C'est le 16 mars que Danghin, curé de la
paroisse reçoit l'ordre de communiquer à ses paroissiens la
convocation pour les Etats Généraux qui ne s'étaient pas réunis
depuis ...1614 : « Sa Majesté désire que
s'assemblent dans les villes et les villages dans le plus bref temps,
les habitants pour conférer ensemble tant des remontrances, plaintes et
doléances que des moyens et avis qu'ils auront à proposer et pour
élire, choisir et nommer des personnes dignes de confiance, capables de
transmettre ces remontrances et propositions aux divers états ».
Le 31 mars, 12 notables de St Jean, le curé Danghin et quelques
dizaines d'habitants se réunissent dans le cimetière « la
chambre (la sacristie) étant trop
petite pour contenir le peuple ». Ils établiront leur
cahier de doléances. La modération du ton montre qu'ils croient encore
dans la justice du roi. Leurs réclamations visent donc principalement
la seigneurie locale, le sieur de Martel avec qui ils ont des démélés.
Ce
souci d'une plus grande justice semble primordial dans l'esprit de nos
concitoyens. C'est sans doute la raison pour laquelle les premiers
paragraphes de
leur cahier traiteront tous de cet aspect.
« Les suppliants
demandent une meilleure administration dans la justice et, au cas
qu'il plût à Sa Majesté d'établir de distance en distance des
barres royales (tribunaux royaux)
ils demandent à être réunis à un chef-lieu le plus proche
possible, voire même au siège du Pellerin ... ».
Les procédures qu'ils mènent parfois pour
obtenir satisfaction lors de conflits avec leur seigneur sont
généralement très longues, aussi demandent-ils : « une
abréviation des procès, car depuis quarante ans ils plaident
contre leur seigneur pour avoir le partage de quatre cents journaux
de communs, et depuis ce temps ils n'ont pu obtenir justice ». Mieux, dans le conflit évoqué, une décision de justice
vieille de 13 ans et qui leur donnait satisfaction n'a pas été
appliquée par de Martel. Il s'est même permis d'afféager des
terres qui ne lui appartenaient pas en propre. « C'est pourquoi
les suppliants demandent que tout ce que le seigneur a afféagé
depuis la sentence de 1776 soit remis dans son premier état, et que
tous les fossés soient abattus aux frais et dépens de ceux qui les
ont fait lever ».
Lorsqu'une vente de terre roturière a lieu, le
seigneur perçoit un droit sur cette transaction appelé droit de
lods et ventes. C'est lui qui en fixe le montant. On assiste ainsi
à des disparités d'un lieu à un autre. Ce système doit être
aboli et regroupé sous l'autorité royale pour uniformiser les
taxes. « Si Sa Majesté s'empare des
justices et qu'elle les fasse exercer en son nom, et qu'elle
perçoive elle seule les lods et ventes, elle sera suppliée de les
réduire toutes au même taux ; d'un côté de la Loire on les paye
au huit et de l'autre côté au six ; il serait donc juste de les
porter toutes au même point, c'est-à-dire au huit [...]
»;
Allègement des impôts :
Cette
pression est écrasante pour le peuple et il convient donc d'en alléger
autant que faire se peut la charge. Aussi nos habitants vont-ils
énumérer certains de leurs griefs qu'il s'agisse de :
Francs-fiefs.Droits qu'acquitte un roturier
lorsqu'il acquiert une terre noble, il représente environ le revenu
d'une année sur vingt et a été généralisé depuis 1771 sur
l'ensemble du royaume. A St Jean, on demandera donc « la
suppression des francs-fiefs, des huit sous pour livres et du
centième denier des successions collatérales ».
