefois les propriétaires de ce pré enlever leurs charges de foins par le chemin dont est cas, mais il croit qu'il existe une douve qui ne permettait pas qu'on se servit de charrettes pour cet enlè­vement ».

Tous diront que ce moyen de communication a été en bien meilleur état qu'aujour­d'hui, «  il était alors plus large et plus solide qu'il n'est aujourd'hui, le sol était recouvert d'un gravier semblable à celui qui se voit devant la Basse-Indre. Bien que le chemin soit devenu moins facile par le dépôt des vases, les habitants l'ont toujours passé parce qu'ils ont porté des pierres dans les plus mauvais endroits ». Ainsi donc des réparations durent être réalisées pour améliorer son état « J'ai vu faire par les habitants du village des réparations, il y a plus de quarante ans, à la chaussée en pierres du jalon des Vignes; j'ai vu aussi les habitants faire des réparations au chemin entre le jalon des Vignes et le port Navaleau et dans la partie la plus rapprochée de ce dernier lieu. Ces réparations ont été faites presque annuellement. Depuis plus de quarante ans elles se faisaient par les habitants spontanément et sans intervention de l'autorité ». D'autres témoins diront que ces dernières années les réparations se faisaient toujours mais dé­sormais sur ordre du maire.

Cette voie carrossable dut par endroits être entièrement reconstituée: «  Je me rappelle qu'étant encore enfant, je vis un jour beaucoup de monde réuni sur le terrain contentieux ; m'y étant rendu, je reconnus que l'on était occupé à planter des pieux dans le sol à environ dix mètres des maisons, entre le port à la Veillette et le port Navaleau; le terrain était alors moins étendu qu'il ne l'est aujourd'hui; on me dit que ce travail se faisait sur l'ordre de Mr de Martel, père de Mme de Kersabiec; à ce moment même passait une charrette sur le lieu, mais proche des maisons du bourg; le sol à ce lieu avait l'aspect d'une grève, on y voyait déjà des dépôts de vase ». La section du Jalon des Vignes fut, elle, créée de toutes pièces: « La Chaussée, il y a quarante-six ans, ne consistait qu'en un amas de pierres d'un accès fort difficile ».

Situé au bord du fleuve ce chemin subissait les aléas des marées et n'a pas toujours été praticable, ainsi « Les grandes marées couvrent souvent le chemin dont il s'agit, et il lui est arrivé d'avoir en le parcourant, de l'eau jusqu'au ventre des boeufs » notera le magistrat enquêteur à propos d'un témoin. Cette annotation se trouve confirmée par une autre personne qui spécifie : « A cette époque le service de la douane ne se faisait qu'à la basse-mer parce que les hautes marées couvraient le chemin, maintenant ce service se fait tout le jour sur ce chemin à côté duquel on peut voir la guérite du douanier proche la Chaussée du Jalon des vignes ».

Lorsqu'on examine le plan d'ensemble du cadastre réalisé en 1836 (continuellement mis à jour dans les décennies qui suivirent), aucune voie n'apparaît en bordure du coteau de Boiseau, par contre les rues du Port à Girard, de la Paix, et du Port-Navalo descendent bien jusqu'en bordure des alluvions. Ces indications ne sont pas tout à fait confirmées par les plans de 1841 et 1846 joints aux pièces des procès intentés car :
- sur celui de 1841 consernant le secteur compris entre l'Etier de Boiseau et le port de la Veillette, situé exactement en face de la rue de la Paix, cette dernière ne figure pas et le chemin du bas de Boiseau ne figure pas sous cette mention mais sous celle de« partie réservée du commun », qui, il faut le remarquer, est coupée par les deux ports mentionnés.
- sur celui daté de 1846 et qui fut en fait relevé le 16/05/1845 (après un décalage de 2 semaines dû à une forte marée), aucune mention de chemin n'apparaît. Seules les propriétés des six plaignants apparaissent avec en prolongement la part des atterrissements acquis.

Après avoir terminé cette première audition le 2 juin à trois heures du soir, il fallut entendre les parties présentées par les plaignants. Comme on pourrait s'y attendre, les propos tenus ne furent pas du même acabit. Tout d'abord il est à noter que les témoins présentés proviennent d'horizons divers: 3 de St Jean, 2 de Nantes, 2 du Pellerin et 1 de Frossay. Cela provient sans doute du fait que cinq d'entre eux sont douaniers en activité ou en retraite ayant exercé leurs fonctions dans notre commune.

