((-: Saint Jean de Boiseau, vous connaissez ? :-))

Histoire de Saint Jean de Boiseau

1935 - 1945
Léon Normand, raconte se captivité



Monsieur Normand s'est marié 1936 et le couple a eu son premier enfant en 1938. Leon Normand travaillait à l'entreprise Dodin. Il est parti la guerre de 1939 et a fait prisonnier en 1940 dans la régon parisienne.

Sa femme, sans ressource et sans formation, est embauché à Indret pour renforcer l'effectif affectif la fabrication de l'artillerie. Pendant quinzejours, le soir, elle reçoit une formation accélérée. Elle travaille sur un tour automatique de 6h du matin à 4h.

La relève sur sa machine est assurée par les Annamites du camp de la Cruaudière. On n'avait qu'à mettre les pièces dans le mandrin du tour, appuyer sur un bouton et enlever les pièces terminées.

D'autres femmes travaillaient à l'ajustage ou à la fonderie. Peu après l'arrivée des Allemands, en août 1940, elle est licenciée. Elle reconnaît cependant qu'ils ont bien fait les choses, car toutes les femmes ont bénéficiées, pour leur retraite, de quatre années complètes alors qu'elles n'ont fait qu'un peu plus d'un an. Ensuite il y a eu le rationnement et l'usine travaillera pour l'occupant.

Premiers mois de capticité

Pendant ce temps, sur le front, L'armée française recule devant l'ennemi, çà sent la débâcle, et M. Normand de raconter :
La roulante avançait plus vite que nous et nous manquions de ravitaillement. Nous traînions notre canon de 25 et des mortiers que nous transportions dans des voiturettes. Nous avons été pris près d'une ferme où nous étions allé demander à manger, sans succès, les propriétaires avaient refusé. C'était une grande ferme avec de chaque côté des bâtiments et fermée par un portail. C'est alors qu'à l'entrée de la cour les boches nous ont surpris. Ils étaient arrivés par le train. Ils nous ont mis en joue avec leurs fusils à 1'entrée du portail. On avait un fusil aussi en bandoulière, et on s'est défendus, peu de temps, dans les fraisiers derrière la ferme, mais les Allemands nous ont pris en tenaille et nous nous sommes rendus. Ils nous ont regroupés dans l'église du village puis nous ont emmenés dans un petit camp d'allemands tout proche, et conduits au Stade d'Anthony. Peu après ils nous ont transférés au camp de Soucy en Brie, c'était un camp anglais qui n'était pas terminé. Il y avait des tas de planches pour faire des cabanes. Celles déjà construites étaient occupées. Alors, avec deux autres gars, nous avons pris des planches et fabriqué une cabane. Nous avons été jusqu'à 37 000 dans ce camp. Moi, d'un côté, j'ai moins souffert que les autres, car avant d'être fait prisonnier, j'avais stocké dans ma grande musette beaucoup de tablettes de chocolat.

Là, dans ce camp, on a été 17 jours sans rien avoir à manger. Il y avait juste un robinet qui coulait naturellement. Pour avoir de l'eau, il fallait toujours faire la queue, aussi pour avoir moins d'attente, je me levais chaque jour à 2h du matin pour avoir ma ration d'eau. Dans la journée, on n'avait rien à faire et je restais allongé. Grâce à mes chocolats que j'ai partagés avec deux copains, on a tenu. Je faisais ma distribution aux deux copains, à raison d'une barre chaque jour. Mais la réserve s'épuisait et j'ai du réduire à une demi. Ceux qui n'avaient rien, arrachaient l'écorce des platanes de la cour pour les roucher. A la fin les arbres n'avaient plus d'écorce. Ceux qui étaient malades ou ne bougeaient plus, étaient emmenés dans une charrette tirée par deux chevaux, en dehors du camp, dans un bois tout proche et on ne les revoyait plus ... Certains parmi nous disaient qu'ils les enterraient là ? Personnellement je ne crois pas, car hormis le manque de nourriture, ils n'étaient pas mauvais avec nous.

