Histoire de Saint Jean de Boiseau

Cremet, une nouvelle vie

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Ce mois de mai 1923 va marquer un tournant important dans la vie de Jean et de sa famille. Ce licenciement d'lndret ne semble pas l'avoir affecté outre mesure. D'autres grands projets occupent tout son esprit.

Lors du congrès d'octobre 1922, sa présence et ses interventions ont retenu l'attention des représentants du Komintern. C'est dans cette optique que la Grande Union Soviétique l'a ... invité - sélectionné, dirons-nous -. Une autre de ses connaissances sera également du voyage : le futur Hô Chi Minh.

Pour des raisons évidentes de discrétion et pour déjouer les services de la Sécurité, leurs départs seront échelonnés et leurs chemins pour rejoindre Moscou sont des plus complexes. Si notre photographe vietnamien part le 13 mai, Jean attendra le 20 pour quitter le sol français.

Seuls Alphonsine et son ami Barthélemy ont été mis dans la confidence.

A Moscou, l'accueil est chaleureux. Les dirigeants bolcheviks se font un devoir de faire découvrir à Jean et à son ami annamite, de 2 ans son aîné, les grandes réussites de cette jeune république soviétique qui fêtera bientôt ses six ans : les entreprises collectivisées, le système éducatif, les crèches et les nouvelles dispositions de la nouvelle politique économique ( la N.E.P.) décidée par Lénine l'année précédente. Ils observent cependant les difficultés rencontrées dans cette grande marche en avant. Tout d'abord, ils ne peuvent rencontrer Lénine ; celui-ci malade se soigne à Gorki dans le plus grand secret. Cette faiblesse attise les ambitions. La cohésion du Soviet Suprême se craquelle ; le tout sur fond de crise économique.

La foi de nos invités n'est en rien altérée par ces luttes intestines. Leur engagement pour la cause est intact.

Nguyên Sinh Cung et Jean Crémet ne sont pas venus à Moscou en simples touristes. D'autres tâches les attendent. Le premier nommé est convié à rencontrer les spécialistes des questions coloniales et, à l'issue de ces contacts, il est affecté au Bureau chargé d'organiser la Révolution en Asie. Il reste en Union Soviétique et un an plus tard part en Chine où il seconde Mikhaïl Borodine le responsable du Komintern dans ce pays.

Quelques temps après, il établit les bases du Than nuen, organe de la jeunesse révolutionnaire vietnamienne et sillonne l'Asie du sud-est pour le compte du Komintern. Dès lors, il ne cessera de fustiger la politique coloniale de la France et notamment celle du Parti Communiste Français qu'il trouve trop laxiste.

Et notre petit gars d'lndret, de quelle mission va-t-il être investi ?

A l'instar du futur Hô Chi minh, il assiste, en qualité d'observateur, à différents groupes de travail. Bien évidemment, dans ce type de réunions, il n'est pas possible d'occulter les conflits de personnes et les divergences sur les objectifs à atteindre, mais Jean les comprend et les accepte.

Si son départ de France s'est effectué dans le plus grand secret, son absence est, par contre, très rapidement remarquée. Son retour, dans ce contexte, n'a pas lieu dans l'anonymat. Qu'importe. Le temps fort qu'il vient de vivre, ce monde nouveau avec lequel il vient de faire connaissance, l'enrichissement qu'il en a tiré, il veut les faire partager.

Dès le début septembre, il s'investit totalement dans le journal du Parti La Bretagne Communiste et rédige avec Louise Bodin les articles de fond où il porte au pinacle ces réalisations issues de la révolution russe dont il a été le témoin privilégié.

Rappelons-le, Jean aime la lecture. Enfant, Jules Verne l'a longtemps accompagné ses rêveries ; adolescent puis jeune ouvrier, Marx et Engels sont devenus ses maîtres à penser. Pour ses articles il puise leurs écrits pour étayer ses exemples.

Cette nouvelle expérience lui ouvre de nouvelles perspectives : Tout le monde n'accède pas à la lecture, il est nécessaire de trouver un autre moyen de propagande. Il faut se faire entendre. Débute alors une série de meetings à travers toute la Bretagne.

Son éviction d'lndret paraît déjà bien lointaine. Jean Crémet, l'apprenti chaudronnier de 1907, est devenu un tribun, un professionnel de la politique, plus encore, un révolutionnaire permanent. Son court séjour en Union Soviétique en a, vraisemblablement, été le déclic.

Ces conférences bien ciblées ont un impact tel, que les services de Sûreté s'en inquiètent. Pour Jean et ses amis, il faut redoubler de prudence pour éviter tous les chaussetrapes et autres traquenards posés par la Police, mais également, par la droite française et par son leader le plus médiatisé, Charles Maurras de l'Action Française.