Pour eux, il n'y a jamais eu de charrettes circulant parallèlement au fleuve, donc sur le chemin en question. Les véhicules venaient directement par les rues qui descendaient aux ports et se contentaient de traverser la voie. Plusieurs diront qu'il ne s'agissait pas d'un chemin digne de ce nom: «  ce prétendu chemin qui, suivant moi, n'en est point un et qu'il n'en avait nullement l'apparence à l'époque dont je parle, c'était une sorte de vasière » ou bien encore « ce chemin ne m'a jamais paru être un chemin ». La palme revient certainement à cet homme qui «  ne résidait point habituelle­ment sur les lieux; mais que chaque année il y passait huit, quinze jours ou un mois » et qui témoignera ainsi : « j'affirme que depuis plus de quarante ans, je n'ai jamais vu de chemin entre cette propriété et la rivière; on n'a ja­mais pu passer avec chevaux ni charrettes attelées; la chose eut été impossible, le sol avait trop peu de solidité, les roues des charrettes y fussent entrées jusqu'à l'essieu; on ne peut pas qualifier chemin un sentier sur lequel quelques piétons passaient à grand peine et en sautant d'une pierre sur l'autre ». La mauvaise foi de ce témoin paraît évidente lorsqu'on l'entend prononcer les propos suivants: « il ne connaissait point de chaussée ayant nom de Jalon de Vigne; que cette chaussée dont nous lui indiquons avec précision la position, a dû être établie depuis cette vente, c'est-à-dire depuis quatorze ans, puisqu'il ne l'a jamais connue, n'étant pas revenu depuis la dite époque ». Le témoin suivant - brigadier des douanes - lui apportera un flagrant démenti en mentionnant: « Dès mil huit cent vingt trois, il y a dix-huit ans, la guérite de l'employé des douanes était placée où on la voit encore aujourd'hui, proche la chaussée du Jalon de Vigne; cette chaussée, qui depuis a été élevée, était toutefois déjà très apparente et en assez bon état; c'était le point où s'opéraient les débarquements de marchandises à la mer basse ».

C'est le 3 juin à cinq heures du matin que l'audition reprit pour que notre juge puisse reprendre le bateau de bonne heure. On l'attendait en effet en fin de matinée à Paimboeuf pour assumer ses fonctions dans une autre affaire. Les conclusions qu'il formulera et que nous avons évoquées plus haut sont catastrophiques pour la cause municipale. Appel sera donc interjeté dès le mois de juillet 1840 pour tenter d'annuler la décision paimblotine relative à cette en­quête.

Les différents appels et jugements :

Ironie du sort, c'est le 4 février 1842, soit exactement un an après le jugement rennais, qu'avoués et avocats se retrouveront confrontés aux juges. Il ressortira essentiellement de ces plaidoiries que :
1°) l'existence du chemin n'est pas reconnue à la date du litige, 2°) les titres fournis par la municipalité ne font pas ressortir qu'il existait depuis plus de trente ans, ce qui aurait pu entraîner une prescription et redonner un droit à la communauté. En outre, les titres présentés n'ont trait qu'aux alluvions qui servent à ce moment de port aux habitants de Boiseau et appartiennent de façon notoire à la commune et ne sont donc pas l'objet de l'affaire jugée,
3°) l'ancien passage qui était submergé à chaque marée ne peut être reconnu comme voie de communication et n'aurait de toute manière pu appartenir à la commune mais bien à l'Etat alors que ce dernier se garde de toute revendication.

St Jean de Boiseau sera donc débouté de toute prétention sur les terrains litigieux et l'attribution en sera offerte aux demandeurs « chacun pour un espace correspondant à la face de leur propriété ». Ces derniers « : troublés dans leurs possessions et dans leur propriété » réclameront 3000 F de dommages-intérêts. Dans l'impossibilité d'estimer ces biens le tribunal, accordera cette somme « encore bien qu'elle puisse paraître exagérée  » mais donnera à la commune le droit de faire expertiser ces territoires si bon lui semble.

Il faudrait mal connaître la pugnacité de nos édiles locaux pour croire que l'affaire allait être close aussi rapidement. Un mois et demi plus tard, soit le 18 mars, le Conseil municipal, lors de sa séance étudie un plan de 1780 dressé à la demande de Monsieur d'Aux par Ogée, géographe nantais. Ce document fait apparaître « un vague au-dessous du village de Boiseau depuis le Port-Navalo jusqu'à l'étier de Boiseau et qui était considéré à l'époque comme un chemin qui sépare l'ancienne propriété de l'atterrissement ». Hardi les coeurs, il n'en faut pas plus pour redoper les volontés quelque peu ébran­lées et notre conseil demande à son maire d'effectuer les démarches pour intenter un second appel.