Droits de contrôle et d'insinuation. Depuis
près d'un siècle, les actes notariés et les exploits d'huissiers
sont soumis à un contrôle, soit un enregistrement sur les
registres du greffe de la sénéchaussée. Quant aux actes sous
seing privé, une formalité similaire est appliquée. Il va de soi
que ces opérations donnent lieu à des taxes supplémentaires. Là
encore, un allègement est sollicité : « On
demande qu'il soit fait un tarif pour les droits de contrôle et
d'insinuation, qu'il soit modéré, et que les dix sous pour Livres
en soient supprimés ... »
Mouteaux et fours à ban. Il s'agit là de
l'ensemble des habitants qui sont soumis à l'obligation (même
parfois en cas de non utilisation) de verser une rente pour l'usage
de banalités (moulins, pressoirs etc.). Une suppression pure et
simple est requise à leur encontre.
Dîmes. Cet impôt est sans contestation
possible le plus connu. Il consiste en une taxe - une de plus -
prélevée au bénéfice de l'Eglise. En outre, cette somme ne reste
quasiment pas dans la paroisse où elle est prélevée puisqu'elle
est reversée en grande partie à des prélats qui parfois ne
viendront jamais de leur vie dans la paroisse concernée. Injustice
flagrante. Aussi, convient-il de « demander
la suppression des dîmes et la dotation des curés sur les abbayes
commenditaires qui sont réunies à la province ; et au cas que cela
ne puisse avoir lieu, on demande que toutes les autres dîmes qui se
perçoivent dans la paroisse par des ecclésiastiques non
domiciliés soient réunies à la cure, auquel cas la dîme du
recteur soit réduite au vingt ou au trente ».
Plus de libertés :
La
société de l'époque avait ses règles qui ne pouvaient satisfaire
tout le monde puisqu'elle était fondée sur le principe des
privilèges, système qui sera aboli durant la nuit du 4 août. Si ce
fut une des premières mesures prises par le futur pouvoir
révolutionnaire, c'est qu'elle correspondait à une aspiration profonde
parmi le peuple.
St Jean n'échappe pas à cette règle. La vie est subordonnée en
grande partie au travail de la terre. Or, les seigneurs se sont arrogés
des droits qui contrarient le travail des cultivateurs :
Fuies : Le seigneur pour montrer sa
puissance a le droit de disposer d'un pigeonnier dont l'importance
est très souvent liée au domaine. Les oiseaux qu'il abrite sont
une véritable catastrophe pour les cultivateurs par les dégâts
qu'ils occasionnent. Leur suppression est requise.
Garennes : Le droit de garenne est un droit
supplémentaire acquis par la noblesse qui permet au seigneur
d'avoir des bosquets ou des landes. Ces terrains vagues sont des
réserves pour les lapins. Or les lapins, eux aussi, occasionnent
des dégâts dans les cultures, en outre ces landes sont autant de
terres que les habitants ne peuvent cultiver. Ces derniers
réclament dont également leur suppression.
Quintaine : A l'origine, il s'agissait d'un
jeu qui consistait à briser des lances contre un pieu planté en
terre. En Bretagne, notamment, cette pratique était devenue une
obligation pour les nouveaux mariés. Si cela pouvait être compris
comme une distraction et pouvait donner lieu à une petite fête,
cela était également souvent ressenti comme un épisode vexatoire
pour ceux qui le pratiquaient, la technique des armes n'étant pas
souvent leur fort. D'autant que l'on pouvait parfois y échapper
moyennant ... une redevance. troisième motif de suppression
réclamé.
Chasses : La chasse était donc un droit réservé à
la seigneurie. Profonde injustice qui ne peut être réparée qu'en
demandant que « la chasse soit défendue ou
permise à tout le monde, ou en tout cas que le laboureur ait la
permission de tendre des lacets pour prendre les gibiers qui
viendraient manger sa récolte ».
Le peuple a décidément bien des devoirs et peu de droits. Il est
astreint à certaines actions auxquelles échappent naturellement les
tenants du pouvoir.
Il doit ainsi à son seigneur des corvées. Ce
sont en fait un certain nombre de journées de travail gratuit. Les
boiséens demandent donc « la suppression
de la corvée et que les seigneurs soient tenus de faire percevoir
leurs rentes comme tous les autres particuliers ».
