Le moulin de la poterie |
Ce moulin était sans doute le plus méconnu de Saint-Jean-de-Boiseau.
En 1992, un ancien de la société d'histoire, Félix Lebreton, m'avait posé la question : connais-tu le moulin de la poterie ?
Ma réponse fut négative car les archives communales n'en faisaient pas mention. Il m'expliqua alors que sa grand-mère avait
connu les ruines d'un moulin près de l'actuelle déchetterie. L'affaire en était restée là car hélas Félix est décédé les
années suivantes. Il fallut toute la persévérance de notre équipe de mouliniers, Bernard Menuet, William Fragneau et
Michel Diquelou, pour remettre le sujet des moulins de Saint-Jean à l'ordre du jour de nos recherches. Finalement, dans ce
qu'il restait de la parcelle de la Grande Poterie, ils ont fini par retrouver le fût de ce moulin qui a échappé
miraculeusement à la destruction définitive lors du percement de la nouvelle voie de circulation qui joint le rondpoint
du Landas à la route SaintJean-La Montagne. En effet à deux mètres près il aurait disparu sous la pelle des bulldozers.
Restait une énigme ! A quoi servait il ? Le terme de Poterie donné à ce terrain nous orienta un moment
vers un moulin de Potier. Le terrain recèle une terre argileuse grise qui convient pour faire de la céramique et
une grande excavation, aujourd'hui partiellement remplie d'eaux (1) pouvait avoir servie de matière première à un potier !
Cependant, nous n'avons trouvé aucune trace de poterie sur ce secteur. De plus, aucune description de moulin de potier ne
correspondait à ce que nous avions mis au jour. Il nous faudra plus d'un an pour que les archives familiales d'Annie
Bertet, nous mettent sur la piste d'un moulin cassé vendu à Jean Guillet du Landas. La suite et l'explication nous sera
fournie par la découverte de divers contrats passés entre le recteur de Saint-Jean et l'évêché de Nantes.
(1) Il s'agit en fait d'un ancien vous utiliseé autrefois pour faire rouir le lin .
Les églises paroissiales détruites par les invasions normandes sont reconstruites par des seigneurs
locaux ou des nobles qui les considèrent comme leur bien. C'est le cas à Saint-Jean-de-Bouguenais où l'édifice est la
propriété de la famille Normandel, d'anciens vikings sédentarisés.
Les possesseurs laïcs de ces églises paroissiales s'octroient alors le droit d'organiser la vie religieuse à leur
convenance. Ils achètent les services d'un prêtre, chargé de dire les offices et de faire les confessions, en traitant
avec lui un marché, comme cela se pratiquait pour n'importe quelle corporation artisanale. Le religieux pouvait être
licencié et remplacé par le propriétaire de l'église sous n'importe quel prétexte. Certains laïcs effectuèrent ce
changement tous les mois jusqu'à ce qu'ils trouvent le religieux docile à leur convenance.
De tous les dons offerts par le peuple à l'église paroissiale, encouragé en cela par le prêtre qui essai de conserver son
"emploi", le propriétaire s'en réserve la plus grosse part.
Cette possession des édifices religieux par des laïcs, fait qu'ils deviennent, pour eux, une de leurs principales sources
de revenu.
Pendant près d'un siècle, les évêques et autres responsables ecclésiastiques n'ont plus aucun pouvoir sur le désordre et
l'anarchie qui s'installent dans les sanctuaires. Bientôt, le clergé lui-même est pris par cet appât du gain et ce
désordre. On voit des évêques vivre en simonie, (vendre des choses saintes) et avoir des enfants qui leur succèdent dans
leur fonction. Ce fût le cas pour l'évêque de Nantes Gautier ou celui de Cornouaille qui en était aussi le comte et qui
fit de sa femme Onven une des rares "évêquesse" de la religion chrétienne. Ces prélats n'ont bien sur aucune vocation et
ne cherchent qu' à s'enrichir.
Cette anarchie se répand aussi dans le bas clergé, qui à l'exemple des évêques se mettent à vivre en concubinage. Ainsi,
la plus part des prêtres de cet époque décadente, sont ignorants et leurs mœurs sont plus que critiquables.
Notre paroisse n'a sans doute pas échappé à cette libéralité du clergé, car son prieuré et l'église sont détenus par un
laïc.
Le rétablissement de la discipline va s'amorcer, en octobre 1050, avec la nomination par le Pape Léon X, d'un évêque
venu d'Italie nommé Airard. Il sait que pour rétablir la foi, il faut en priorité reprendre aux laïcs les édifices du
culte. Pour cela il porte à la connaissance des populations, le décret du Pape au concile de Reims en 1049. Il ordonne
alors aux laïcs d'abandonner aux prêtres les églises, les dîmes et les offrandes ainsi que les autels qu'ils détiennent
en s'engageant de n'y plus jamais rien prétendre. " J'ai fait savoir que tous ceux qui ne
l'observeraient point seraient, en cette vie séparés de la sainte Eglise, et en l'autre exclus de la société des saints
".