Celui-ci demande donc l'autorisation nécessaire à la Préfecture. Ne voila-t-il pas que le 11 juin, le Conseil de Préfecture estimera que la décision paimblotine portait sur une question de fait et qu'il n'y avait pas lieu de penser qu'elle puisse être réformée par la cour royale de Rennes. En outre, dans son infinie sagesse, le tribunal n'a-t-il pas laisser à St Jean le droit de faire expertiser le dommage subi par ses adversaires. De quoi St Jean se plaint-il donc ? L'autorisation d'interjeter appel lui est donc refusée !

L'affaire est donc bien mal engagée. La première réaction sera de dédouaner les trois coaccusés de toute responsabilité. La municipalité reconnaîtra dans une délibération « que c'était à tort que les sieurs Averty Louis, Bertreux Jean, Legris Jean avaient été mis en cause attendu qu'ils n'avaient agi que par ordre du maire et au nom de la commune et qu'ils n'avaient aucune prétention sur l'atterrissement et il a été décidé que la commune seule était responsable, qu'elle seule avait des droits au commun, qu'elle seule a dû être attaquée par les riverains; enfin (elle) met hors de cause les sieurs Averty Louis, Bertreux Jean, Legris Jean ».

Toujours aussi résolus à faire valoir leurs droits, les élus boiséens, le 2 août suivant, feront ressortir que de nouvelles pièces ont été trouvées qui font mieux apparaître le bien-fondé de leurs revendications. En conséquence, la loi (celle du 18 juillet 1837) le leur permettant, ils formuleront un troisième appel, cette fois-ci vers le Conseil d'Etat, pour faire annuler le refus préfectoral. Deux jours plus tard, la cour de Rennes prononce par défaut, St Jean n'ayant pu se présenter, un arrêt confirmatif de celui de Paim­boeuf.

Ce troisième appel sera formulé le 2 septembre et ne sera formalisé que le 18 novembre. Hélas, la loi prévoyait un délai de trois mois pour qu'il soit recevable. Le 3 mars 1843, la cour de Rennes ne retiendra que ce retard dans l'établissement du dossier pour déclarer la commune non recevable et la condamner aux dépens. Me Hommay, avoué rennais qui défendait la cause boiséenne est en rapport avec Me Rigaud, avocat à la cour de cassation de Paris et cherche une issue à ce qui semble être une impasse. Ce dernier utilisera toutes les subtilités que lui permet la loi et trouvera le moyen de faire casser cet arrêt rennais. En avril 1843, la note de frais consécutive au second appel auquel St Jean n'avait pas été autorisé à plaider tombait : 229,88 F seraient à débourser. Dix-huit jours après, seconde note de frais pour la cession de Paimboeuf du 4 février 1842: 689,41 F. A la date du 15 juin 1844, Bertreux, huissier près le tribunal de Paimboeuf adressait une sommation se montant à 1238,70 F pour ces différents frais, à régler dans un délai de 24 heures sous peine d'être « contraints chacun pour sa part par toutes les voies et rigueurs de droit et notamment par la saisie en exécution de tous leurs biens meubles, le tout sans préjudice des droits de mes requérants contre la commune de Saint Jean de Boizeau et sous la réserve expresse de dommages-intérêts dus solidairement par les dites parties à mes requérants et de tous frais non encore liquidés qui leur seront également dus par les mêmes parties, dont acte ». On ne badine pas avec ces choses là.

Mais nous n'en sommes pas encore là, que croyez-vous que firent nos élus après avoir eu connaissance des deux grosses sommes qu'ils connurent en avril 1843 ? Le 10 mai, ils délibèrent :
« Le Conseil après avoir examiné attentivement le jugement en question considérant que la commune a toujours joui sans interruption du susdit commun jusqu'au commencement du procès, qu'elle en a payé les contributions depuis la formation des matrices cadastrales jusqu'à ce jour. ».

Vu ..... ..... .....
Le Conseil est d'avis à l'unanimité de se pourvoir devant la cour de cassation contre le jugement rendu le 16 mars dernier par la cour royale de Rennes qui a outrepassé (suivant l'avis du conseil municipal) ses pouvoirs en jugeant de la validité du pourvoi formé par la commune le 2 aôut 1842 ». Et nous voici repartis pour un quatrième appel !