Les camps du nord de la France

Au bout de 17jours, les Allemands ont constitué des groupes, pour partir on ne sais où. J'ai alors convaincu les deux copains qu'il fallait s'intégrer à l'un d'eux. Les autres n'étaient pas d'accord mais je voulais à tout pris sauver ma peau. C'est de l'égoïsme, mais les deux gars m'ont suivi.

Peut-être que ce serait pire ! ...

Nous étaions une centaine, et on a été conduit vers le Nord, du côté de Bouffemont. Dans un patelin dont je ne me rappelle plus le nom. Je m'en souviens car j'avais un cousin qui était le chef de gare. On y est resté trois semaines. Dans le camp, il n'y avait pas d'eau et nous allions la chercher à l'extérieur sous la surveillance d'une sentinelle. Un jour, nos gardiens nous ont enmenés travailler pour charger du blé et de la farine dans un grand silo. Il fallait d'abord remplir les sacs puis les transporter sur des camions. Parmi nos gardiens, il y avait deux femmes soldats allemandes qui, voyant notre difficulté, dirent à leurs collègues hommes : vous voyez qu'ils n y arriveront pas tellement ils sont épuisés ! Il faut d'abord qu'ils se rétablissent, et elles sont revenues avec de la nourriture faite à base de farine. Mettez de la farine dans vos poches dirent-elles, vous en aurez besoin et s'il le faut, éventrez un sac pour en avoir et c'est ce qu'on a fait. Nous savions ce qui se disait, car parmi nous il y avait un breton qui comprenait l'allemand.

Après nous avons été conduit à Drancy. Là, il y avait des grands bâtiments, et les Allemands cherchaient à fabriquer d'autres logements avec des sortes de petites chambres. Ils ont rassemblé les prisonniers et demandé des volontaires pour faire ce travail. J'avais remarqué que ceux qui travaillaient sur ces logements étaient mieux nourris : une petite soupe le matin gros comme mon poing tous les jours. Alors je me suis proposé comme plâtrier. Je n'avais jamais fait de plâtre ! Je montais des cloisons, ce n'était pas très bien fait mais je n'ai jamais eu de remontrances ...

Puis on est parti à quelques-uns du côté de Gare Genville où il y avait une fabrique de ciment. J'ai été mis à la disposition d'un italien qui était venu travailler en France après la guerre de 14/18. Il avait un jardin et avait demandé aux Allemands, un prisonnier pour le faire en échange, sans doute de sa collaboration. D'autres sont allés en ferme pour ramasser 80 tonnes d'oignons. Là, nous étions nourris à peu près correctement.

Puis un jour, ils nous ont chargés dans des camions, il faisait froid, pour rejoindre un petit camp dans le Nord de la France. Pendant ce transport, j'ai attrapé froid et j'ai eu une angine. J'avais plus de 40° de fièvre. Un lieutenant infirmier Allemand qui se trouvait à une halte, a vu mon état et m'a dit : On va vous conduire à l'hôpital. Mais il a du palabrer assez longtemps car le responsable du convoi refusait de me laisser partir. A bout d'argument, l'infirmier lui a dit : Je reviens cet après-midi, s'il est toujours dans cet état,je l'emmène !

Le responsable n'était toujours pas d'accord : je n'ai pas le droit de le laisser partirs alors l'infirmier lui a rétorqué : Avez-vous le droit de le laisser mourir ?

Et j'ai été emmené à l'hôpital pour 8 jours. Nous n'étions pas gardé et j'ai pensé à me sauver et regagner Nantes, mais le lieutenant est arrivé avant et il m'a ramené à Drancy.

L'enfer en Pologne

De là on est parti vers la Pologne. C'était aux environs de la Toussaint en 1941. On nous a transportés en train. Le voyage a duré 3 jours et deux nuits sans descendre. On avait eu un bidon d'eau au départ et on a reçu, dans une gare, l kg de boudin, du fromage et des pommes. Puis nous sommes arrivés en Pologne, à l'entrée du couloir de Dantzig, dans un petit patelin dont on nous avait interdit de mettre le nom dans notre correspondance.

