Histoire de Saint Jean de Boiseau

L'effet boule de neige

C'était ... au mois de mai.



L'effet « boule de neige »

Dans les usines du secteur, les personnels ont tous répondu à l'appel du 13 mai, mais le lendemain chacun a regagné son lieu de travail. Cette manifestation n'a été qu'un mouvement de mauvaise humeur et de ras-le-bol, mais, hormis le manque de dialogue, qui se fait de plus en plus cruellement sentir, et les habituelles revendications salariales il n'y a pas de réelles raisons, dans l'immédiat tout au moins, de poursuivre l'action.

Et pourtant, est-ce l'effet « boule-de­neige » ? Le 17 mai, les ouvriers de l'usine des Batignolles votent, eux aussi, la grève générale. D'autres suivront.

Jean-Luc Ricordeau, venait d'embaucher à St-Nazaire il se souvient :
De Saint Nazaire nous suivions les événements de l'usine de Nantes, avec une certaine inquiétude, et puis le 17 mai, l'usine fut bloquée en fin d'après-midi. J'avais été prévenu et j'ai réussi à m'échapper avec mon vélo. J'étais jeune père de famille depuis quelques semaines et les seize mois de caserne durant mon service militaire m'avaient suffi ... Je suis revenu les jours suivants.

Puis c'est l'enchaînement.

Le 18 mai les trains ne circulent plus, les ouvriers de la SNCF, les marins du port de Nantes, E.G.F. (électricité et gaz) et Air-Inter rejoignent la grève.

La télévision transmet peu d'images des bagarres en ville ou à Paris, car un comité de surveillance aux ordres du gouvernement impose aux journalistes la censure. La télévision régionale n'émet plus.

Le 19 mai, c'est au tour des Chantiers de l'Atlantique.

La télévision transmet peu d'images des bagarres en ville ou à Paris, car un comité de surveillance aux ordres du gouvernement impose aux journalistes la censure.

A Sud-Aviation, après l'euphorie des premiers jours, due à l'enchaînement des évènements nationaux, la situation est toujours bloquée avec la Direction Générale. Les responsables syndicaux doivent faire face au ravitaillement des internés. Les réserves de la cantine s'épuisent et il faut prendre des dispositions.

Les ouvriers grévistes sont autorisés à retourner dormir chez eux, moyennant une permission de sortie délivrée par le comité de grève, avec promesse de venir reprendre leurs places le lendemain. Ce n'est pas le cas des otages qui d'une dizaine sont passés au double en raison de la solidarité de tous les cadres avec leur Directeur.

Au bout de quelques jours, Georges Vincent, responsable CGT, déclare la situation pesante.

A la fin de la première semaine, il a même envisagé la libération du directeur, mais la base ne le suit pas, car « l'otage est notre monnaie d'échange » disent-ils !

Il est alors décidé que la direction et son état major soient autorisés à recevoir du ravitaillement par leurs familles , à condition que ces dernières ne pénètrent pas dans l'usine.

Et c'est ainsi que les journalistes immortalisent la scène ou les femmes viennent à l'extérieur de l'établissement, en bordure de la clôture, avec un panier, plein de victuailles, qui est hissé jusqu'à la fenêtre du premier étage où séjournent les otages.

Pendant ce temps, dans l'usine, une certaine forme d'organisation s'est mise en place.

Le comité de grève définit les tours de garde, comme à l'armée, avec des rondes. Il organise la sécurité et la maintenance de l'outil de production.

La situation s'enlise. La Direction Générale refuse de négocier sur les accords salariaux, tant que Pierre Duvochel, le directeur de l'usine, sera maintenu comme otage.

Un moment de détente

Le 19 Mai, une journée « porte ouverte » est organisée . Elle s'apparente à une grande kermesse qui se déroule dans l'enceinte de Sud-Aviation de Nantes. Toute la populal.tion et les familles y sont invitées.

Près de 5000 curieux viennent voir ces « irréductibles Gaulois », par qui tout est arrivé. Il y a une queue de voitures de plusieurs kilomètres. Sur un podium, en plein­air, des professionnels du spectacle, mais aussi et surtout des ouvriers, artistes amateurs, se produisent, ainsi que des démonstrations du club Sur un podium, en plein-air, des ouvriers artistes amateurs se produisent, ainsi que des démonstrations du club de judo. On fait aussi chanter l'Internationale à la foule présente ; des jeunes filles ont apporté de l'aubépine de mai et des marguerites pour fleurir la fête : Tout un symbole.