Entre temps, le Conseil d'Etat avait débattu du problème boiséen et, comme nos élus n'en avaient jamais douté, désavoué le Conseil de Préfecture. Le 31 mai, notre commune est donc autorisée par la plus haute autorité nationale à reprendre le procès originel de Paimboeuf auprès d'une cour aux pouvoirs plus étendus. Tout ceci, comme nous venons de le voir, n'est pas gratuit. St Jean devra donc vendre des terrains (pour une valeur de 2000,00 F) afin d'honorer ses dettes.

On se souvient de la condamnation de 3000,00 F prononcée en février 42 suite à «  la demande qui en a été faite, encore bien qu'elle puisse paraître exagérée  ». Le tribunal avait admis que cette indemnité puisse être estimée par des experts, St Jean ayant opté pour cette solution, c'est en février 1845 que le tribunal de Paimboeuf nommera les experts chargés d'apprécier la somme due par nos trois coaccusés à leurs plaignants. Ce seront Drumel, géomètre à Nantes, Delétang notaire pellerinais et Veillechèze médecin et propriétaire en la même com­mune. Ceux-ci se rendront sur le site le 2 avril, ils rencontreront naturellement les avoués des parties ainsi que MMrs Averty, Prin, Josse et Chiché. La première question qui fut évoquée fut de savoir si les dommages- intérêts s'appliquaient uniquement aux troubles apportés ou si d'autres réclamations seraient faites par les demandeurs. Ceux-ci ne manquèrent pas de rappeler que des arbres avaient été arrachés et qu'ils réclamaient une indemnité pour ceux-ci. Ces arbres abattus avaient servi à confectionner de petits ponceaux sur les douves avoisinantes et avaient donc eu une fin utile pour la collectivité. Nos plaignants eurent alors la courtoisie de retirer leur de­mande. Il n'est pourtant pas exclu que les négociations prirent la tournure que nous appellerions de nos jours "de marchands de tapis" puisque l'on trouve dans le rapport effectué: « Enfin aucune autre réclamation sérieuse n'ayant été faite », cette phrase annonce la demande de fixation de la date à partir de laquelle les dommages-intérêts seraient dus.

C'est un arriéré de « quatre années sept mois vingt et un jours » qui sera dû aux plaignants. A raison de 110,00 F l'hectare par an, la totalité des terres en cause mesurant 175 ares et 20 centiares représente donc une somme de 894,40 F sans compter les frais d'établissement des plans, les vacations des experts et les frais de justice. En mai 1846, le tribunal de Paimboeuf homologuera le rapport des experts en allongeant encore un peu la durée durant laquelle les indemnités doivent être calculées, ce qui augmentera l'addition.

L'affaire Mauclerc :

Un malheur n'arrive jamais seul, c'est bien connu. Deux mois plus tard, le sous-préfet avise le maire que Me Maugast, avocat à Nantes, a l'intention de mander la commune de St Jean devant les tribunaux afin de réclamer au nom des époux Mauclerc, demeurants au château d'Asson à la Boissière près de Montaigu en Vendée, « le droit à la propriété de tous les terrains qui sont atterris sur la cote septentrionale de la commune depuis le ruisseau de Roche-Ballue jusqu'à la chaussée du Port-Navalo ».

Ces derniers, héritiers du comte d'Aux, réclament donc une grande partie des terres boiséennes en bordure du fleuve. Il n'en faudra pas plus pour qu'une véritable levée de boucliers s'opère sur notre commune. C'est la raison pour laquelle, le 27 novembre 1846, le tribunal de Paimboeuf examine la liste des ... 34 défendeurs qui se trouvent opposés à « Victor Xavier Esprit de MAUCLERC propriétaire et dame Louise Pauline Désirée de LINIERS, son épouse  ». Dans cette liste, nous y trouvons naturellement la commune de St Jean, mais, ironie du sort, à ses côtés nous constatons la présence des six plaignants de l'affaire qui traîne depuis 1839. C'est le 16 juillet suivant que Paimboeuf tranchera - du moins momentanément - cette affaire dans laquelle l'Etat, représenté par le Préfet, est désormais partie prenante. N'est-ce pas lui qui, successeur des rois de France qui ont cédé des terres conquises sur le fleuve à la communauté nantaise et que celle-ci a, en partie, rétrocédé par la suite à des particuliers, risque de subir un précédent fâcheux si les époux Mauclerc obtenaient gain de cause ?