Mont vie était à 2 ou 3 kilomètres. On logeait dans une grange à moutons. Le sol était en terre gelée, et quand on rentrait avec nos chaussures couvertes de neige, ça engendrait une grande flaque d'eau de 10 à 20 centimètres sur le sol. Au fond de cette grange, il y avait un grand four en briques réfractaires pour chauffer cette grande pièce. Mais avant que la chaleur se diffuse dans ce grand bâtiment ou l'on était 100 à 120 prisonniers, il fallait du temps. Il y avait des lits superposés à 3 étages de chaque côté. Dès que nous sommes arrivés j'avais remarqué ce four et je me suis débrouillé pour choisir un lit tout proche et à l'étage supérieur. J'ai bien fait, car ceux qui étaient près de l'entrée avec son grand portail, ne bénéficiaient d'aucune chaleur et ils avaient toujours froids. Mes copains me disaient : ou vastu ainsi ? T'es si pressé ? ...Mais ils ont vite compris où se trouvaient les bonnes places. C'était chacun pour soi. Il y a deux gars qui sont morts de froid durant ce séjour. Dès le début j'avais vu ces deux grands gaillards d'environ 120 kg dépérir par manque de nourriture. C'étaient de grands mangeurs ... ils n'ont pas résisté. L'un d'eux sur ces derniers instants nous a dit : je croyais que cela aurait été plus difficile que ça de mourir de faim .. On afaim au début, on afaim et après, on a plus faim ... C'est dans ce camp que j'ai, le plus souffert car, en plus du froid et des mourants il y avait les moments de déprime et les rumeurs colportées par les défaitistes qui nous faisaient craindre le pire en disant qu'après les Allemands nous serions dans les mains des Russes ou les Indochinois ...C'était à devenir fou.

Près du camp. Il y avait une usine ou nous descendions des pierres à carbure pour les munitions. Puis on a changé de lieu, c'était l'hiver et il faisait jusqu'à moins 30 degrés de température. On travaillait dans une butte de sable pour curer un conduit qui passait sous cette butte et rejoignait un lac proche. Nos gardiens ne nous forçaient pas trop à travailler. Nous faisions un peu ce que'nous voulions, mais il ne fallait pas rester debout à rien faire. Les Allemands nous disaient de sautiller pour nous réchauffer et de remuer. Comme l'eau coulait dans le conduit c'est qu'elle était chaude et j'y allais souvent me réchauffer les pieds avec mes bottes ! Un des prisonniers est resté discuter quelques minutes sans bouger et Vlan, il est.tombé raide. Les Allemands l'ont attrapé à quatre, et en courant, ils l'ont emmené jusqu'au camp distant de 4 kilomètres, sans s'arrêter de courir. Je ne sais pas ce qu'il est devenu.

Dans ce camp, pour Noël, on a eu 3 pommes de terre par jour. Certaines étaient pourries, si bien qu'il ne resàit plus grand chose à manger. Dans ce camp on est resté longtemps et il n'y a eu qu'une évasion réussie.

Des conditions moins pénibles

Après nous sommes allé dans un autre camp où il y avait des baraquements avec un poêle dans chaque cabane. On y est resté deux ans. Nous travaillions dans une briqueterie. Nous avions repos le dimanche, mais un jour, le commandant, un colonel, nous a demandé de travailler ce jour là et nous avons tous refusé. Il nous a alors regroupés en rang, quatre par quatre. Il est allé au premier rang et a botté les fesses des prisonniers et ainsi de suite jusqu'au 3ème rang mais les gars n'ont pas cédé. Moi j'étais au 6 ème rang et il s'est arrêté avant. Mais il est reparti en colère.

Huit jours plus tard, nouveau rassemblement, je me disais: on va se prendre un savon ! Mais non, il nous a dit: vous êtes quand même coriaces les Français, nous les Allemands on aurait obéi. Mais je crois que si j'ai besoin de vous, je pourrai compter sur vous... Pendant qu'il a été dans ce camp, Léon Normand avait des nouvelles tous les deux mois et les colis arrivaient assez bien et plus vite.

