Une journée aux bords de la Sèvre nantaise |
Et si pour cette année 2001, notre sortie annuelle se
passait à Clisson !
Clisson, on connaît. On y passe souvent!
Vous avez visité son château ? " Non... mais on le voit de la nationale, en
passant sur le pont qui enjambe la Moine.
Et la Garenne Lemot? Non... mais on passe juste devant.
Cette unanimité dans la négation ne pouvait que nous conforter dans notre
proposition.
C'est ainsi que le 29 septembre dernier, nous étions 42 à répondre à l'appel
de la société d'histoire qui nous conviait à passer une journée à "regarder"
et à "écouter" Clisson.
Nous nous étions donné trois objectifs : Pénétrer dans l'histoire du château,
situer Clisson dans le contexte des guerres de Vendée et enfin, en
dégustation sans modération, se fondre dans cette douceur italienne que
constitue la Garenne Lemot.
Le ciel, un instant menaçant, participa, à sa façon, à rendre cette journée
agréable et autorisa les plus pessimistes à remiser très tôt, et d'une
manière définitive, les parapluies au plus profond des coffres de voitures.
A tout seigneur, tout honneur : notre première visite nous
la devions à ce Clisson du treizième siècle et à son plus beau fleuron. son
château, qui malgré l'érosion du temps et les aléas de l'Histoire n'a rien
perdu de sa noblesse et domine toujours avec autant de majesté la Sèvre
nantaise.
Que l'on évoque la période révolutionnaire, que l'on soit au coeur de la
Garenne Lemot il n'est pas un instant sans qu'il n'apparaisse à nouveau : Ce
sera notre fil conducteur tout au long de cette journée.<
Située au carrefour de la Bretagne, de l'Anjou et du Poitou cette forteresse
de style moyenâgeux était toute désignée à jouer un rôle dans l'Histoire.
Bien que la maison de Clisson ait été fondée en 1040, c'est au début du
Xlllème siècle que Guillaume le Jeune, seigneur de Clisson entreprit cette
construction. Peu de temps après, il eut même le privilège d'accueillir
(en 123O) Louis IX, plus connu sous le nom de Saint Louis, accompagné de sa
mère, Blanche de Castille, venu y signer un traité avec Hugues de Lusignan. A
cette époque seule la partie sud existait.
Par la suite ce puissant édifice subit différents agrandissements ou
transformations pour des raisons soit de simple confort, soit, et surtout,
pour suivre l'évolution des techniques d'armements et ainsi améliorer ses
systèmes de défense.<
Au début du XlVème siècle, Olivier III, puis son fils Olivier IV, agrandirent
la citadelle. C'est à ce dernier notamment que l'on doit l'imposant donjon.
Le XlVème siècle c'est le début de la Guerre de cent ans, mais c'est aussi
pour la Bretagne un autre conflit tout aussi important : en 1341, la Guerre
de succession au duc de Bretagne plus connue sous le nom de "Guerre des 2
Jeannes". Jean III n'ayant pas de descendance directe, ce sont ses neveux
qui se présentent comme prétendants à cette succession : d'une part, Jeanne
de Penthlèvre, mariée à Charles de Blois et qui a l'appui de Philippe de
Valois, roi de France et, d'autre part, Jean IV de Montfort, son frère cadet
marié à Jeanne de Flandre.
Olivier IV, se marie à Jeanne de Belleville; immensément riche, Dame de la
Garnache, de Noirmoutier, de l'île d'Yeu, elle se trouve propulsée dans ce
conflit. ls optent pour la défense de la légitimité que représentent à leurs yeux les intérêts de Jeanne de
Penthièvre. En 1343 accusé de trahison par le roi de France, Philippe de
Valois, Olivier est décapité.
Jeanne de Belleville, n'acceptera jamais ce verdict et cette sanction. Dès
lors, réfugiée en AngIeterre, sous la protection d'Edouard III, elle voue une
haine sans merci à la cause défendue par le roi de France. Elle fait jurer à
son fils. le jeune Olivier V, de venger ce père injustement puni.
De retour en France Olivier met toute sa fougue et son savoir au service de
Jean de Montfort, ennemi du roi de France, et joue un rôle prépondérant lors
de la bataille d'Aurav en 1364. Il contribua pour beaucoup à la déroute des
troupes du roi de France emmenées par le connétable Du Guesclin. Cette
victoire, et le traité de Guérande qui la suivit, installèrent Jean de
Montfort, duc de Bretagne.
En l370 s'estimant mal récompensé pour les services qu'il avait rendus,
Olivier se mit au service de son pays et du roi de France, Charles V et
combattit alors aux côtés de Du Guesclin. A la mort de ce dernier (en I380),
Charles VI le nomma Connétable de France.
Jean de Montfort n'eut cesse, de son côté, de lui faire payer sa félonie
( tentative d'assassinat en 1392 et en finalité, après la mort de Charles VI,
disgrâce et confiscation des biens, qu'il put néanmoins récupérer en partie
moyennant rançon). Il se retira définitivement dans sa forteresse de
Josselin où il mourut le 13 avril 1407.
