Histoire de Saint Jean de Boiseau

Le lin et l'exploitation du lin (1)



Cette rubrique sur le lin qui ne peut trop s'étendre est regroupée sur 5 pages. Si vous désirez aborder directement un sujet précis, nous vous invitons à le rejoindre directement en le sélectionnant dans la rubrique ci-après. Sinon, n'hésitez pas à vous plonger dans cette lecture en vous disant que nous vous proposons en dernière page d'acquérir une plaquette que nous avons éditée sur le sujet.




Avant

... Avant que le développement industriel et urbain ne laisse plus à la campagne que le charme de la nostalgie, avant que les travaux agraires n'aient le goût de paradis perdus et que les souvenirs lointains de cette vie rurale ne soient l'objet d'études ethnographiques ... les fibres utilisées pour se vêtir, emballer, ficeler, protéger, parfois même écrire étaient extraites de végétaux ou de poils d'animaux.

Le lin était déjà connu 2 400 ans avant J.-C. en Mésopotamie, en Assyrie et en Egypte. Les bandelettes qui entouraient les momies étaient en lin. D'après Virgile, les gaulois auraient fait connaître la culture du lin aux Romains et Pline signalait que ces derniers utilisaient le lin pour faire leurs voiles

Il est magique de voir la tige se transformer en filasse, puis la filasse en fil. Les démonstrations qui peuvent en être faites montrent un public étonné de voir les fibres apparaître de la tige, séduit en caressant les torches de filasse, les rubans de fibres peignées et impressionné en mesurant la résistance des fils produits. C'est d'ailleurs en raison de cette résistance que sont fabriqués en lin autant les fils chirurgicaux que de nombreux tissus techniques et cordages. Ne disait-on pas qu'un drap de lin pouvait accompagner quatre générations ?



Caractéristiques du lin :

Le lin est composé de 72 à 82% de cellulose, de 15 à 20% de pectone et de 2 à 3% de cire. Il absorbe l'eau mais celle-ci s'évapore rapidement. Sa fibre est longue de 5 à 20 cm et plus ; sa finesse est très grande, son élasticité faible et sa souplesse moyenne. Il est brillant et soyeux, bon conducteur de chaleur et les tissus réalisés à partir de cette plante sont agréables et frais à porter.

C'est dans la région du nord de notre pays que se trouvent la majorité des lins blancs, les gris viennent, eux, de la Bretagne, quant aux roux, nous les devons à la Picardie et à la Normandie.

La tige du lin textile est droite, dressée, cylindrique, haute de 0,80 m à 1,20 m, d'un diamètre de 1 à 3 mm, sa racine est pivotante et courte. ses fibres sont disséminées par faisceaux dans une couronne péricyclique, dite « liber » qui entoure la partie interne ligneuse de la tige.

Les lins oléagineux sont plus courts, plus clairsemés, plus ramifiés ; leurs fibres sont plus rares, plus friables, plus grossières que celle des lins textiles moins riches en graines et produisant donc moins d'huile.

- LE BOBINAGE :

La culture et la récolte du lin :

Le lin est semé vers mars-avril et sort de terre en mai mais ses petites fleurs bleues ne verront le jour qu'en juin. La maturité de la plante est atteinte en juillet, elle sera alors arrachée ( et non coupée ). La transformation en fibres débutera en juillet-août par l'opération de rouissage. Les pailles ainsi préparées seront stockées au sec en août-septembre.

« Le lin fait trembler son maître 7 fois entre les semailles et la récolte » dit le dicton. Cette culture demande, en effet, beaucoup de soins. Le lin est attaqué par un champignon qui dessèche les racines, brunit les feuilles et occasionne la « brûlure du lin ». La température et les conditions plus particulières du temps au mois de juin influent beaucoup sur la qualité finale de la fibre. L'arrachage a lieu, selon les conditions climatiques, 16 à 17 semaines après les semailles.

Une fois récoltée, cette plante doit être battue (comme le blé). Pour cela, sur une plate-forme, on étend un drap où les bottes de lin seront arrimées. On les dispose de façon à constituer deux rangées, tout en disposant les capsules renfermant les graines au centre. Une pièce de bois assez lourde sera posée sur les tiges, pour les empêcher de se déplacer pendant l'opération.

Le fléau est formé de deux bâtons de bois qui s'articulent grâce à un harnais en cuir qui les unit et leur permet de tourner librement.