Une étape importante

En cette fin d'année 1923, notre Petit Rouquin s'est fait un nom. Le résultat de ses meetings, la faconde dont il a fait preuve, en ces circonstances, ont provoqué des réactions extrêmement positives au siège parisien du Parti.

Les retombées médiatiques du séjour soviétique de notre petit gars de La Montagne ont ravi Moscou. Plusieurs hauts dirigeants souhaitent le voir assumer des responsabilités nationales.

«Montez à Paris !». Est-ce un ordre ou une invitation ? Certes Jean escomptait bien quelques retombées positives de ce travail de propagande qu'il a effectué dans l'Ouest. Bien évidemment il s'attendait à une réaction des instances dirigeantes ! Mais, il n'avait pas envisagé une telle éventualité.

Monter à Paris, c'est dire adieu à ce pays nantais qui l'a vu naître, mais c'est et surtout un changement total de sa vie de famille. Et là... Alphonsine réagit sans ambiguïté à cette proposition parisienne : « Non Jean ! Je ne monterai pas à Paris. Si tu réponds à cet appel, je resterai ici avec Jeannette ! ».

Pour notre militant, la décision à prendre est difficile. La défense de la Cause, c'est certain, est prioritaire à ses yeux, mais, partir seul pour Paris, c'est s'éloigner à jamais de sa petite famille et de sa petite Jeannette. Quelques jours plus tard, il reçoit un mot de Barthélemy Baraille « Jean, il faut que tu partes ; le devoir t'appelle. Toi seul peux défendre la classe ouvrière. Ta famille ne doit pas constituer un obstacle. ».

Jean reste sans répondre à cet ordre déguisé et à la supplique de son ami. Pour l'heure un autre objectif occupe ses pensées.

Début janvier 1924, c'est le 4ème congrès du PC à Lyon. Emile Hureau et Jean Cremet sont mandatés pour y représenter la Loire Inférieure.

Le 21 janvier, pour preuve de la confiance qui lui est accordée, c'est Jean qui monte à la tribune pour présenter les bases d'un protocole d'accord PC/SFIO. Très en verve, l'ancien apprenti chaudronnier est chaleureusement applaudi. 145 des congressistes (sur 148) lui apportent leurs soutiens. Parmi ces derniers, Marcel Cachin et un jeune secrétaire fédérale du Pas-de-Calais : Maurice Thorez

Quelques instants seulement après ce succès, une nouvelle tombe, telle la foudre, sur l'assemblée : Lénine le père de la Révolution d'octobre, celui qui concrétisa les grands principes de la doctrine marxiste, celui qui lors de ses rencontres à Pornic fut en quelque sorte la référence idéologique de Jean est mort. De plus, le souvenir des propos peu amènes, échangés en sa présence lors des réunions de travail du Kremlin en juillet dernier, vient s'ajouter à sa tristesse et à ses craintes quant à l'avenir du nouveau régime.

Pour l'heure, le congrès doit suivre son cours. Après les différentes interventions et prises de paroles il convient de passer au renouvellement du bureau national.

Encore auréolé de sa prestation à la tribune et du succès obtenu par sa motion, Jean est élu secrétaire général. A une majorité relative certes, mais élu. Notre gars de la Basse Loire, abasourdi en perd tout de sa faconde habituelle.

Cette victoire est de courte durée. Bien vite on se rend compte des effets que peut avoir un tel changement dans l'Appareil et l'incidence que peut provoquer l'arrivée de ce quasi inconnu sur le militant de base. Evolution, oui ! Révolution, non ! Le parti sera tricéphale : Louis Sellier sera le secrétaire général ; il sera secondé en cela par deux secrétaires généraux adjoints, Jean Cremet et Georges Marrane.

Numéro deux à l'échelon national : voilà de quoi alimenter l'argumentaire et la requête de Baraille.

Accepter une telle fonction dans l'Appareil du parti, c'est implicitement admettre des séjours quasi permanents dans la capitale.

A son retour à Basse-Indre, Alphonsine est loin de partager la fierté de son mari et ne s'associe pas à la fête que lui réservent ses collègues. Sa décision est catégorique. Elle ne le suivra pas.

Déçu par l'incompréhension de son épouse, la mort dans l'âme, mais toujours avec le secret espoir qu'un jour prochain Alphonsine et Jeannette le rejoindront, Jean se rend au 120, rue de Lafayette, le siège du Parti.