Nous étions en bataillon de travail et les colis ne passaient pas par Genève, sinon ils mettaient, comme le courrier, 1 à 2 mois pour arriver. Par les bataillons j'ai vu recevoir un colis 5 à 6 jours après son envoi de Saint Jean. Par contre, un jour, j'ai écrit à ma femme : tu m'envoies quelque chose tout de suite par retour du courrier et bien, je l'ai reçu 9 mois après...car les Américains avaient pénétré dans la zone allemande de Pologne et on ne pouvait plus rien recevoir en direct car ça passait par Genève et c'était la débâcle allemande.

Le camp de Gelsenkirchen en Autriche

Avant l'arrivé des Américains, nous avons été transportés à Gelsenkirchen en Autriche. Quand nous sommes arrivé à la gare, les avions U S et Anglais bombardaient partout. On est descendu se cacher sous les wagons. Le bombardement a duré 20 minutes et ils ont rasé le village. De l'hôpital, les polochons sont venus jusqu'à notre camp situé à quatre kilomètres. On y est resté 72 jours, nous étions 80 000. Tous les soirs on entendait les avions venir faire des vols de harcèlement pour empêcher les usines de tourner.

Puis j'ai travaillé chez un entrepreneur de maçonnerie, nous étions cinq et je me suis même retrouvé tout seul pendant l'été avec deux apprentis, des picolos. Les sentinelles qui nous gardaient étaient des enfants soldats. Un jour le patron m'a demandé si je voulais faire des plafonds ? Je n'ai pas répondu et il m'a dit : va-y donc tu seras tout seul. personne ne t'embêtera. J'ai dit que je ne savais pas les faire et il m'a répondu : t'en fais pas tu feras comme tu pourras. Alors j'ai fait ce travail. J'avais une petite charrette pour transporter le plâtre et les outils. Je faisais du torchis. Tout près des chantiers, passait le canal de la RUA, si bien que l'après-midi je me couchais au soleil, car si le patron passait, c'était toujours à 8h30. Si à cette heure là il n'était pas là, c'est qu'il ne viendrait pas de la journée. Il allait tous les jours à la messe. J'ai travaillé pour lui 7 à 8 mois. Là, on allait de maison en maison pour les renforcer et il y avait des caves dans toutes ces habitations ( Des immeubles de 3 étages car la ville comptait 360 000 habitants). Le dimanche on était libre et plusieurs camarades se sont évadés. Moi le premier... avec un gars, mais arrivé à Aix la Chapelle, il fallait traverser un pont. Il y avait des trains qui allaient de l'autre côté. On a pris celui de Challe et Gelsenkirchen pour Rhot, une ville de 80 000 habitants, mais nous avons été arrêtés et ce sont 3 Allemands et leurs chiens qui nous ont ramenés au camp. A notre arrivée, le capitaine nous a dit : C'est comme pendant la guerre de 14, 8 jours de 15 jours de prison, mais ça m'embête de vous envoyer dans la cellule, je vous demanderai bien de ne pas vous évader une autrefois, mais je sais que vous diriez oui, mais à la pemière occasion vous le ferez ! Si bien qu'on est resté tranquille et nous n'avons pas été puni.

Dans le camp situé au milieu des bois, parmi nous, il y avait des prisonniers qui possédaient un instrument de musique, et, le dimanche, ils donnaient un petit concert. Il y avait plusieurs Allemandes qui venaient de la ville pour l'écouter, plus de 300 personnes en majorité des femmes.

J'ai repris mon travail chez le même patron. J'avais un copain qui était électricien dans une grosse entreprise et comme c'était un bon ouvrier, au bout de quelques temps, le patron en a fait son chef d'équipe et c'est lui qui commandait les ouvriers allemands sur les chantiers. Le patron lui disait souvent "Zo Zo" ce qui veut dire, "bien , bien"...Bien oui, mais le copain il a rencontré une Allemande qui avait déjà 7 à 8 gosses et ils ont été pris en flagrant délit !