Ce jour-là, les magistrats considéreront que :
1°) Les concessions faites par le roi et la communauté nantaise avaient pour but essentiel d'améliorer la navigation dans le fleuve et que des obligations y étaient formulées (constructions d'ouvrages d'art, plantations etc...),
2°) « les alluvions qui se forment d'une manière insensible aux fonds riverains, n'étaient et ne pouvaient être l'objet des dites concessions »,
3°) « qu'en cette partie aucun ouvrage d'art, aucune plantation n'a eu lieu de la part des concessionnaires », qu'en outre, il faut bien admettre que les terrains revendiqués se sont formés « successivement et imperceptiblement » et sont donc bien des alluvions et non pas des atterrissements,
4°) qu'un canal « qui devait avoir vingt-trois mètres, trente-trois centimes de largeur » devait être creusé « depuis la digue d'Indret le long de Boizeau et jusqu'à l'extrémité occidentale de l'île Saint-Jean », que ce dernier n'avait jamais fait l'objet du moindre début de travaux,
5°) et surtout qu' « il est maintenu par les défendeurs que les conditions auxquelles les atterrissements auraient été concédés aux demandeurs  (les époux Mauclerc)   par la transaction de dix sept cent quatre-vingt neuf n'ont pu être observées: qu'ainsi les plantations, le paiement de la rente de cinquante livres de blé par journal atterri, l'arpentage des atterrissements immédiatement après arrêt du Roi rapportant la concession de dix sept cent quatre-vingt deux, le renouvellement de l'arpentage de six ans à dix ans stipulé à la charge du sieur d'AUX dans la dite transaction n'ont pas eu lieu contrairement à l'obligation contractée par celui-ci ».En vertu de toutes ces considérations, les plaignants verront leur affaire considérée comme « mal fondée » et seront déboutés de leur demande.

Ces derniers ne céderont en rien à la pugnacité de leurs opposants. Ils feront appel le 10 Janvier suivant de ce jugement et c'est la cour de Rennes qui, le 22 février 1849, prononcera un second jugement qui cassera le premier.
Cette cour jugera, quant à elle, que « les terrains litigieux ne sont pas des alluvions ». C'est dire l'ambiguïté de cette définition. Elle estimera pour sa part que « que le terrain litigieux appartient aux époux de Mauclerc et qu'ils doivent être maintenus dans la propriété de ce terrain à moins qu'ils ne l'aient perdu par prescription  ». Elle considérera en effet pour cette dernière notion que « les faits articulés par les intimés sont pertinents et admissibles et qu'il y a lieu d'en admettre la preuve ». C'est ainsi que les nouveaux spoliés furent autorisés à faire la preuve qu'ils détenaient depuis au moins trente ans la jouissance continue et exclusive des terrains litigieux.

Les enquêtes nécessaires devront commencer dans la quinzaine qui suit la signification de cet arrêt et c'est Parqueteau, juge au tribunal de Nantes, qui devra en assurer la collation et les/ transmettre au parquet de Rennes. L'avocat de St Jean écrira dans les jours qui suivront: « Une pareille décision m'a étonné; car je comptais sur un succès plus assuré devant la cour que devant le tribunal de première instance. Je ne connais pas encore le texte de l'arrêt; il conviendra peut-être de voir s'il faut s'y soumettre ou de pourvoir contre ».

Les pièces manquent pour savoir si notre commune envisagea sérieusement de se pourvoir contre ce nouveau jugement, il est plus vraisemblable que nos élus essayèrent de prouver qu'ils jouissaient effectivement des terrains.

