Histoire de Saint Jean de Boiseau

Jean Crémet,
un destin ... hors de commun

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Dans ce contexte familial, l'avenir de Jean Cremet semble tout tracé ! Son père ambitionne bien de lui faire suivre le chemin qu'il a lui-même parcouru et qui l'autorise, aujourd 'hui, à vivre avec quelque aisance. Ne s'est-il pas permis d'acquérir pour lui et sa famille une jolie villa à Pornic !

A cette époque, Indret représente pour beaucoup d'habitants des communes environnantes l'objectif idéal pour la destinée professionnelle de leur progéniture.

Indret c'est « l'Etablissement » de la Marine Nationale ; c'est le symbole de la haute technologie. A cette époque Indret est reconnu comme la première industrie française dans la réalisation d'appareils propulsifs. Travailler à Indret, c'est participer activement à des projets ambitieux qui font la gloire de notre pays dans le domaine militaire. Ses machines produites atteignent des puissances de 25000 chevaux dès 1900.

C'est l'avenir professionnel assuré, mais également, élément non négligeable, une structure de garantie sociale inégalée dans la région : Indret possède depuis un demi­siècle sa caisse de secours mutuels, les soins médicaux gratuits. Une coopérative ouvrière fonctionne et permet à chacun d'optimiser ses dépenses et par là-même d'améliorer son pouvoir d'achat.

C'est aussi, pour certains, l'équivalent d'une promotion sociale et le tremplin - pourquoi pas ! - pour participer aux destinées de sa commune en devenant élu municipal.

En ce début des années 1900, une force nouvelle anime la classe ouvrière : le syndicalisme. Un syndicalisme avec un noyau dur qui a pris ses racines dans les partis politiques nouvellement créés à l'exemple de la Section Française de l'Internationale Ouvrière qui a vu le jour en avril 1905. Parmi les militants de ce parti se trouvent souvent des transfuges de ce mouvement qui a ensanglanté la France à la fin du XIXème siècle : le mouvement anarchiste ; ils y représentent l'aile dure de la S.F.I.O. Ce n'est certes pas le cas de la majorité des militants de la base, mais un même désir les anime : la reconnaissance et l'identité du monde ouvrier.

En sa qualité de membre de la maîtrise, Jean-Marie Cremet ne souhaite surtout pas que de telles idées viennent noircir le cerveau de ce fils pour lequel il forme de si beaux projets. Jean adore la lecture, Jules Verne est l'un de ses auteurs préférés, et cet agréable passe-temps ne peut qu'être bénéfique à l'étude et favorise les connaissances.

Jean sera apprenti à Indret !

Son enfance

1905 ! Est-ce le fait du hasard ! Avec la naissance de S.F.I.O., nous voyons apparaître les premiers mouvements ouvriers dans les établissements de la marine.

Depuis cinq ans les socialistes ont tenté de fédérer les différents courants d'idées qui l'animent. Il n'est pas chose facile de trouver une structure commune aux marxistes de Jules Guesde, aux anarchistes, aux communistes et autres indépendantistes. S'ils ont abouti à cette union et trouvé un consensus, il faut bien le dire, ces différents courants précités ne sont pas morts.

Comparativement aux carrières de Roche-Ballue, aux Forges de Basse-Indre, aux Ateliers de Pontgibaud à Couëron ou aux tout jeunes Ateliers des Côteaux, né avec la création du canal de la Martinière, l'Etablissement d'lndret est de loin le plus calme. Etablissement militaire, structuré comme un régiment, ce n'est certes pas le creuset idéal pour fomenter un conflit social. Et pourtant ... Il suffit quelquefois d'une simple étincelle pour embraser tout un secteur.

L'étincelle, c'est de Brest la Rouge qu'elle viendra.