La crainte de l'anathème et de l'excommunication, va provoquer un retour, au sein du clergé, de beaucoup de sanctuaires.
Cette menace ne sera pas suivie immédiatement par la famille Normandel de Saint-Jean-de-Bouguenais.
Récupérer les édifices religieux ne représente qu'une étape dans le rétablissement du culte. Il faut aussi sortir le
clergé séculier de la décadence et de l'ignorance ou il se trouve car, face aux seigneurs tout puissant de nos paroisses,
il n'est pas en mesure de résister. Les mesures prises par le Pape vont faire cesser les mariages des prêtres débauchés en
déléguant des moines dans nos villages ruraux pour les sermonner.
La venue des moines dans nos paroisses permet ainsi, peu à peu, aux brebis égarées de revenir au sein de l'Église. Ces
prêtres réguliers appartiennent à des monastères, où l'on déteint l'instruction et où règne une discipline religieuse
incontestable.
Deux grands ordres s'imposent alors dans notre pays par l'austérité de ses réformes : Celui des Bernardins et des
Augustins. A partir de 1150, l'ordre des Augustins prend le pas, en Bretagne, sur l'ordre de Cîteaux. En effet si la règle
de Saint Benoit, défendue par Bernard de Clairvaux, rétablit la confiance du peuple dans la religion, ses moines sont des
contemplatifs et ne peuvent, en principe, assurer l'administration des paroisses. C'est pour cette raison que l'évêque de
Nantes Bernard décide de créer un monastère dans un secteur isolé, à la limite du Pays de Retz, qu'il confie à l'ordre
des chanoines réguliers de Saint Augustin. Leur règle les autorise à diriger les églises rurales tout en respectant la vie
communautaire. Le site choisi est Geneston, territoire pratiquement inhabité en dehors d'une léproserie. Il est couvert de
broussailles et genêts d'où il tire son nom.
Pourquoi ce lieu isolé? Parce que ce secteur n'a pas encore bénéficié de l'influence des monastères de Buzay
et de la Chaume. De plus, il est placé sous la coupe de hobereaux qui se sont appropriés les biens et bénéfices de leurs
églises. L'évêque craint également que les puissants seigneurs, le sire de Touffou propriétaire de l'immense forêt et
le baron de Rais, ne décident d'y implanter une communauté religieuse du type de celle de Buzay qui échapperait
totalement à son autorité.
C'est en 1147 ou 1148 que sera créé le premier prieuré qui deviendra quinze ans plus tard l'abbaye de Geneston. Cette
communauté est dirigée par le prieur Clément et elle est composée de 6 à 7 moines venus de la maison mère située à Saint
Médard de Doulon.
L'évêque Bernard en profite alors pour récupérer les édifices religieux qui sont encore dans les mains des laïcs. C'est
ainsi que la famille Normandel de SaintJean-de-Bouguenais va enfin consentir à céder son bien qui, il faut l'avouer avec
les évolutions sociales, ne lui rapporte plus beaucoup de revenus.
Les donations vont ainsi rapidement enrichir cette abbaye. Par crainte de se faire déposséder de ses biens, elle se les
fait confirmer à perpétuité en 1163, par une bulle du pape Alexandre
C'est grâce à ce document que nous connaissons le propriétaire de l'église de Saint Jean dont le clocher remonte à cette
période : « Parmi les biens nous désignons nommément, les suivants ....... Ecclesiam sancti Joannis
de Boisel cum pertinentiis suis ex dono Mauricii Hervei & Wiiielmi Normandel<:span> (l'église de Saint Jean de Boisel avec
les biens reçus de Maurice hervé et Guillaume Normandel)
.......Personne n'a le droit d'exiger de vous des dîmes sur les jachères que vous avez sans doute et que vous entretenez
ou faites entretenir pour nourrir vos animaux :....Si à l'avenir, une personne ecclésiastique ou séculier, connaissant ce
passage de notre constitution, tentait de la contrer, qu'elle soit prévenue deux ou trois fois, si elle ne modifiait son
comportement présomptueux, qu'elle soit privée de pouvoir et d'honneur, qu'elle soit éloignée du très saint corps de notre
seigneur Jésus Christ, et qu'elle soit reconnue coupable d'iniquité au jour du jugement dernier ....
J'ai signé, moi Alexandre, évêque de l'église catholique
.
Donné à Turcin par Hennani sous diacre et notaire, le 6 des ides de juin, indidion 12, années de l'incarnation du seigneur
1163, la 4ème année du pontif icat d' Alexandre
Suivent les signatures du pape et de quelques cardinaux ».
A partir de cette date la paroisse de Saint-Jean-de-Bouguenais est enfin en règle avec les instances cléricales et
sera desservie, jusqu' en 1792, par des moines augustins détachés de l'abbaye de Geneston dont elle dépend désormais. Le
premier prêtre dont le nom nous soit parvenu comme prieur est un nommé Jean en 1225.