Toujours est-il que le 2 août 1850, la 2ème chambre de la cour d'appel prononcera un jugement qui déboutera définitivement les époux Mauclerc et redonnera raison à leurs adversaires. Ce jugement allait avoir une importance exceptionnelle pour la suite de l'affaire opposant toujours notre commune à ses six adversaires de la première série de procès qui durait, rappelons-le, déjà depuis 11 ans. Il y est en effet spécifié qu' : « il ressort de l'ensemble des enquêtes que, depuis plus de trente ans avant la demande, les habitants de la commune de Saint Jean de Boiseau ont constamment fait sur dont il s'agit, concuramment avec les riverains en cause, tous les actes de possession qui peuvent être utilement pratiqués sur un terrain de cette nature et ce, à l'exclusion de l'appelante et de son auteur; qu'il y a construit des chaussées, établi des étiers, creusé le sol pour y rouir le lin, coupé les herbes qui y croissaient, fait paître leurs bestiaux, planté, émondé et abattu des arbres, qu'enfin ils ont recueilli tous les produits dont le terrain était susceptible ». En conséquence, la cour déclare que la commune comme les riverains ont acquis par prescription la propriété de l'accroît concerné « sauf à faire décider entre eux par la juridiction qui est saisie de ce litige, quels sont de la commune ou des riverains les véritables propriétaires des accroissements qui se sont formés devant le village de Boizeau, les droits de chacun étant réservés à cet égard  ». Blanchard de St Gilles sur Vie, également avocat dans cette affaire, écrira deux jours plus tard « La commune de Saint Jean et les riverains (notez cela) sont déclarés également propriétaires de l'accroît de sauf à se pourvoir devant qui de droit pour faire décider qui de la commune ou des riverains est propriétaire ... Je suis d'autant plus satisfait de voir mes conclusions concernant l'accroît de accueillies par l'arrêt, que je n'osais guère l'espérer  ».

Durant tout cet intermède qui dura quand même plus de quatre ans, nos élus continuaient à être confrontés à leur première affaire. C'est en septembre 1843 que St Jean fut autorisé à demander à faire casser le jugement de la cour de Rennes du 9 mars. Mais ce ne sera qu'en janvier 47 que nos élus seront informés que le pourvoi qu'ils avaient déposé à ce sujet sera admis par la cour de cassation. Comme il se doit, la justice pèse bien le pour et contre et ne rend son jugement qu'en janvier 1849. Ouf, l'arrêt de Rennes est bien cassé, mais ce sera désormais à la cour de Caen de statuer d'une manière que l'on peut espérer définitive sur cet imbroglio juridique boiséen.

La tentative de médiation de Demangeat :

Les esprits devaient chercher toutes les solutions possibles pour pouvoir faire avancer cette affaire que, tous, devaient trouver bien longue à régler. C'est ainsi qu'en 1850, Demangeat qui était devenu maire de notre commune fut mandaté pour mener une transaction conciliatrice avec les opposants. Ses talents de médiateur, peut-être associés au fait qu'un de ses principaux adversaires était décédé - en l'occurrence François Fradet - l'amenèrent à rédiger un protocole d'accord avec les héritiers de ce dernier. Aux termes de ce contrat « les soussignés désirant terminer au moins en ce qui les concerne un différend qui dure depuis trop longtemps, occasionne des frais onéreux et paralyse la disposition de terrains d'une grande valeur » s'entendirent sur un certain nombre de points.

Tout d'abord, la commune renonce, en faveur de la veuve Fradet et de ses enfants, à une percale de terrain toute en longueur située à partir de l'angle est de la propriété du Port-Navalo et se dirigeant vers le fleuve, soit perpendiculairement à l'actuelle rue de la cale. Cette parcelle comprenait 80 ares. En contrepartie ces derniers renonçaient à toute prétention sur les nouvelles terres comprises depuis le pré de la perche jusqu'au Port-Navalo. La commune devenait donc propriétaire de cette nouvelle parcelle et s'engageait à réaliser au profit de la communauté un chemin au bas du village depuis les rochers de la garenne (appartenant également à la famille Fradet) jusqu'au Port-Navalo. Ce chemin « d'une largeur de dix mètres sera laissé entre le village et la parcelle abandonnée à Mme Vve FRADET et à ses enfants », ce chemin sera public et communal. En outre, ces derniers « s'obligent à compter à la commune de Saint Jean de Boizeau la somme de six cents francs, laquelle sera payable et exigible aussitôt que la présente transaction sera régularisée conformément à la loi ». Signe d'apaisement, ils déclarent tous que les procès existants entre eux se trouvent ipso-facto réglés et qu'aucune autre indemnité de quelque nature que ce soit sera due par les différentes parties. Cet accord reste toutefois soumis à deux conditions :
a) l'accord du Conseil municipal doit être acquis,
b) le procès toujours en cours contre la famille Mauclerc doit être gagné, sinon tout est remis en cause, ces derniers réclamant également ces terres.