Au Parti, l'ancien secrétaire, Albert Treint n'a pas accepté avec philosophie son éviction lors du congrès de Lyon. Représentant l'aile dure, il a toujours l'appui de Zinoviev le président du puissant Komintern.

Quelque soient les aspirations qui les animent, les hommes ne sont que des hommes et trop souvent, les ambitions prennent le pas sur les idéaux fussent-ils les plus généreux. C'est ainsi qu'après quelques mois de « placard », Treint réapparaît au sein du secrétariat général.

Influence soviétique ? Cette réapparition marque également un tournant dans les orientations du PC : la radicalisation du mouvement et l'excommunication du courant liberaire du mouvement ouvrier français.

Opportunisme ? Résurgence de son vieil instinct anarchiste ? Notre petit rouquin se allie sans réserve et sans arrière pensée dans cette nouvelle ligne du parti.

Début 1925 : Voilà presque un an que Lénine n'est plus, et son successeur n'a toujours pas été désigné. Voici venu l'heure des choix. C'est le fils d'un cordonnier géorgien, secrétaire du parti depuis 1922, qui est désigné. Il a pour nom Yossif Vissarionovitch Djougachvili ; il sera plus connu dans l'Histoire sous le nom de Joseph Staline.

Par Dimitri Manouilsky, l'intermédiaire privilégié entre Paris et Moscou, Staline connaît Crémet dans ses moindres détails : intelligence, énergie, dévotion à la Cause. Il souhaite vivement le rencontrer et sans plus attendre le convoque au Kremlin.

Que se passe-t-il ? De quels pouvoirs, Jean a-t-il été investi ?

Ce qui est certain, c'est qu'au retour de Moscou il abandonne son modeste meublé pour le 58, rue Myrha, un appartement de meilleur aspect. Comptant sur ce nouveau cadre de vie il relance, hélas en pure perte, Alphonsine.

Si ce nouveau refus l'affecte, il en est tout autrement au sein du parti, où son étoile ne cesse de monter.

Les 3 et 10 mai, ont lieu les élections municipales. Jean est le candidat désigné pour le XIVème arrondissement. Au deuxième tour, grâce à un bon report des voix des radicaux socialistes et de la SFIO, il devient élu du peuple : Jean Crémet est conseiller municipal de Paris. Il est nommé membre de la commission locale professionnelle et à la commission d'enseignement du travail manuel.

Une telle promotion sociale pour le petit gars de Basse-Indre ! Alphonsine saura-t-elle résister ? Jean ose une nouvelle relance, et, miracle ! Elle répond favorablement à l'invitation. Pour Jean le bonheur est total. Il ne sait que faire pour satisfaire la curiosité de son épouse et de la petite Jeanne.

Ces instants enchanteurs sont malheureusement éphémères, et Alphonsine ne peut s'attarder davantage ; son métier de garde-malade l'appelle. C'est la mort dans l'âme que Jean les voit regagner son Ouest natal.

Ce rayon de soleil disparu, l'engagement pour le parti reprend tous ses droits. Pour l'instant les préoccupations de celui-ci se situent hors de France. Au Maroc, depuis juillet 1921, sévit la guerre du Rif. Les communistes français saluent la victoire d'Abd el Krim contre les espagnols et souhaitent la continuité de la lutte jusqu'à l'indépendance. Ils condamnent l'intervention de la France, au grand dam de Lyautey, alors proconsul de France au Maroc. En se positionnant de la sorte le PC se met, sans jeu de mot, dans le rouge.

Au lendemain du 14 juillet 1925, le conseil municipal de Paris propose une allocation à la veuve du général Mangin qui vient de mourir. Pour le PC c'en est trop. Une nouvelle fois, les positions se radicalisent.

Avec le conflit marocain, avec les douloureux rappels sur les plaies tout justes cicatrisées de 14-18, le climat social se durcit et le PC penche doucement mais sûrement vers un antimilitarisme qui le marginalise.

Hormis ses prises de position à propos de la guerre du Rif, le Parti Communiste affiche une hostilité ouverte contre l'Etat Major militaire et le mépris affiché de celui-ci vis à vis des êtres humains engagés dans le récent conflit mondial.

Pour une certaine tranche de la population et pour de nombreux tenants du pouvoir, ces engagements, ajoutés à l'incitation des peuples opprimés à la révolte permanente, placent ce nouveau courant politique comme l'ennemi intérieur de la France.

De ce fait, ses membres font l'objet d'une surveillance de tous les instants de la part des services de sûreté de l'Etat. L'un d'eux, Jacques Doriot, sera emprisonné et ne sortira de prison qu'à la suite de son élection comme député de Saint-Denis.