A l'occasion d'une fête syndicale, Victor Pengam, un ouvrier du port, tient une conférence antimilitariste, insulte les officiers, l'armée et la Patrie. La réaction ne se fait pas attendre, et le vice-amiral Pephau, préfet maritime, met l'orateur « à pied » pour une durée d'un mois. Cinq ouvriers, solidaires de Pengam, demandent lors d'une réunion publique qu'on leur applique la même sanction. Le vice-amiral se fait un devoir d'accéder à leur désir. Il n'en faut pas plus pour mettre le feu aux poudres.

Cette sanction est largement diffusée dans les différents établissements.

A Indret, le 14 novembre 1905 au matin, juché sur un rocher au pied du coteau de La Montagne, tout au bout de la digue qui relie cette commune à l'île d'lndret (c'est le seul accès à l'établissement pour les ouvriers venant du sud. La digue de Boiseau ne verra pas le jour avant 1910), Jean Chuniaud le leader syndicaliste, conseiller municipal de Saint-Jean-de-Boiseau, harangue les ouvriers qui se rendent au travail. Pour la circonstance il a reçu l'appui d'Yvetot, le nouveau responsable national de la Bourse du Travail ; il remplace depuis peu Fernand Pelloutier, l'un des initiateurs de cette nouvelle structure, décédé 4 ans plus tôt de la tuberculose.

Une grève à Indret ! En voilà une surprise ! Evidemment cela ne va pas sans une certaine effervescence, bien inhabituelle en ces lieux.

Jean va avoir 13 ans dans un mois. Il fréquente la classe de Monsieur Olive, l'instituteur de l'école primaire de La Montagne. D'un naturel curieux, il se sent irrésistiblement attiré par l'événement. En se faufilant, il tente de s'approcher au plus près des manifestants. Il avale littéralement les paroles enflammées de l'orateur et se sent transporté par sa faconde. Il ne tarit pas d'enthousiasme à l'égard de ce tribun venu d'ailleurs.

Hélas, Yvetot part dès le lendemain et avec lui l'élan revendicatif des meneurs s'éteint comme feu de paille.

Il faut le dire, les épouses ne sont pas totalement étrangères à cette extinction prématurée de cette flamme prolétarienne ; hormis le manque à gagner, leurs hommes ont prolongé la manifestation dans les estaminets du coin - le « Chat qui guette » ou au café Rafrais à La Montagne, entre autres - et le retour au foyer ne s'est pas fait sans mal. L'une d'entre elles est même intervenue auprès du capitaine Gerbais, commandant du peloton de gendarmerie, afin qu'il oblige son homme à réintégrer l'usine.

Jean en est terriblement déçu et reste sur sa faim. Ce n'est pas le cas de Justine, sa mère, qui a appris sa présence sur les lieux et qui, bien que l'ayant sévèrement réprimandé, n'en dira rien à son père.

Malheureusement, malgré le silence maternel, sa présence sur les lieux en ce 14 novembre est parvenue aux oreilles paternelles. La sentence est on ne peut plus ferme : consigné à la chambre dès la sortie de l'école et ce, jusqu'au retour du père. Le dimanche en présence de ce dernier, la consigne reprend toute sa rigueur.

Depuis ce 14 novembre, Jean est resté sur sa faim. Dans ses lectures il avait pris connaissance de ce que pouvait être un conflit social. Ce qu'il a vécu ce jour-là n'en est qu'une pâle illustration.

A Couëron, le mouvement syndical va prendre une autre dimension.

Au début de l'année 1906, le jeudi 17 janvier, à Pontgibaud, les ouvriers se mettent en grève et demandent à toucher les dividendes de la prospérité de l'entreprise. Ce mouvement durera plus de 15 jours et mobilisera l'ensemble de la classe ouvrière de la Basse Loire.

Pour Jean, la consigne à domicile n'est toujours pas levée. Toutefois, le temps passant elle s'est assouplie.

Le samedi matin, alors que sa mère s'est absentée, Jean s'enfuit par la fenêtre et file vers le bac pour rejoindre les grévistes couëronnais et son ami Emile Hureau de deux ans son cadet. Cette escapade est de courte durée, mais permet à Jean de se délecter quelques instants de cette ambiance qui l'attire.