C'est en fin d'année que le Conseil délibérera sur ce sujet. Malheureusement les archives communales incomplètes ne peuvent nous permettre de savoir ce qui s'est dit durant ces deux dernières réunions. Toutefois, un courrier du sous-préfet nous apprend que cette réunion s'est déroulée « dans le but de mettre fin au procès pendant depuis plusieurs années à l'occasion de la propriété des alluvions du village de Boiseau ». Ce même courrier annonce également que certains habitants ont émis une protestation à l'encontre de cet accord. Il n'en faudra pas plus pour qu'une nouvelle polémique apparaisse. Cette dernière dut prendre suffisamment d'ampleur pour que le Conseil décide par la suite que la transaction doive être abandonnée. Ainsi en décembre 1854, le sous-préfet relance le maire et lui mentionne que : « la question litigieuse soit vidée à l'amiable ou judiciairement ». Il insiste fortement tout au long de ce courrier et se demande : « Quel peut-être l'intérêt de la commune à continuer le procès? Le Conseil municipal ne l'explique pas malgré la position désavantageuse de cette commune qui agit en qualité de demanderesse et sera forcée à faire des preuves qu'elle ne possède pas ». Le maire se verra contraint de faire délibérer son conseil une nouvelle fois et transmettra le résultat. Sa transmission ne mentionnera pas la majorité qui s'était dégagée. D'où nouvelle délibération, celle-ci eut lieu le 11 Février. Apparemment aucune majorité ne s'est encore dégagée parmi les 14 présents. La voix du maire étant prépondérante dans ce cas, c'est donc sa position qui doit être entérinée. Mille fois hélas, le compte-rendu ne donnait pas la position de ce dernier. D'où, de nouveau, une autre délibération. C'est le 16 septembre que le conseil en rediscutera. Il acceptera enfin, mais comble d'ironie en y apportant de nouvelles conditions. Or celles-ci n'ont pas reçu l'accord des parties adverses. Notre sous-préfet en désespoir de cause fait apparaître que si ces derniers confirment leur refus, le Conseil devra, une fois de plus, délibérer à ce sujet pour dire s'il accepte le projet ou s'il poursuit son affaire par la voie des tribunaux. L'absence du registre des délibérations de cette époque fait cruellement défaut, car nous ne savons pas quelle suite a été donnée à cette affaire. Elle dut, toutefois, avoir une fin heureuse, car lors du dernier procès qui eut lieu en 1863, les héritiers Fradet n'apparaîtront plus.

Le dénouement approche enfin :

Nous sommes donc au milieu de la décennie 1850 lorsque cette tentative de conciliation a lieu. Celle-ci, on s'en doute, n'empêche pas le cours des actions de se poursuivre. Que croyez-vous qu'il puisse se passer pendant ce temps-là ? Deux nouveaux problèmes vont survenir.

En premier lieu, il ne faut pas oublier qu'au début de cette affaire, c'étaient P. Averty, J. Legris et J. Bertreux qui avaient été mis en cause par les plaignants. Ces trois personnes, toujours concernées, même si la commune a pris l'affaire à son compte, se trouvent débitrices de la somme importante pour l'époque de 2353,21 F. Ils établiront un mémoire sur lequel ils « exposent les motifs qui les déterminent à appeler la commune de Saint Jean de Boiseau devant les tribunaux à l'effet de se faire garantir et indemniser des condamnations qui pourraient être prononcées contre eux ».

Ensuite, un dénommé Blanchard, habitant Nantes et disposant d'une maison à Boiseau, dut se dire, lui aussi, qu'il pouvait bénéficier de ces atterrissements que tant de gens convoitaient. En 1858, il adressera un courrier au Maire de la commune : « J'ai l'honneur de vous informer que j'ai déposé à la Préfecture un mémoire dans lequel j'exprime notre intention de revendiquer la portion d'alluvions qui s'est formée devant notre maison de Boiseau.
J'aime à penser, Monsieur le Maire, que cette démarche préliminaire d'un procès qu'il faut enfin trancher, n'altérera pas les bons rapports qui ont toujours existé entre nous. Je me battrais à armes courtoises et je  
(sic)  bien convaincu que mon adversaire usera des mêmes procédés ».

Nous ne nous étendrons pas sur ces deux affaires qui eurent une fin heureuse, mais il est bon de savoir qu'elles nécessitèrent, elles aussi, de dépenser une certaine énergie pour trouver leur conclusion. Ainsi, l'affaire Blanchard, plus d'un an après que la cour de Caen ait rendu son jugement définitif n'était pas close.

C'est le jeudi 12 mars 1863 que ce dernier fut rendu.

Première constatation, si les conclusions de l'avocat de St Jean, Me Davy, sont assez longues, celles des plaignants sont, au contraire, fort succinctes.