Il en est de même pour la milice. Injustice
d'autant plus criante que certains peuvent en être dispensés, ce
sont essentiellement les serviteurs de la noblesse ou du
haut-clergé qui doivent rester à la disposition de leurs maîtres.
Là encore apparaît une demande de suppression « et
si cela ne peut avoir lieu, on demande que les domestiques des
gentilshommes des ecclésiastiques et de tous les autres
privilégiés soient compris dans les rôles de la paroisse
».
Et puisque l'occasion est de dire tout ce que
l'on a sur le coeur, pourquoi ne pas demander une égalité totale
et pourquoi le paysan n'aurait-il pas les mêmes droits que
les plus hauts placés dans la hiérarchie sociale ? « Et
finalement ceux qui seront députés de la paroisse de St Jean à
Nantes auront attention de déclarer que les habitants s'en
rapportent à tout ce que le Tiers-Etat a déjà demandé et ce
qu'il demandera ci-après en sa faveur, tant pour la suppression de
la corvée des grands chemins que pour l'établissement des
casernes, pour que les habitants de la campagne soient admis dans
les députations et dans tous les emplois honorifiques
». Voilà un mandat bien précis !
La Loire, artère vitale :
Les
gros villages de St Jean, le Fresne, Boiseau, Le bourg, La Télindière
étaient tous situés en bordure immédiate du fleuve qui se trouve
être l'artère économique de la région. C'est en effet à l'époque
le moyen de transport le plus aisé. Or depuis quelques décennies, le
lit du fleuve a été modifié artificiellement et les boiséens, non
seulement ne disposent plus d'un accès direct à ce fleuve mais voient
en outre cet accès continuer à se dégrader. Ils réclament donc « que
le port ou pour mieux dire la rivière, à l'endroit où se font les
exportations ou importations des denrées de la paroisse, soit rendu
libre et navigable en tous temps ». Nos ancêtres ne peuvent
comprendre que l'« on a jeté et on jette
continuellement des tas de pierres considérables qui bouchent le cours
de la rivière et causent un préjudice considérable à la paroisse
». Après avoir indiqué que plusieurs bateaux se sont perdus sur ces
nouvelles constructions et que plusieurs habitants y ont couru des
dangers tels qu'il s'en ait fallu de peu que plusieurs d'entre eux en
perdent la vie, ils demandent « que les pieux
et les pierres soient ôtés aux frais et dépens des afféagistes qui
les ont fait mettre, et qu'on coupe, ou la digue du côté du Fresne, ou
la queue de l'île d'Indret en dessous du crucifix de la longueur de
quarante brasses, avec le droit d'y pêcher librement »
Quelques commentaires :
Le curé
Danghin qui était un homme très en pointe sur le plan des idées
est en grande partie à l'origine de la rédaction de ce cahier. Il n'en
demeure pas moins que son contenu s'inspire des cahiers-type qui
circulaient à l'époque. Il en est ainsi des paragraphes qui traitent
des corvées, de la milice, des fuies et garennes, de l'inégalité des
impôts, des terres vagues et des communs etc. D'autres restent
toutefois directement liés aux problèmes que vivent quotidiennement
les boiséens, ainsi l'exemple du fleuve. Mais au-delà de ces
considérations, ce qui est peut-être le plus frappant, c'est de
constater que le peuple croit encore en la justice du roi et que ses
griefs vont à l'encontre du seigneur local. Ces cahiers montrent donc
que le peuple des campagnes (St Jean n'est pas un cas isolé) n'est pas
prêt pour une Révolution. Il voit seulement dans cette décision
royale de faire remonter les doléances jusqu'à Versailles une
opportunité de faire connaître ses malheurs et, qui sait, d'obtenir
quelques modifications qui amélioreront ses conditions de vie en
retirant un peu des pouvoirs au seigneur local. Des décisions qui
pourraient paraître impopulaires seront prises dans les années qui
vont suivre sans soulever de véritable colère. Il faudra attendre mars
1793 et la levée de 300 000 hommes pour que la région se soulève.
Mais St Jean ce jour-là aura choisi son camp et ne participera pas au
soulèvement.