Il a été ramené au camp par les policiers. Le capitaine leur a dit : laissez le moi, je vais m'en arranger et il sera bien puni. Il a alors plus ou moins passé l'éponge mais il l'a changé de secteur de travail. Hélas, quelques jours après, son ancien patron est venu le réclamer et il est retourné chez sa maîtresse. Et il a été repris. Le capitaine lui a alors dit qu'il serait conduit bientôt dans le camp de Rawa Ruska où les conditions de détention étaient, paraît-il, terribles. Eh bien! Ce gars de Saint-Etienne qui s'appelait Tarn s'est évadé avec l'aide d'un Corse. Nous connaissions la marche à suivre pour démarrer l'évasion, mais le danger venait de la traversée de ce fameux pont. Eh bien! Lui a réussi. On l'a su, car avant son départ, il avait été convenu que s'il rentrait en France, il nous écrirait un mot avec cette phrase, « la charrette est bien arrivée ». Et on a reçu son message ...
br> A Gelsenkirchen, un jour que je me trouvais avec mon patron nous avons rencontré un gars de la ville et tous deux se saluèrent : Halte Hitler ! Moi et un autre ouvrier prisonnier on était en bleu de travail et on a pas bougé. L'Allemand s'offusqua et demanda au patron en parlant de nous: Qui c'est ces gars là ? Des prisonniers français et l'autre répondit : Ah ! Ça ne m'étonne pas !

Leipzig, les alliés approchent

Après nous sommes allé à Leipzig et j'y suis resté environ 7 mois. Dans ce camp nous étions logés dans de petites baraques et la discipline n'était pas très dure. Nos gardiens plutôt gentils. Nous travaillions uniquement la nuit dans une usine d'essence synthétique obtenue à partir du minerai de charbon récupéré dans une mine à ciel ouvert toute proche. J'étais alors très fatigué et souvent je ne faisais rien et m'endormais. Dans la baraque, il y avait des bricoleurs qui avait fabriqué un poste à galène et ainsi on pouvait suivre toutes les infos sur l'avancée des armées française et américaine. Le danger venait surtout des bombardements. Dans le camp il y avait plusieurs secteurs affectés par nationalité. Les Ukrainiens et les Polonais étaient de vrais peaux de vaches.

Une curieuse rencontre

Depuis mon arrestation à Paris, j'ai oublié de dire que j'ai toujours eu le même interprète allemand. Un type gentil qui avait été fait prisonnier en 14/18 et qui connaissait bien Saint-Jean-de-Boiseau puisqu'il y avait passé une partie de sa captivité. Il avait même logé au château du Pé et travaillé sur l'île la Motte où avaient été construites quelques baraques dont les pieux étaient encore visibles il y a quelques années. Il avait tenté deux fois de s'évader, mais avait été repris. Il nous disait souvent que le devoir d'un prisonnier était de s'évader. Il avait aussi travaillé à la Métairie des Landes, dans les vignes. Quand je lui ai dit que j'habitais Saint Jean, à la Noë, il m'a même demandé quelle maison ? Il connaissait même ma maison car il y passait chaque matin pour aller travailler. Le monde est quand même petit !. Après, il a été affecté aux réserves d'essence de Roche Maurice. C'était un homme instruit qui avait une licence Es-lettres, mais je ne me rappelle plus son nom. Il nous a suivi pendant toute notre captivité jusqu'à mon évasion. Je dois dire qu'il m'a aidé à mieux supporter ces années par sa gentillesse et le fait de parler du pays. On avait aussi un autre interprète, mais comme il était trop gentil avec nous, il a été remplacé par un autre également gentil avec les Français, mais pas avec les Italiens qu'il ne pouvait pas sentir.

Notre interprète de Saint Jean, s'était bien aperçu que nous écoutions la radio en cachette et on a fini par en parler avec lui car il nous avait surpris devant le poste, mais il n'a rien dit sauf : La guerre est perdue pour nous, je suis Allemand, c'est dur. On va être occupé à notre tour ! Tout ça pour rien ! On a tout perdu ...Après cette guerre je n'aurai plus de travail et je crois que j'irai travaillèr en France. C'était un homme bon et malade, tout comme le commandant du camp qui était lui aussi un grand malade. Ce dernier paraissait vieux, mais il n'avait que 35 ans.