Davy, d'abord, s'appuie sur le jugement rendu par Rennes concernant l'affaire de Mauclerc. La chose jugée ne pouvant être révocable, il rappellera que « la propriété dont il s'agit ne constitue pas une alluvion, mais une partie du lit de la verbablement vendue pour être desséchée aux auteurs des époux de MAUCLERC et prescrite contre eux par la possession plus que trentenaire de la concluante ». Il sommera au cours de la séance l'avoué des parties adverses de présenter l'arrêt de la cour de Rennes et les procès-verbaux des enquêtes. Celui-ci s'y refusera en prétextant que : « l'arrêt dont il s'agit, n'a aucun rapport avec le procès actuellement déféré ». Il eut alors beau jeu de réclamer auprès des autorités judiciaires la parution de ces pièces. Hédou, avoué de la partie adverse, se contenta de demander à la cour d'entériner le jugement de février 1849 qui donnait raison à ses clients.

La cour impériale de Caen considérera donc que la situation n'est plus la même que lors du début du procès. En effet, Rennes, au vu des pièces qui avaient été présentées à l'époque, avait jugé, on l'a vu que les terres revendiquées n'étaient pas des alluvions, que la commune avait « constamment fait, sur l'accroît dont il s'agit, concurremment avec les riverains en cause, tous les actes de possession qui peuvent être utilement pratiqués sur des terrains de cette nature, et que dès lors, la commune, comme les riverains, ont acquis par prescription la propriété du dit terrain ». La seule question est donc de déterminer qui, de la commune ou des riverains, est réellement propriétaire. Or, les plaignants « ont possédé comme les autres habitants de la commune et dans l'intérêt de la communauté » les terres litigieuses, en outre ils n'ont jamais fait la preuve de la moindre « possession privative » et que « s'il en était autrement ils ne manqueraient pas de produire les enquêtes et de se prévaloir de leurs énonciations, s'il en résultait la preuve en leur faveur d'une possession individuelle et déterminée ». Avant-dernier coup de massue, la possession commune « a été promiscue et non exclusive, la prescription n'en est pas moins acquis à l'encontre du propriétaire primitif ». Quant au coup de grâce, il sera donné lorsque le tribunal « Considérant que tous les faits de possession que les intimés pourraient invoquer en leur faveur ont été déjà sans doute consignés dans les enquêtes antérieures et qu'il ne saurait y avoir lieu d'en ordonner une nouvelle ; que d'ailleurs les intimés n'articulent aucun fait précis, et que le vague de leurs conclusions subsidiaires ne permettrait pas de les accueillir  » mettra enfin un terme à cette lutte d'un quart de siècle en jugeant mal fondée l'action en revendication formée par les consorts Chesneau, Prin etc.. et les déboutera en les condamnant aux dépens, à rembourser toutes les amendes ou autres sommes qu'ils avaient pu obtenir depuis le début du procès.

Ainsi donc se terminait, enfin, cette longue joute judiciaire qui mit aux prises les habitants de notre commune auxquels vinrent se joindre, par rebondissements successifs, d'autres spéculateurs qui crurent, devant les difficultés que connaissait notre commune à faire valoir ses droits, qu'ils pourraient profiter de la curée pour glaner quelques morceaux.

Ce jugement, certes tardif mais néanmoins péremptoire fut peut-être une des raisons qui incita Blanchard qui voulait, lui aussi, intenter un procès, à mener une conciliation qui devait aboutir à une conclusion moins tumultueuse.

En 1865, le conseil dut débattre une fois de plus du problème puisque l'on trouve dans les archives de la mairie un brouillon de délibération sur lequel on peut lire qu'il : « autorise Mr le Maire à défendre en justice sur l'assignation du 29 mars 1865 et à poursuivre par toutes les voies de droit le remboursement des sommes dues par les sieurs PRIN, et consorts à la commune en vertu des arrêtés susmentionnés ».

Le fin du fin de cette histoire fut l'action que mena le 23 décembre 1871, Julien Prin en écrivant au maire : « Prière à Mr le Maire et Messieurs les Conseillers municipaux de bien vouloir annuler la somme de la famille PRIN car nous sommes dans l'impossibilité de payer vu que mon père nous en a laissé plus que nous ne pouvons payer ». Cinq mois plus tard, magnanime, le Conseil décidera de ne pas poursuivre le recouvrement de la dette Prin, bien que le sous- préfet, le mois suivant, ait joué de son influence pour qu'il ne soit pas fait cadeau de cette somme. Pour la petite histoire, rappelons que cette dette fut l'objet de discussions serrées lors du partage des biens indivis entre St Jean et La Montagne.