La recette obtenue permet de poursuivre l'achat de la nourriture des grévistes occupants. La semaine suivante cette kermesse a lieu dans l'usine de Saint-Nazaire et c'est Jean Ferrat qui assure le spectacle bénévolement. La présence du chanteur n'est pas, à proprement parler, une surprise ; Ferrat a, tout au long de son répertoire, affiché ses idées ; cela lui valut pendant certaines périodes une mise à l'index.

Le 20 mai, la grève se généralise

Entre le 20 et le 26 mai, toutes les entreprises y compris les administrations se mettent en grève.

Le 20 mai, les consignes données par les organisations syndicales sont appliquées aussitôt dans presque toute la Métallurgie. Les usines sont occupées . Les P. & T. cessent de distribuer le courrier et ferment leurs guichets. La raffinerie Antar, à Donges est occupée ; les livraisons de carburant arrivent au « compte-gouttes » dans les stations. Il n'y a pas encore d'affolement car tout le monde n'a pas une voiture et beaucoup d'ouvriers vont en mobylette ou en vélo travailler.

L'ensemble des métiers du bâtiment est aussi en grève.

Le 20 mai, les bacs arrêtent d'ssurer le transfert d'une rive à l'autre à Mindin, au Pellerin et à Indret. Les banques, les ASSEDIC, les administrations ferment le même jour. Les cars Drouin restent au garage. Le personnel communal, les écoles cessent aussi le travail.

Le 22 mai ce sont les magasins de Nantes et des grandes villes qui ferment. Seuls, comme à Saint-Jean, les "petits commerces restent ouverts et rencontrent de sérieux problèmes d'approvisionnement. La bière et le tabac commencent à se faire rares. Les boulangeries sont en conflit avec les syndicats de la Métallurgie qui veulent contrôler la distribution du fuel qui se fait rare et dont ils ont besoin pour le fonctionnement de leur four. Cela finit par s'arranger et le pain ne manquera pas à Saint-Jean.

Le pays est paralysé.

Des réunions entre les responsables syndicaux des diverses entreprises se tiennent à la Bourse du Travail à Nantes et peu à peu cette grève prend l'aspect d'une grève politique.

Des meetings politiques menés principalement par les étudiants Cohn Bendit et Geismar se déroulent en province. Les étudiants voient aussi l'occasion de prendre le pouvoir et l'espoir de transformer la société. Cependant , les ouvriers et les agriculteurs ne s'allient pas avec cette jeunesse éprise d'idéal et de libertés sexuelles, sauf à Nantes où beaucoup d'étudiants sont issus d'un foyer modeste.

Dany le Rouge, nom donné à l'époque à Cohn Bendit, a son frère professeur dans un collège de Saint Nazaire. Jean-Luc se rappelle : « Je me souviens l'avoir vu tenir son meeting sur la plage de cette ville, le dimanche 19, devant les étudiants de la région tous acquis à son message sur le thème « il est interdit d'interdire ». Peu d'adultes étaient présents. »

Et la lutte continue

Le 23 mai, la situation a encore empiré, mais dans l'usine de Sud-Aviation, tout est maintenant rôdé pour tenir le siège. La cantine continue de servir deux repas chauds par jour, grâce au service de l'économat du CE. Dans les bivouacs des piquets de grève, l'alimentation des feux pose quelques problèmes car les vieux pneus qui servent de combustibles commencent à manquer. « ... mais la solidarité avec les agriculteurs des environs permet d'être ravitaillé par de pleines charrettes de bois. Ils nous vendaient aussi leurs légumes. » Pour varier les loisirs des ouvriers, le club de judo installe ses tatamis et environ deux cents grévistes s'entraînent aux joies « du troisième de hanche » et à la « planchette japonaise ».
Le soir, des séances de cinéma sont organisées.

Les grands magasins sont eux aussi très sollicités par le comité de grève qui siége à la mairie de Nantes, afin d'obtenir du ravitaillement au moindre prix. Gare à ceux qui refusent toute participation : certaines vitrines en souffrent.

Un autre appoint de subsistance, non négligeable, consiste à envoyer des grévistes à la pêche sur la côte de Jade. Ils reviennent avec des sacs à pommes de terre plein de coquillages et crustacés ... mauvaise année pour les araignées et autres baledresses qui contribuent abondamment, à l'effort de grève et ... à la subsistance des occupants des usines de Sud Aviation. Il en est de même pour les lapins qui pullulent sur l'aérodrome. « On allait tendre des collets comme les braconniers. » Des profiteurs font des collectes dans les cafés, soit disant pour les grévistes, mais gardent pour eux le fruit des généreux donateurs.
(21 mai non au racket)

Enfin, les cadres sont autorisés à pouvoir retourner chez eux pour une nuit. Mais, pour être sûr qu'ils reviennent, les permissions sont accordées par groupe de trois. Les suivants doivent attendre le retour des permissionnaires.
Seul le directeur est exclu de cette mesure.