La vie au camp

Lorsqu'on sortait en permission, il y avait des fouilles, car nous n'avions pas le droit d'avoir de l'argent avec nous. Mais chaque fois qu'il y avait une fouille, l'interprète nous avertissait. Le commandant n'était pas dupe. En effet, un dimanche, pour aller en ville nous avons pris le tramway et il fallait bien payer sa place, alors que l'on n'avait pas le droit de prendre ce moyen de transport. Il l'a su mais n'a rien dit.

Depuis notre capture en 1940, nous étions vêtus de nos effets militaires, sauf les bandes molletières qui avaient été supprimées. On avait d'ailleurs êté obligé de modifier nos bas de pantalon. On portait un vêtement de travail uniquement lorsqu'on était à l'usine.

Dans le camp, il y avait également des prisonniers anglais avec qui nous avions peu de contacts. Sauf au moment de la libération. Un jour, ils nous ont fait comprendre que les alliés approchaient. Ils étaient à travailler dans une tranchée pour passer des tuyaux. Peu après, on a entendu, au loin, les coups de canon. Ils ont arrêté de travailler aussitôt.

Rencontre avec Pierre Joyau

Pendant que j'ai été captif dans ce camp de Leipzig, j'ai été informé que pas très loin, il y avait un autre prisonnier de Saint-Jean : Pierre joyau. Il travaillait dans une ferme. J'ai pu obtenir l'autorisation d'aller le voir un dimanche. Mais j'étais accompagné d'une sentinelle. On est donc parti tous les deux et en chemin, le jeune Allemand me dit : demain, je pars sur le front russe et j'aimerai bien passer voir mafamille, car c'est peut-être la dernière fois queje les verrai. Si je vous laissais aller voir votre ami seul, et que je vous reprenais au retour, personne n'en saurait rien ! J'ai été d'accord et on a convenu de l'heure du retour et du lieu. C'est ainsi que je suis arrivé seul à la ferme, où travaillais Pierre Joyau. J'ai respecté notre accord et le jeune Allemand m'a remercié.

La libération

Dès que le bruit du canon s'est rapproché du camp, nous avons été évacués, gardés par des sentinelles. On est parti vers le sud. On a fait peu de kilomètres. En fait, on a fait une sorte de demi-cercle. On était environ 600 prisonniers. On est arrivé dans une ferme, le portail était juste gardé par une sentinelle. Derrière la ferme, il y avait un endroit pour se laver. On y est allé avec 4 copains de captivité. On a vite remarqué une petite ruelle qui débouchait sur les champs et on s'est échappé. L'un des copains était d'Amboise. En chemin, on a rencontré une jeune fille qui venait livrer du lait, elle nous a souhaité: « Bon voyage » et on est allé à la ferme de Pierre Joyau. Tout près de cette ferme, il y avait un petit camp de jeunes hitlériens. Plus on avançait, plus on entendait le canon dont les grondements se rapprochaient. Peu, du sommet d'une colline, on a vu se déployer tout en bas, des chars américains. Aussitôt Pierre Joyau est allé chercher dans sa ferme, un morceau de tissu blanc que l'on a agité au bout d'un bâton. Les Américains sont alors venus au devant de nous et nous ont questionnés sur la présence d'éventuels ennemis dans les environs. On leur a indiqué le camp 'desjeunes hitlériens. Ils l'ont détruit avec des grenades phosphorescentes.

Le lendemain nous sommes partis libres, mais toujours en tenue militaire. Dans un village, un Allemand nous a proposé de changer nos chemises en allant se servir dans le magasin tout proche, ce que nous avons fait Cinq kilomètres plus loin, dans un autre village, on est allé demander à la mairie où l'on trouverai à manger. Nous avons été bien reçus et on nous a indiqué les maisons qui pourraient satisfaire nos appétits. On est allé en deux groupes chez les habitants indiqués. Dans celle où je suis allé, la femme qui se trouvait là nous a donné ce qu'elle avait en précisant qu'elle n'avait pas de pain. Dans cette maison, il y avait deux jeunes filles qui nous ont embrassés et nous ont demandé si on savait faire du vélo. Alors elles nous ont conduits dans un magasin, tout près où il n'y avait personne, et on a pris des vélos tous neufs.