Le lundi suivant, l'appel à l'action est trop fort. Accompagné de son inséparable ami Emile, il ne se rend pas à l'école et retourne sur les lieux du conflit Le reste de la semaine le père Olive, l'instituteur de La Montagne, les met sous surveillance.

Le 8 février, suite à une grande manifestation de soutien et face à l'importance que revêt ce conflit social, la maréchaussée est appelée en renfort et charge les manifestants. Parmi eux se trouvent Jean et Emile. Il suffit d'un rien pour qu'ils ne soient au nombre des personnes interpellées. Heureusement une âme bienfaisante et charitable, de quelques mois l'aînée de Jean, est venue leur porter secours. Elle se prénomme Alphonsine.

Devant l'ampleur des affrontements et l'effet « boule de neige » du conflit, la Direction de Pontgibaud accepte de s'asseoir à la table des négociations. Jean, bien que non concerné, s'identifie à cette victoire prolétarienne.

En 1906, de nombreuses grèves, certaines avec morts d'hommes, éclatent dans l'Ouest : Forges de Lorient-Hennebont, Chaussures de Fougères, Nantes ... Au total, un demi million de prolétaires cessent le travail tout au long de cette année.

Notre « Petit rouquin » - surnom dont il fut baptisé en raison de sa taille et de la couleur de ses cheveux - ne perd pas une ligne des articles relatant ces différents conflits.

En juillet 1907, il passe avec succès son examen d'entrée à l'arsenal d'Indret et, le 23 octobre, Jean, Louis, Aimé, Marie Cremet fait son entrée dans la grande famille des ouvriers d'Etat comme apprenti chaudronnier sous le matricule n° 251O. Le responsable de ces apprentis est l'oncle d'Emile.

Ses camarades de promotion ont pour noms Francis Archambeau, Emile Bigeon, Ferdinand Boily, Jean Bugel, Emile Brétéché, François Chaperon, René Charpentier, Emile Chupin, Georges Deniaud, Jean-Louis Dréan, Fernand Durand, Pierre Fretin, Eugène Legal, Alfred Legrand, Henri Lodé, Joseph Padioleau, Joseph Royer et Marcel Vignet.

A sa grande satisfaction et malgré ses craintes, Jean-Marie voit les projets qu'il avait fondés pour son fils prendre forme. Dans cette structure militaire, il espère bien que les instincts velléitaires de son rejeton vont s'estomper et, pourquoi pas, disparaître.

Une rencontre étonnante

A l'été 1910, suite à différents évènements qu'il serait superflu de narrer ici, un certain Vladimir, llitch, Oulianov, plus connu sous le nom de Lénine, et sa compagne Nadejda Kroupskaïa choisissent comme lieu de vacances une petite villa sise 5 rue Mondésir à Pornic, tout près de la corniche de Gourmelon. Ils y passent d'agréables instants de détente sans pour autant que Vladimir néglige ses idéaux socialistes. C'est ainsi que pendant ses séjours, tout en préparant la chute de Nicolas Il, il entretient des liens étroits avec la jeunesse socialiste nantaise.

Depuis quelques temps déjà, la famille Cremet vient passer ses vacances à la Birochère, tout près du site néolithique.

Jean est dans sa dix-neuvième année ; il fréquente assidûment Alphonsine Thébaud, celle qui l'a soustrait à la maréchaussée en 1906. Par le fait de ses engagements, notamment à l'Etablissement d'lndret ses relations avec son père n'ont fait que s'altérer.

Malgré cette brouille omniprésente qui l'oppose à sa famille, Jean aime venir à Pornic en compagnie d'Alphonsine. Ses contacts avec la jeunesse socialiste, lui permettent de faire la connaissance de Vladimir, Ilitch. Cette rencontre avec un vrai révolutionnaire russe, comme nous le verrons plus tard, ne sera pas sans lendemain.

Faut-il y voir une relation causale ! C'est cette même année 1910, que la séparation entre Jean et sa famille est consommée. Le climat d'affrontement entre le père et le fils y trouve là son aboutissement. Jean se met en ménage avec Alphonsine et ils vont habiter à Basse-Indre.