A chaque extrémité d'une des rangées de lin, les batteurs prennent place et, tour à tour, battent les capsules renfermant les graines. Les tiges seront ramassées en vue de l'opération de chauffage. Quant aux graines, elles seront précautionneusement ramassées dans la couverture pour le vannage qui séparera les déchets volatils ( le son) de la graine.

Il est à noter que souvent au XVIII° et au début du XIX°, on battait le lin avec une simple gaule taillée dans une jeune pousse de châtaignier ou de chêne. Cette pratique se faisait au mépris des plantations qui étaient parfois saccagées pour obtenir la matière première nécessaire. Et ceci, à tel point, que les autorités départementales s'en émurent suite à de nombreuses plaintes qui furent déposées. Si bien que le Préfet de Loire-Inférieure au début du XIX° dut prendre un arrêté « Il est fait défense à tout cultivateur de battre ses grains avec des gaules ». Le tout accompagné des mesures et des sanctions à appliquer à tous les contrevenants, le présent arrêté ayant été imprimé et diffusé dans toutes les communes du département.

Cultiver du lin, c'est bien joli, mais comment confectionner un tissu ?

Plusieurs opérations sont nécessaires :

- LE ROUISSAGE :

C'est une opération qui consistait à immerger la plante dans l'eau pendant plusieurs jours. Son but est de décoler la fibre (faisceau de fibrilles) de l'aubier ( bois de la tige) en dissolvant le ciment (pectose) qui le lie. Cett fermentation se fait grâce à un bacille appelé amylobacter. Or ce bacille est anaérobique, il prend donc l'oxygène dont il a besoin dans l'eau dans laquelle la plante est trempée. La réaction détruit donc le liant entre fibre et aubier. Ce bacille qui vit en temps ordinaire sous terre à une certaine profondeur est apporté dans la plante par ses racines. C'est la raison pour laquelle, nous vous l'avons dit plus haut, le lin doit être arraché ET NON COUPE. Les techniques modernes ont permis de se libérer de cette contrainte. Mais cette opération de « trempage » avait des inconvénients pour la faune et la flore aquatique, la disparition de l'oxygène de l'eau n'était pas sans conséquences. En outre, les odeurs nauséabondes se faisaient remarquer loin à la ronde.

Ce phénomène a provoqué très tôt des réactions de la part des autorités. C'est en ... août 1669 qu'est connue la première ordonnance traitant du sujet. Bien d'autres arrêts seront promulgués avant que les lois d'août 1790 et juillet 1791 ne viennent renforcer la réglementation. Mais c'est surtout au début du XIX° siècle que les arrêtés (notamment préfectoraux) seront légion puisqu'ils seront parfois l'objet de volte-faces spectaculaires sur les directives données. Ainsi le 18 juin 1840, le Préfet de L. I. écrivait : « L'intérêt général qui doit toujours guider l'Administration, quoiqu'elle soit encore obligée de le concilier le plus possible avec l'intérêt particulier, exige que le rouissage du chanvre et du lin ne soit pas totalement interdit ». Après avoir reconnu un an plus tard que les mesures répressives liées au rouissage « ont dépassé le but, en imposant des conditions qui rendaient impossible cette utile culture » et s'être demandé « jusqu'où devaient s'étendre les limites de sa sévérité », il traite d'un ouvrage qu'il qualifie lui-même d'extrêmement remarquable et dans lequel on peut lire : « 1° Les exhalations fétides dues au rouissage du chanvre n'ont aucune influence fâcheuse sur la santé ; 2° Les eaux des routoirs peuvent être bues sans danger par les hommes et les animaux quelque infectes qu'elles soient ( mais oui, vous avez bien lu) ... 5° L'eau corrompue et stagnante des routoirs perd son odeur infecte et reprend sa limpidité quatre ou cinq semaines après qu'on y ait déposé du chanvre ».

Ces préambules terminés, les articles suivants assoupliront la réglementation sur les manières autorisées de procéder au rouissage.