Vingt kilomètre après, sur la route j'ai rencontré une autre jeune fille qui peinait sur un vieux vélo. Eh bien! J'ai échangé le mien qui était neuf contre son vieux clou. J'ai oublié de dire que nous avions aussi pris des cartes routières allemande que l'on ne savait pas lire. Si bien qu'on tournait en rond. Chaque fois qu'on s'arrêtait dans une ferme, les femmes nous embrassaient. Dans un village, un Allemand nous a indiqué que pas très loin il y avait un aérodrome où les Américains rassemblaient les prisonniers pour les renvoyer chez eux. Un de nous est allé en éclaireur, mais à son retour, il nous a dit que l'évacuation était terminée. On a alors intercepté un camion non bâché qui roulait sur une autoroute en direction de la frontière.

C'est alors que notre transport a été arrêté par un convoi militaire français conduit par le général De Gaulle. Nous avons parlé avec lui et il nous a dit : Vous êtes plus propres que moi, allez à tel endroit. Dans ce patelin, les Américains y rapatrient les Français. On y est allé et c'était vrai.

Retour au Pays

On a alors été transporté dans des camions non bâchés vers la Belgique. On a roulé toute une journée. A notre arrivée en Belgique, on nous a dirigé dans une salle où nous avons reçu une aubade. Le lendemain, on est reparti pour la France. A mon arrivée à Paris, un de mes copains m'a dit : je vais te faire découvrir Paris et il m'a emmené manger au restaurant Le Grand Rex. Je suis reparti le lendemain pour Nantes. Ma femme avait été prévenue de mon arrivée la veille ce que je ne savais pas. Si bien qu'elle s'est inquiétée de ne pas me voir. Dans le train qui me ramenait à Nantes, il n'y avait que des S T 0, dont un gamin de 13 ans, pris dans une rafle, alors qu'il avait été envoyé par sa mère chercher du sel. On était tous heureux et on l'a charrié : Tu esparti 5 ans et tu reviens sans le sel ? Que va dire ta mère !

Je suis arrivé en gare de Nantes le 28 mai 1945. A mon départ je pesais 65 kg, à mon retour j'en faisais 38 et je n'avais que 8 de tension. J'étais blanc comme un linge et décharné. Quand ma fille, que j'avais quitté à l'âge d'un an m'a vu, à la gare, elle ne m'a pas reconnu. Elle avait 6 ans et ne me connaissait que par les photos que ma femme lui montrait. Sa réaction, en me voyant, a été de dire : C'est ça monpère ? C'est pas lui mon père !

Sa femme présente lors de l'interview d'ajouter : Quand je l'ai vu j'ai cru voir un mort, son corps était blanc et froid. Dans le car Brounais qui nous ramenait tou les trois à Saint Jean, le chauffeur, a voulu faire payer ma fille etje n'avais pas assez d'argent alors, devant cette scène, un FFI qui était dans le car est allé donner un coup de poing dans la figure du chauffeur en le traitant de salaud : Tu ne sais pas d'où il vient !

Dans les mois qui ont suivi mon retour, je suis allé à la caserne de Nantes pour passer la visite de libération et ils m'ont trouvé une caverne au poumon.

Lorsque j'ai été un peu plus valide, je suis rentré à Indret, mais j'ai bien omis de dire que j'avais une caverne car je n'aurais pas été pris. Il m'a fallu un an avant de pouvoir faire une journée de travail complète. Mais à l'arsenal ils ont été compréhensifs et je n'ai pas eu de difficultés.

Aujourd'hui, M et Mme Normand profitent depuis de nombreuses années d'une retraite bien méritée dans leur petite maison de la Noë.