Personnage versatile que cet Olivier V, Qu'allez- vous penser! Au fait,
connaissez-vous sa devise "Pour qui me plect"... Etonnant n'est-ce pas ?
Le château - La construction antérieure au XVème siècle se résume à la
partie à droite du plan,- elle est circonscrite par le donjon, la tour Si
Louis et le châtelet.
Plus tard, en 1420, sa fille se révolta à son tour. Ce fut la chute de la
Maison de Clisson. Jean V confisqua le château et l'offrit à son frère
Richard. A la mort de ce dernier, son fils, François II, duc de Bretagne,
devint maître de Clisson. En 1471, il se maria à Marguerite de Foix.
C'est de cette union qu'est née Anne de Bretagne. L'enceinte ouest,
comprenant la porte d'entrée et les 2 grosses tours, date de cette époque.
En 1481, François Il donne le château à son fils naturel, François
d'Avaugour, dont la famille restera propriétaire pendant plus de 3 siècles.
Avant d'évoquer les tristes événements de la fin du XVIIIème
siècle qui le marquèrent cruellement dans sa chair, examinons plus
attentivement son architecture.<
Point n'est besoin d'être expert pour découvrir chacune des époques qui
marquèrent sa construction. Si les embrasures des portes et des fenêtres,
et celles des archères et canonnières, avouent les différentes époques
architecturales auxquelles elles ont été construites, toutes ces
périodes ont un même fil directeur : la défense contre les envahisseurs
éventuels.
La construction initiale du Xlllème siècle nous offre ses hautes
murailles et ses fossés profonds. Les XIV et XVème siècles et l'arrivée
des canons dans les contrits nécessitent un autre type de défense :
c'est la construction de la seconde enceinte et des tours d'artillerie.
Vers la fin du XVIème, nous sommes en pleines Guerres de la Ligue. Il
convient dès lors de se renforcer. C'est la construction de trois bastions terrassés à oreillons sur le front sud. Face au duc de Mercoeur, Henri IV fit les frais de cette efficacité
défensive.
De part son impact économique et de sa situation
géographique et stratégique, Clisson se trouva très rapidement impliquée
dans le sanglant et intense conflit de la période révolutionnaire que
furent les Guerres de Vendée.
Au tout début de ces affrontements qui la laissèrent exsangue, Clisson
était républicaine. Située au carrefour de la Vendée, du Maine et Loire
et de la Loire Inférieure, à sensiblement égale distance des Herbiers,
de Vallet, de Montaigu ou de Nantes, elle se révéla rapidement comme un
objectif prioritaire pour les révoltés et, par la suite pour chaque
camp, une plaque tournante dans leur stratégie militaire. Le château
devenu, depuis 1791, bien national, était évidemment l'objet principal
de ces aspirations guerrières.
En mars 1793, dès l'instant où la révolte paysanne née de la
conscription se transforma en rébellion plus structurée les insurgés
s'emparèrent du château. L'armée de la République, concentrant toute son
énergie vers l'ennemi de l'extérieur, ne réagit que mollement à ces
mouvements de révolte.
En juillet, c'est la défaite de Mayence. Kléber envoie alors ses troupes
vers l'Ouest. Le 1er octobre le décret d'extermination est voté. Le 9
octobre, 5 colonnes républicaines sont envoyées afin d'étouffer
l'insurrection. La répression est sans pitié : témoin, parmi d'autres,
le "puits infernal" situé dans le bastion nord du château, où furent
jetés femmes et enfants.<
A la fin de cette année 93, Clisson n'est plus que ruines et que cendres.
Le château incendié mettra, parait-il trois jours à se consumer. Jonchée
de cadavres qui se décomposent, hantée par les loups qui prennent petit à
petit possession des lieux, Clisson est morte.
Abandonnons un instant ce monde de violence et promenons-nous autour du château. Reposons-nous quelques instants en parcourant ces ruelles étroites et pentues aux noms pleins de verdeur telle que la ruelle de cul-chaud ou la rue coupe-jarret (cette rue montante et très pentue prit même toute sa valeur pour certains d'entre-nous...).
Nous ne pouvions quitter ces lieux sans rendre visite à l'église Notre-Dame. Pour sa construction en 1888, l'architecte René Ménard s'est inspiré de l'église San Giovanni-e-Paulo de Rome.
Edifiée sur le site de l'ancienne collégiale voulue par Olivier V, son plan est conforme à l'ancienne basilique romaine avec une nef et deux collatéraux. Suivant l'usage, elle est orientée vers l'est. Le clocher et son campanile sont caractéristiques des églises italiennes.
Avant de rejoindre la place du minage où nous attend monsieur Gouraud, l'un des représentants des historiens clissonnais, jetons un dernier regard sur le pont de la vallée : ce pont massif caractérisé par ses éperons en granit dont l'utilité était de détourner les troncs d'arbres que la Sèvre charriait lors des crues.