La Montagne c'est la commune mi-bourgeoise, mi-prolétaire ; c'est le mélange pas toujours harmonieux des ouvriers et des cadres de la grande usine des bords de Loire. Basse-Indre et Couëron, quant à elles, sont acquises, sans partages, à la lutte de la classe ouvrière. Jean s'y sent chez lui. Dans ce milieu, il se transforme, s'affirme, il devient un chef, un meneur. Les connaissances littéraires, qu'il a acquises pendant ses jeunes années de lecture, attirent le respect de ses camarades. Il est écouté.

A Indret, aidé des inséparables frères Hureau, Emile et Pierre, mais également de Pierre Ridel, celui qui deviendra adjoint au maire de la commune d'Indre en 1925, puis maire en 1935, il est l'un des principaux instigateurs d'un nouveau mouvement : la Jeunesse Syndicaliste d'Education Ouvrière. Elle installe son siège dans les locaux du Syndicat Unique d'lndret situé au premier étage de la coopérative des consommateurs : La Prolétarienne.

Que représente ce mouvement ? C'est le rassemblement de toute cette force nouvelle qui n'accepte pas pour monnaie comptante tout ce qu'on veut bien lui faire croire. Anarchiste ? Non ! Révolutionnaire ? Peut-être ! Contestataire ? C'est sûr ! Festive ? Pourquoi pas !

La loi sur les associations a vu le jour, voici dix ans déjà, et de nombreuses sociétés se sont créées. Par ailleurs, la diminution du temps de travail, la reconnaissance du repos hebdomadaire donnent naissance à une activité de loisirs qui jusqu'alors ne pouvait s'épanouir. A l'initiative d'Emile Hureau une troupe théâtrale est constituée. N'est-ce pas là une façon de se faire connaître mais aussi de faire partager ses idées au travers de textes choisis et avec un auditoire qui vous est acquis !

Le conflit familial

Depuis son départ du foyer familial, Jean s'est affirmé. Ses aspirations ! Son militantisme et son besoin d'indépendance sont tout aussi actifs. A l'atelier, les rappels à l'ordre sont fréquents. Pour une absence sans autorisation il se voit même infliger 4 jours de mise à pied en octobre 1911.

Sa vie de couple elle aussi s'est transformée. Le 3 octobre 1912, Alphonsine lui a donné une fille : Jeannette. Sa joie est totale. Pourtant, ce moment de bonheur est quelque peu assombri.

A l'occasion de cet heureux événement, Jean-Marie et Justine, ses parents, ainsi que Jeanne, sa jeune soeur viennent saluer la nouvelle venue dans la famille ; mais cette visite est aussi un adieu. Le lendemain de la naissance, c'est le départ pour Bizerte.

Ce départ aurait pu avoir lieu plus tôt, si ce n'est la promesse faite par Jean-Marie à son épouse de ne point quitter le pays avant la délivrance d'Alphonsine.

Ce départ n'est que la conséquence des engagements pris par Jean.

Afin de ne pas voir sa carrière définitivement compromise du fait du comportement de son fils, Jean-Marie a demandé sa mutation vers un établissement d'Outre-mer : Saigon ou Bizerte. En définitive, ce sera Bizerte qu'il rejoint en * 1912. Il y meurt en 1956 et retrouve son épouse, Justine Thibault, d'un an sa cadette et décédée depuis 1939.

Depuis cette séparation, Jean peut s'exprimer pleinement en fonction de ses aspirations. Il est entouré d'amis dévoués et fidèles. Alphonsine est sa première et sa plus fidèle admiratrice. Jeannette est son rayon de soleil. Jean est heureux.

Ce bonheur, il faut le concrétiser devant tous. Le 28 juin 1913, Jean et Alphonsine échangent leurs consentements devant Monsieur le maire, accompagnés en cela par les copains d'lndret.

Et puis vient la période du Service National Obligatoire.