Jean le rebelle se réveille. Dans cette lutte des plus ouvertes contre l'oppression, contre l'armée, il prend toute sa dimension. Le point chaud se trouve à Marseille ! Il part vers le Midi. Marseille, Béziers, Salon de Provence, Digne, La-Seyne-sur-mer, partout il prône toutes sortes d'actions contre la guerre et l'injustice : ici, la grève, là, le boycott de la fabrication et du transport du matériel de guerre. Son éloquence attire et enflamme des milliers d'ouvriers et provoque de nombreux affrontements avec les forces de l'ordre.

L'activisme, affiché par notre gars de La Montagne dans le midi de la France, allié à ses interventions musclées lors des conseils municipaux de Paris n'est pas sans laisser quelques traces. La justice l'inculpe pour « incitation de militaires à la désobéissance et complot contre la sûreté de l'Etat ». En juillet n'a-t-il pas paraphé un « appel aux marins et aux soldats » particulièrement explosif !

Il sera, heureusement amnistié peu après.

Et tout cela, malgré cette tuberculose qui l'amoindrit et qui l'amène à se désister lors de certains meetings.

Fin septembre il est rappelé au siège central. Il faut préparer la conférence nationale d'Ivry-sur-Seine du 20 octobre, et, qui, mieux que notre petit rouquin, peut être mandaté pour traiter des problèmes de la classe ouvrière !

1925 est décidément une année riche en événements pour Jean. Décembre sonne pour lui le début d'une carrière internationale : il est désigné comme membre du Praesidium du Comité Exécutif du Komintern.

Notre Jean, du fait de ses fréquents voyages à Moscou et sa nomination toute récente au sein du Komintern, fait même l'objet d'une attention toute particulière. Il bénéficie même d'un régime de faveur et d'une assistance habituellement réservée aux membres importants du parti.

C'est ainsi, qu'eu égard à sa santé fragile le maître de Moscou l'invite personnellement à se faire soigner à Yalta, aux bords de la mer Noire, puis au sanatorium de Lividia dans l'ancien palais d'été des tsars. Ce dernier ne s'offusque pas outre esure de l'importance que l'on porte à sa personne. Sa verve aidant, il lui arrive de plus en plus fréquemment d'apporter la ritique dans certaines orientations choisies par le PC. Il convient d'ajouter à cela, l'écoute favorable dont il bénéficie auprès de Staline le nouvel homme fort de Moscou, et le soutien que celui-ci lui apporte. De militant et défenseur inconditionnel de la cause, Jean Cremet se sent attiré par le pouvoir.

Cette ambition nouvelle ne passe pas inaperçue. Sémard, le « numéro un » du parti, prend ses distances vis à vis de Cremet. Il craint que cette notoriété qui s'affirme ne lui fasse de l'ombre. C'est avec cette arrière pensée que celui-ci propose à Jean de devenir officiellement le représentant du Parti Communiste Français au sein du Komintern.

Pour Jean, c'est une nouvelle promotion dans la hiérarchie du Parti ; c'est aussi de nouveaux déplacements, des absences de plus en plus longues. S'il lui arrive d'envoyer de temps à autre quelques cartes postales à sa petite Jeannette, ses relations avec Alphonsine se font de plus en plus rares.

Depuis le début de 1924, dans le cadre de ses activités, Louise Clarac le seconde dans sa tâche. Louise est une jeune militante originaire d'Angoulême dont il a fait la connaissance lors de ses meetings dans la cité phocéenne.

Jean est enthousiasmé par le dynamisme de cette jeune camarade de 3 ans sa cadette. Il n'oublie pas Alphonsine et Jeannette, mais Louise c'est la rebelle passionnée, celle qui partage ses espoirs, ses rêves, qui l'approuve, l'encourage, mais aussi qui le soigne dans les instants ou la maladie se rappelle à lui. Très rapidement leur relation prend une autre tournure et ils deviennent amants.

En 1926, à Moscou les évènements s'accélèrent. Staline, en voulant rompre avec le passé, a suscité un front d'hostilités. Cette opposition est menée par Zinoviev, le président du Komintern et Trotski, le tenant de la révolution permanente.

Le 26 novembre 1926 s'ouvre à Moscou le 7ème plénum de l'Exécutif. Pierre Sémart, Albert Treint, Jacques Doriot, Maurice Thorez et Jean Cremet y représentent le PCF. Dix jours plus tard, à l'issue de cette assemblée Jean est élu membre du Komintern ; Maurice Thorez prend sa place comme secrétaire général adjoint. La clôture de ce 7ème plénum a une autre conséquence : elle sonne le glas des opposants à Staline.