Après dix jours de grèves, le problème des salaires va se poser. Plus personne pour faire les payes et le personnel de Sud-Aviation, grévistes et non-grévistes, ne perçoit aucun salaire. Le conflit va-t-il s'arrêter faute de ressources ?

Devant ce risque, une délégation syndicale se rend à Paris, à la Direction Générale pour occuper les locaux et finit par obtenir qu'un acompte sur les salaires soit versé. Ce sont les responsables syndicaux qui vont retirer l'argent liquide dans les banques pour payer les salariés. Le responsable, chargé d'établir les avances, est réquisitionné.

Du coté pratique on s'organise également. La cantine sert des sandwiches ; les jours suivants chacun doit bien évidemment apporter son ravitaillement. Le retour des gens du nord est assuré par les ressortissants propriétaires de canots et par les nombreux mariniers de Basse-Indre qui cautionnent cette action ; pendant toute la durée du conflit, il en sera ainsi.

Laissons-nous-entraîner, pour quelques instants, par l'envolée bucolique de Raymond Briant se remémorant ses sentiments par un doux matin de ce mai 68 :
« Habituellement, les départs du bac sont réglés par l'horloge du clocher de Basse­ Indre qui sonne tous les quarts d'heure ; maintenant, le bac est immobile, amarré à son ponton. Nulle circulation en Loire.
« Comme chaque matin, j'arrive très tôt sur le quai de Basse-Indre, où j'attends mon passeur. La rive est déserte. La ville dort.
La Loire coule sans une ride et les usines sont muettes.
L'horloge annonce goutte à goutte le troisième quart de six heures. Le clocher paisiblement accomplit depuis des siècles son rôle évocateur. Il parle de Celui qui fait de si calmes matins.
Tout est calme et reposé et, tout à l'heure, je vais aller bouleverser cette paix, je vais aller crier la révolte et la lutte !
».

Hormis les luttes d'influences entre la CGT et la CFDT dans le but de s'attribuer la paternité du mouvement et par delà en récolter les fruits et les adhésions futures, à part les quelques manifestations d'humeur des inconditionnels « jaunes » peu nombreux et arrêtés par la fermetures des portes, aucun incident n'a lieu pendant cette première semaine.

La fin du mois est proche. La paye sera-t-elle distribuée ?
C'est du Directeur, bien isolé dans son château, que vient la réponse. Il a reçu des instructions pour que les payes soient versées. Après discussions il est admis que le comité de grève en assurera la gestion.

Habituellement, le transfert de fonds se fait sous escorte armée (gendarmes maritimes et gardiens) accompagnant l'officier trésorier-payeur à la Trésorerie Générale et à la Banque de France. Mais cette fois, vu les sommes importantes transportées, comment éviter les barrages et les piquets de grève dans le contexte présent !

C'est ainsi que, pour éviter tout excès, la voiture transportant les fonds effectue son trajet, escortée à l'avant et à l'arrière de 2 voitures porteuses de laissez-passer munis des cachets syndicaux.

Un dernier point reste à régler : la distribution. Elle aura lieu dans les locaux syndicaux et par ateliers successifs. La personne secondant habituellement l'officier­payeur est une « jaune » notoire. Devant l'hostilité à son égard, manifestée par les grévistes, elle est évincée et c'est Roger Grégoire qui est mandaté pour la suppléer.

La gestion du quotidien

Il n'existe plus ni samedi, ni dimanche, pour les responsables syndicaux ; que leurs compétences soient locales, départementales ou nationales la gestion du quotidien devient leur préoccupation de tous les instants.

Les conséquences de ces différents conflits sont considérables. La sécu fermée, plus de remboursements. La confédération met en place des comités provisoires de gestion de la Sécurité Sociale.

Le secteur de l'alimentation, s'enchaîne. Le ramassage du lait, le transport des denrées tout s'enchaîne.

Les banques quant à elles, grâce à un personnel « mobilisé » assurent que les fonds nécessaires à la paye des salariés pourront être débloqués.

Dans les hôpitaux, bien que grévistes, tous les salariés assurent les soins aux malades.

Heureusement la solidarité joue parmi les personnels en lutte, mais également grâce à la compréhension d'autres corporations.

L'essence manque.
A Nantes, le comité de grève est chargé de parer au plus urgent et principalement à la distribution des bons d'essence avec toute la rigueur possible afin d'en assurer la plus juste répartition.

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