Aurions-nous pu oublier les halles !
Classées monuments historiques, elles font partie des très rares édifices ayant échappé aux passage des colonnes infernales. Datant du XVème siècle, la charpente de chêne est assez impressionnante en raison de sa forme irrégulière; il n'en existerait que deux ou trois en France...
Ne serait-il pas temps de prendre quelques réconforts! Après le verre de l'amitié et les fructueux échanges qui, traditionnellement, l'accompagnent, nous nous sommes donc dirigés vers le moulin de Gervaux afin de nous ressourcer en énergie.
La "pause historique", pourquoi me direz-vous! Elle tient en fait à un phénomène anodin certes, mais sur lequel nous buttons à chacune de nos sorties annuelles. Bien que parmi nos membres nous ayions des chantres de "la navigation de Loire", nous n'avons pu, à ce jour, en atteindre la berge, et ce, au grand désespoir de notre ami Moïse qui, jusqu'à ce jour, n'a pu nous sauver ... du naufrage.
En cette fin de 1793, nous avions laissé cette pauvre Clisson comme morte, livrée à la pâture des vermines et des bêtes sauvages ... Ce Clisson que nous admirons aujourd'hui ne serait peut-être qu'un amas de ruines noircies si les frères Cacault n'en étaient tombés amoureux !
Le peintre nantais, Pierre Cacault, qui avait poursuivit une carrière artistique à Rome jusqu'en 1793, est le premier artiste-explorateur de cette campagne dont il découvre les ruines, mais également le pittoresque du relief environnant.
Etabli sur le site en 1798, il est rejoint par son frère François, collectionneur d'oeuvres d'art, diplomate à Rome et négociateur pour la France de la Villa Médicis. Unis dans un même objectif, ils créent un musée- école et y rassemblent leurs collections de peintures, gravures et sculptures. Cette concentration d'arts a pour effet de promouvoir le site auprès du monde de l'Art.
En 1805, le sculpteur Frédéric Lemot, prix de Rome est, à son tour, séduit par cet environnement. Il acquière le bois de la Garenne et le transforme en tableau vivant. Il ne construit pas il ne plante pas, il crée. Il s'intègre au paysage sans le dénaturer, s'ingénie à mettre en valeur chaque buisson, chaque rocher, chaque méandre de la Sèvre toute proche. Par son esprit créatif, son interpénétration dans ce site admirable il va donner une âme à ce lieu, en faire cette peinture grandeur nature qu'il nous est permis de contempler aujourd'hui.
La maison du jardinier est la première demeure construite sur le site, et le premier édifice italianisant du pays clissonnais. Cette demeure incarne avec élégance l'architecture rustique italienne de la fin du XVIllème siècle. Avec ses décrochements de volumes, ses bâtiments asymétriques, ses toits de tuiles et ses motifs décoratifs en briques, son pigeonnier et sa cour ceinte d'un mur crénelé, elle évoque les fermes fortifiées d'Ombrie ou de Toscane que ses inspirateurs ont eu tout loisir d'admirer lors de leurs séjours romains. Si Frédéric Lemot est l'instigateur de cet ensemble architectural, c'est sur les plans de Mathurin Crucy qu'il sortira de terre. C'est, ce dernier, d'ailleurs qui est le réalisateur de la plupart des édifices et des fabriques du parc.
Pénétrons à présent dans le parc.
Au fond d'une allée, ornée de statues faisant référence à la mythologie romaine, nous découvrons la villa Lemot. Cette construction plus ancienne ( 1824), tout en conservant son identification à l'italienne, se démarque de la maison du jardinier. Plus que la rusticité toscane, nous côtoyons ici l'architecture néoclassique des demeures praticiennes romaines, Loggia, porche, fronton en belvédère et colonnades en hémicycle forment un ensemble, certes agréable, mais néanmoins inattendu en cette région. Sa terrasse en arc de cercle offre un panorama exceptionnel sur la ville et le château.
Afin de terminer cette agréable journée, il ne nous reste plus qu'à faire le tour de ce magnifique parc composé comme un paysage de tableau classique. Laissons-nous entraîner dans les méandres de la pensée de Frédéric Lemot et allons à la rencontre de ces allégories, de ces personnages tirés de la mythologie ou de la légende populaire, entrons dans la grotte dédiée à Héloïse, écoutons parler Rousseau, rafraîchissons-nous l'espace d'un instant aux bains de Diane, et terminons par ce magnifique temple circulaire dédié à Vesta et qui devait enjamber le ruisseau destiné à alimenter en cascade les bains de la déesse.
C'est dans ce site admirable, qu'il nous convient de retourner à notre réalité quotidienne. Le soleil est toujours présent, et pourtant l'heure est venue de nous séparer. C'est le mot d'adieu... pardon ... d'au revoir et, à l'année prochaine avec de nouvelles découvertes.