En cette fin d'année 1926, Jean s'accorde un moment de détente et passe quelques temps à Basse-Indre près de Jeannette et Alphonsine. En sont-ils conscients ? Ce sera l'un des derniers moments passés en commun. La vie va de nouveau emporter Jean vers de nouvelles aventures.

L'entrée dans la clandestinité

Le Komintern, créé par Staline, est né de la IIIème Internationale Ouvrière en mars 1919. Son noble but, même s'il peut paraître, aujourd'hui, empreint d'un certain utopisme, est de rassembler sous une même bannière et d'unir dans un même combat tous les prolétaires de la Terre.

Représenter le PC français au Komintern, Quelle promotion ! Mais curieusement le comportement de notre personnage change.

Tout d'abord, il change d'appartement. Ce n'est pas la première fois qu'une telle chose se produit, mais cette fois il prend soin de trouver un appartement doté d'une sortie dérobée.

Ensuite, il contacte un ébéniste afin que ce dernier lui confectionne une armoire pour y ranger sa documentation, mais une armoire munie de caches où il pourra planquer ses documents confidentiels, afin d'éviter que ces Messieurs de la Sûreté ne puissent les trouver.

Notre petit rouquin aurait-il déjà franchi le pas de la clandestinité ou aurait-il quelques pressentiments par le fait de ses futures fonctions qui l'attendent ?

Pourquoi de telles précautions ?

Ce qui est certain, c'est que la Sûreté Générale est en éveil.

Pour mieux comprendre, revenons quelques années en arrière.

Au début des années 1920 la plupart des communistes sont des rebelles quelque peu anarchisants, des idéalistes acquis à la toute jeune république socialiste soviétique. Ils n'ont pas de structures bien établies, mais en quelques années le mouvement s'est affirmé et a gagné en maturité. Il est devenu un courant de pensées et d'actions. Il est donc important de lui accorder toute l'importance qui lui est due. Les échanges constants de ses membres avec les instances soviétiques inquiètent. Jusqu'où iront-ils ? Pourquoi pas l'adhésion à la cause de l'étranger, l'espionnage, la trahison !

Déjà certains militants ont fait l'objet de poursuites et ont été arrêtés pour avoir transmis des renseignements.

Ces arrestations sont fondées. Les services secrets soviétiques ont exploité l'idéalisme de certains militants du PCF et établi en France un véritable réseau d'information. Jean est acquis à la Cause, c'est un militant inconditionnel ; par ailleurs, et ce n'est pas le moindre détail, il a conservé ses entrées auprès de ses camarades des arsenaux.

Dès lors en 1923, après avoir obtenu l'aval du bureau national, les services secrets sociétiques contactent Cremet, qui accepte.

Jean Cremet, celui qui deviendra, 2 ans plus tard, élu du peuple à la mairie de Paris, le chaudronnier d'Indret a franchi le fossé. Il est devenu espion à la solde de l'Union Soviétique. On comprend mieux sa fougue et son assurance dans ses interventions dans le midi ; Joseph Ducroux, l'ami rencontré fortuitement à Marseille et qui lui a fort obligeamment offert ses services est membre du Komintern. On y trouve également une explication dans la recherche apportée dans le choix et l'agencement de sa nouvelle demeure.

En comprend mieux ce regain de précautions ; car les services secrets français ne chôment pas. Le microcosme de l'espionnage est truffé d'espions et de contre-espions, d'agents provocateurs, de taupes et de vrais faux documents.

Revenons à présent à la situation de 1926.

Ce jeu du chat et de la souris dure déjà depuis plus de 3 ans. Avril 1926 restera comme une date marquée d'une pierre noire dans le fonctionnement de ce réseau soviétique.

Depuis le début de 1925, les renseignements généraux alliés aux services de la Sûreté nationale ont uni leurs actions et ont réussi à infiltrer ce réseau d'espionnage. D'ailleurs depuis longtemps, même au temps des tsars, la Russie * s'est toujours montrée très intéressée par l'industrie militaire française. Si la révolution d'octobre 1917 a boulprésentaitrsé l'appareil du pouvoir elle n'a en rien changé ses objectifs : Satory, pour l'armement terrestre, les arsenaux pour la Marine sont l'objet d'attentions particulières. Les ressortissants de ces établissements sont très vivement recherchés èt sollicités, pour peu qu'ils affichent des convictions favorables à l'idéal communiste.

En ce mois d'avril 1927, les têtes tombent ; Pierre Dadot, secrétaire général des employés civils des établissements militaires, est même momentanément mis en arrestation pour avoir servi, à son insu, de boîte à lettres.

Deux agents soviétiques et de nombreux militants communistes sont arrêtés