Quelques techniques de rouissage :

a - Rouissage à terre : Les tiges avec leurs graines étaient laissées sur le sol afin que s'y développe, grâce à l'alternance du soleil, de la rosée et des pluies, une fermentation fongique qui permettait le décollement de la couronne fibreuse du bois central (opération qui durait de 3 à 5 semaines). Cette méthode était plutôt appliquée pour les lins de basse qualité.

b) - Rouissage en eaux courantes : Le lin est alors immergé. Il fallait déplacer des pierres dans le cours des fleuves ou rivières pour créer des barrages artificiels et lester les bottes de lin (sources de nombreux différends). Ce procédé qui donnait d'excellents résultats était dû essentiellement à la qualité de l'eau peu calcaire, exempte de sel et de fer qui favorisait le développement du bacille. En contre-partie il impliquait une forte pollution des eaux. La technique d'immersion consistait dans un premier temps à mettre le lin en bottes. Celles-ci étaient liées deux par deux de manière à ce que la tête de l'une voisine avec le bas des tiges de l'autre ; cela formait un « bonjeau » d'un poids voisin de 8 kg. Ces derniers étaient placés verticalement dans des ballons ou caisses en bois à claire-voie, ouvertes sur le dessus et sur un côté, contenant 1200 à 1600 kg de lin. On entassait les bottes et on couvrait le tout de paille. Pour empêcher le tout d'être emporté par les courants, on chargeait l'ensemble avec de lourdes pierres jusqu'à ce que le tout soit complètement immergé.

c) - Rouissage en eaux dormantes : Le lin était placé dans des trous plus ou moins prévus à cet effet. De très fortes odeurs nauséabondes se dégageaient.
Dans tous les cas, ce procédé, très efficace et qu'il fallait parfaitement maîtriser, amenait une forte pollution des eaux. Il fut progressivement abandonné en raison de la nécessité de changer souvent les eaux stagnantes pour éviter le développement de ferments putrides, dangereux pour les animaux.

d) - Rouissage chimique : Il avait deux objectifs : diminuer le temps de rouissage classique et éviter la pollution des eaux.
Plusieurs techniques furent, là encore, employées. L'une d'entre elles consistait à tremper les bottes dans un mélange d'eau et d'acide sulfurique, peu acide qui était souvent agité. Elle donnait de bons résultats mais était particulièrement fastidieuse puisqu'il fallait plonger les bottes à plusieurs reprises, les retirer et les égoutter à chaque fois. Il fallait en outre laver impérativement ces bottes à l'eau claire avant chaque immersion. Un rinçage final dans une préparation alcaline faite d'eau, de potasse ou de soude assez peu concentrée était indispensable.

- LE CHAUFFAGE :

Avant de passer à l'étape suivante, les tiges de lin devaient être très sèches. Dans nos campagnes, on utilisait parfois les fours à pain, sinon un foyer de briques ou de pierres était dressé. Le feu, une fois allumé, était étouffé en l'aspergeant d'eau à intervalles réguliers à l'aide d'un balai de genêts pour qu'il ne prenne pas trop d'ampleur. La botte de lin était alors posée en travers du foyer en veillant à ne pas trop le couvrir, de manière à pouvoir vérifier qu'elle ne s'enflamme pas. Elle est retournée souvent afin de régulariser la chauffe. Cette opération est terminée lorsque la chènevotte (coeur de la tige de couleur blanche) tombe facilement et ne colle pas à la filasse quand on gratte une tige de lin chauffée avec l'ongle. Le lin est alors prêt pour l'opération suivante : le broyage.

- LE BROYAGE :

Appelé également « brayage », « brisage » ou « macquage », cette opération consistait à briser la partie centrale de la tige en petites particules afin de la débarrasser de sa partie ligneuse. On la pratiquait avec un instrument en bois qui ressemblait à un grand hachoir à tabac. La « broie », « braye » ou « macque » apparaît à la fin du Moyen-Âge ; il s'agissait généralement d'une portion de tronc d'arbre évidé dans lequel s'abattait un ou plusieurs couteaux généralement de bois puis par la suite en métal.
Cet outil qui est toujours resté rudimentaire dans notre région a parfois, ailleurs, été adapté pour devenir un objet d'art ou d'ameublement. Le musée de Léningrad détient un squelette de tête de cheval qui aurait servi à cet usage. Par ailleurs, de véritables petits meubles ont été créés pour subvenir à cette fonction. Mais cette tendance faisait alors suite à une utilisation de la broie à l'intérieur de la maison d'habitation alors que dans nos régions, cette opération s'est toujours déroulée dans la grange.
A noter également que parfois, notamment en Angleterre, cette opération était effectuée par battage entre une pierre unie et un maillet. On parlait alors de « pierre à lin ».

Pour agrémenter quelques vues à vous.